Une
histoire de consolation
Considéré à juste titre comme
l’un des cinéastes les plus prometteurs de la nouvelle vague marocaine, Hicham
Lasri assure et confirme avec son nouveau long métrage, C’est eux les chiens,
actuellement sur les écrans au Maroc après une carrière internationale
brillante dont un accueil critique fort élogieux à sa sortie en France. Son
comédien principal Hassan Badida récolte les récompenses là où il entre en
compétition. Révélé déjà dans le premier film de Lasri, The end, Hassan Badida
développe, en effet, une prestation originale complètement décalée par rapport
au jeu stéréotypé de la fiction dominante. Dans c’est eux les chiens, il est «404 »
le matricule d’un disparu des émeutes de la faim de juin 1981 et qui ne
réapparaît que trente ans plus tard en plein milieu des manifestations du
mouvement de 20 février 2011. Repéré par une équipe de reporter télé, il est
suivi dans sa quête de retrouver les siens. Télescopage de deux moments
de l’histoire, la quête de ce revenant devient un révélateur de la petite
histoire, celle du petit peuple dans une fable tragi-comique des temps modernes
marocains.
Hicham Lasri auteur au sens
large du mot : il écrit des nouvelles, des scénarios, des pièces de
théâtre… il tourne pour la télé comme pour le cinéma ; mélomane, fan de
bédé et de la culture underground ; cinéphile boulimique, il a démarré
très jeune comme critique de cinéma se confrontant à/et confrontant le nouvel
Hollywood et les nouvelles images ; ses films expriment cette richesse et
cette diversité. Entretien.
Quel est le point de
départ du projet qui deviendra le film C’est eux les chiens : une
chanson : Léo Ferré ? Un Chiffre : 404 ? Une date : 20
juin ? 20 février ? Ou tout simplement un dispositif : la
transgression d’un genre télévisuel le reportage ?
l’idée
de départ a toujours été de traiter de mon enfance, des années 80 en essayant
de tisser une toile d’imaginaire autour d’un geste historique auquel je n’ai
pas assisté. 1981 a marqué mon enfance à travers ce silence assourdissant
autour des gens « disparus ».
Puis au fil de la rédaction de l’idée une sorte de fil d’airain commençait
à se tisser entre le 20 Juin 1981 et le
20 février 2011. Je voulais faire un film qui me sort de mes habitudes et de
mes reflexes. Le 2ème film est terriblement difficile à « rêver », à « écrire »
et à « assumer ». je voulais me prendre de court, et un film
faussement sur le présent était un bon « high concept » pour
encapsuler de manière différente la « fin » du monde.
Pour
moi, il était plus question de transgresser les gestes d’un certain savoir
techniques. Entre mon premier long-métrage et mon deuxième, j’ai appris un
certain nombre de choses, la première c’est que les règles sont faits pour les
gens qui manquent d’imagination et à
partir de là, je voulais faire un film dont l’écriture, l’inspiration et
l’exécution soit une « agression » pour cette nouvelle génération qui
ne pense que « technique » mélangeant la notion de
« raccord » à celle de « montage » et
« découpage » avec celle de « storytelling ».
Mais le
plus important pour moi, ca a été de prendre un plaisir monstrueux à faire un film « communicatif »
détaché de tout didactisme, idiologie et démagogie, batifolant dans un sujet
politique explosif avec l’énergie d’un désespoir ironique et féroce…
Le
film s’ouvre sur l’amplification d’une voix par le biais d’un mégaphone mais
très vite c’est le regard qui prend le relais avec une caméra à l’affût d’un
sujet ?
Même si
tout mon travail passe par l’écrit, je ne me considère pas comme un homme de
mot, mais plus comme un homme d’images, de sensation. Chaque fois que j’élabore un projet de
cinéma, je me méfie terriblement des mots, des dialogues, de certains
automatismes narratifs. J’essaie toujours de créer un rapport dialectique entre
le récit, les images et les « rares » dialogues de mes films avant
C’est eux les chiens. Je suis un amoureux de Buster Keaton et de John McTiernan,
des architectes du geste et de l’espace. Les voix, les dialogues nous ramènent
à une banalité des échanges. Mais à travers C’est Eux Les chiens, j’ai testé les
dialogues comme éléments de respiration, comme toile sonore musicale, comme
rupture dans la course poursuite du récit. L’utilisation des flashes
d’actualités participe à cette deuxième ligne de tension narrative qui traverse
le film. Cette utilisation s’apparente à la technique littéraire du « Cut
Up » ou collage étudié de certains morceaux d’actualité qui dégagent une
dimension ironique et parfois comique quand aux médias face aux Printemps Arabe
au Maroc.
Le
rapport au sujet, en l’occurrence 404, passe par un rapport de forces
évolutif ; phase 1 : celle de l’harcèlement du sujet ; phase
2 : celle équilibrée de l’établissement du contrat ; phase 3 :
nouveau rapport de forces, le sujet prend le dessus ; c’est lui qui mène
et oriente le regard ; la caméra ne dirige plus, elle est dirigée ?
Dés le
départ, je voulais raconter l’histoire d’une revenant, un zombie, une anomalie,
un fou. Forcement, il attire le regard parce qu’il semble venir de l’au-delà,
d’un ailleurs qui fascine et rebute. Le personnage devait être énigmatique et
captivant. Et progressivement la quête aspire tout le monde vers cet arrière décor
de la révolution où les gens vivent comme des « Morlocks », des
ombres et des parasites sur une société qui semblent se construire ailleurs et
surtout sans eux. Le film est une descente aux enfers qui se refuse de jouer la
carte du prisonnier politique martyre
et du mélodrame larmoyant pour créer un monde froid, post-mortem où les gens
subissent une « glaciation émotionnelle ». Dans ce contexte, la
caméra devient aussi un parasite agrippé au destin de ce personnage à la fois
commun et chimérique. La caméra devait souffrir autant que les personnages, et
à travers l’instrumentalisation des
« défauts technique : absence de son, cadre étranges, hors-champs…)
il y’a aussi un jeu qui s’installe avec le spectateur. Je voulais que les
premières secondes du films soient perturbants, car tous les spectateurs ont un
doute sur l’origine du problème de son qui ouvre le film (ca vient de la salle
de cinéma ou du film) comme ce petit doute à
propos du genre (fiction ou documentaire). Cette remise en question de la
place du spectateur par rapport au film était nécessaire pour raconter un récit
politique en esquivant le principe d’en faire un pensum, un pamphlet ou un
plaidoyer. Pour conclure, le film
rejoint une classification du travail de fiction (en roman et en film) établie par
Umberto Eco : il y’a des histoires
pour le divertissement et des récits pour la consolation. C’est Eux Les Chiens
est une histoire de consolation. La mienne par rapport à mon enfance dans les
années 80.
Mohammed
Bakrim
(Casablanca
mars 2014)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire