Le
documentaire
Une
histoire marocaine
Le
documentaire est de retour. Cela fait quelques années déjà mais c’est bien de
le rappeler car ce n’est pas une affaire relevant de l’évidence. C’est un genre
cinématographique tributaire, plus que d’autres de la conjoncture et du
contexte général. L’évolution du documentaire au Maroc peut se lire comme le
récit de l’évolution de la société marocaine et de son rapport à son
imaginaire. Son absence comme son retour sont des indicateurs de l’état du
cinéma. Dès la naissance du Centre cinématographie marocain dans les années 40,
et dans le cadre du cinéma dit « le cinéma colonial », le
documentaire, au sens large, était omniprésent reflétant un imaginaire, dans
son rapport à l’espace et au patrimoine local, chargé de stéréotype. L’altérité
qu’il véhiculait était l’émanation d’un regard culturel héritier des pratiques
ethnocentriques qui sévissaient dans d’autres champs, notamment les sciences
sociales. Le premier film produit par le CCM (28 mn, 1947) fut justement un
documentaire, Aux portes du monde saharien de Robert Vernay. Un raccourci
géographique et historique qui mène le spectateur dans une sorte de roadmovie
dans le Maroc profond, immuable et éternel, comme dans une carte postale. La
voix off développe un discours aux inspirations bibliques pour décrire la
spécificité des populations autochtones. Le documentaire est déjà le lieu de la
construction d’un regard.
Ce
que la seconde phase de l’évolution du genre ne manquera pas de confirmer avec
l’Indépendance retrouvée. Des cinéastes marocains s’attèlent en effet à
proposer un contre regard dans le sillage du vaste projet de
reconstruction identitaire. Faire tourner la caméra c’est une autre forme de
réappropriation de l’espace national. Ayant rejoint le CCM, ces cadres donnent
corps à sa nouvelle mission ; celle de répondre aux nécessités de la
construction ou de réhabilitation de l’Eta national. La plupart des productions
sont des réponses à des commandes institutionnelles.
Le
nouvel Etat se donne pour objectif de former les citoyens, de les initier aux
tâches du monde moderne, de leur faire découvrir leur pays dans le temps en
réhabilitant sa mémoire éclipsée par la parenthèse coloniale et dans l’espace,
balisé par le regard de l’autre. C’st ainsi que beaucoup de documentaires de la
période 1958-1969 sont dédiés à revisiter des monuments historiques, à filmer
des rites ancestraux ou tout simplement à vanter la qualité des paysages :
le grand jour à Imlchil de Abdelaziz Ramdani ; La marche du temps de Larbi
Bennani ; Casablanca, porte de l’Afrique de Larbi Benchekroun…
Pour
les besoins d’un travail en cours, j’ai comptabilisé pour la période 1958-1969
et selon les documents du CCM, la production de 65 films, en majorité écrasante
des courts métrages dont la durée peut aller jusqu’à 45 minutes et avec une
dominante largement documentaire ou relevant de ce qui sera appelé plus tard le
« docu-fiction ». Il s’agissait de partir d’une thèse, par exemple
encourager les marocains à envoyer leurs enfants à l’école, voir Notre amie
l’école de Larbi Benchekroun (1956) ou à consommer des sardines, voir pour Une
bouchée de pain de Larbi Bennani (1956) de développer des mini-fictions à visée
didactique.
Une
lecture synthétique des documentaires de cette période, que je considère, même
si cela avait fait grincer des dents de certains, comme l’âge d’or du
documentaire marocain, permet de dégager les grandes tendances suivantes :
Le
documentaire institutionnel stricto sensu (ex. Les Forces armées royales de Mohamed
Tazi, 1966)
Le
documentaire de vulgarisation (ex. Fourrage de Latif Lahlou : 1966)
Le
documentaire de création (ex. Retour à Agadir de Mohamed Afifi ; 1967)
Le
documentaire ethnographique (ex. La mosquée de Tinmel de Mohamed Abderrahmane Tazi,
1966).
Avec
l’arrivée de la télévision et les changements intervenus au niveau des grandes
orientations de l’Etat, le cinéma en général et le documentaire en particulier
vont connaître un repli qui va les cantonner dans une longue traversée du
désert qui durera jusqu’aux années 90.
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