lundi 14 avril 2014

c'est eux les chiens de Hicham Lasri



Une histoire de consolation
Considéré à juste titre comme l’un des cinéastes les plus prometteurs de la nouvelle vague marocaine, Hicham Lasri assure et confirme avec son nouveau long métrage, C’est eux les chiens, actuellement sur les écrans au Maroc après une carrière internationale brillante dont un accueil critique fort élogieux à sa sortie en France. Son comédien principal Hassan Badida récolte les récompenses là où il entre en compétition. Révélé déjà dans le premier film de Lasri, The end, Hassan Badida développe, en effet, une prestation originale complètement décalée par rapport au jeu stéréotypé de la fiction dominante. Dans c’est eux les chiens, il est «404 » le matricule d’un disparu des émeutes de la faim de juin 1981 et qui ne réapparaît que trente ans plus tard en plein milieu des manifestations du mouvement de 20 février 2011. Repéré par une équipe de reporter télé, il est suivi dans sa quête de retrouver les siens. Télescopage de deux  moments de l’histoire, la quête de ce revenant devient un révélateur de la petite histoire, celle du petit peuple dans une fable tragi-comique des temps modernes marocains.
Hicham Lasri auteur au sens large du mot : il écrit des nouvelles, des scénarios, des pièces de théâtre… il tourne pour la télé comme pour le cinéma ; mélomane, fan de bédé et de la culture underground ; cinéphile boulimique, il a démarré très jeune comme critique de cinéma se confrontant à/et confrontant le nouvel Hollywood et les nouvelles images ; ses films expriment cette richesse et cette diversité. Entretien.
               Quel est le point de départ du projet qui deviendra le film C’est eux les chiens : une chanson : Léo Ferré ? Un Chiffre : 404 ? Une date : 20 juin ? 20 février ? Ou tout simplement un dispositif : la transgression d’un genre télévisuel le reportage ?

l’idée de départ a toujours été de traiter de mon enfance, des années 80 en essayant de tisser une toile d’imaginaire autour d’un geste historique auquel je n’ai pas assisté. 1981 a marqué mon enfance à travers ce silence assourdissant autour des gens « disparus ».  Puis au fil de la rédaction de l’idée une sorte de fil d’airain commençait à  se tisser entre le 20 Juin 1981 et le 20 février 2011. Je voulais faire un film qui me sort de mes habitudes et de mes reflexes. Le 2ème film est terriblement difficile à  « rêver », à «  écrire » et à « assumer ». je voulais me prendre de court, et un film faussement sur le présent était un bon « high concept » pour encapsuler de manière différente la « fin » du monde.
Pour moi, il était plus question de transgresser les gestes d’un certain savoir techniques. Entre mon premier long-métrage et mon deuxième, j’ai appris un certain nombre de choses, la première c’est que les règles sont faits pour les gens qui manquent d’imagination et à  partir de là, je voulais faire un film dont l’écriture, l’inspiration et l’exécution soit une « agression » pour cette nouvelle génération qui ne pense que « technique » mélangeant la notion de « raccord » à celle de « montage » et « découpage » avec celle de « storytelling ».
Mais le plus important pour moi, ca a été de prendre un plaisir monstrueux à  faire un film « communicatif » détaché de tout didactisme, idiologie et démagogie, batifolant dans un sujet politique explosif avec l’énergie d’un désespoir ironique et féroce…

Le film s’ouvre sur l’amplification d’une voix par le biais d’un mégaphone mais très vite c’est le regard qui prend le relais avec une caméra à l’affût d’un sujet ?

Même si tout mon travail passe par l’écrit, je ne me considère pas comme un homme de mot, mais plus comme un homme d’images, de sensation.  Chaque fois que j’élabore un projet de cinéma, je me méfie terriblement des mots, des dialogues, de certains automatismes narratifs. J’essaie toujours de créer un rapport dialectique entre le récit, les images et les « rares » dialogues de mes films avant C’est eux les chiens. Je suis un amoureux de Buster Keaton et de John McTiernan, des architectes du geste et de l’espace. Les voix, les dialogues nous ramènent à  une banalité des échanges. Mais à  travers C’est Eux Les chiens, j’ai testé les dialogues comme éléments de respiration, comme toile sonore musicale, comme rupture dans la course poursuite du récit. L’utilisation des flashes d’actualités participe à cette deuxième ligne de tension narrative qui traverse le film. Cette utilisation s’apparente à la technique littéraire du « Cut Up » ou collage étudié de certains morceaux d’actualité qui dégagent une dimension ironique et parfois comique quand aux médias face aux Printemps Arabe au Maroc.

Le rapport au sujet, en l’occurrence 404, passe par un rapport de forces évolutif ; phase 1 : celle de l’harcèlement du sujet ; phase 2 : celle équilibrée de l’établissement du contrat ; phase 3 : nouveau rapport de forces, le sujet prend le dessus ; c’est lui qui mène et oriente le regard ; la caméra ne dirige plus, elle est dirigée ?

Dés le départ, je voulais raconter l’histoire d’une revenant, un zombie, une anomalie, un fou. Forcement, il attire le regard parce qu’il semble venir de l’au-delà, d’un ailleurs qui fascine et rebute. Le personnage devait être énigmatique et captivant. Et progressivement la quête aspire tout le monde vers cet arrière décor de la révolution où les gens vivent comme des « Morlocks », des ombres et des parasites sur une société qui semblent se construire ailleurs et surtout sans eux. Le film est une descente aux enfers qui se refuse de jouer la carte du prisonnier politique martyre et du mélodrame larmoyant pour créer un monde froid, post-mortem où les gens subissent une « glaciation émotionnelle ». Dans ce contexte, la caméra devient aussi un parasite agrippé au destin de ce personnage à la fois commun et chimérique. La caméra devait souffrir autant que les personnages, et à  travers l’instrumentalisation des « défauts technique : absence de son, cadre étranges, hors-champs…) il y’a aussi un jeu qui s’installe avec le spectateur. Je voulais que les premières secondes du films soient perturbants, car tous les spectateurs ont un doute sur l’origine du problème de son qui ouvre le film (ca vient de la salle de cinéma ou du film) comme ce petit doute à  propos du genre (fiction ou documentaire). Cette remise en question de la place du spectateur par rapport au film était nécessaire pour raconter un récit politique en esquivant le principe d’en faire un pensum, un pamphlet ou un plaidoyer.  Pour conclure, le film rejoint une classification du travail de fiction (en roman et en film) établie par Umberto Eco : il y’a des histoires pour le divertissement et des récits pour la consolation. C’est Eux Les Chiens est une histoire de consolation. La mienne par rapport à mon enfance dans les années 80.
Mohammed Bakrim
(Casablanca mars 2014)

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