dimanche 10 mai 2009

la femme d'Ijoukak

"ce roman est le préféré de mes livres" avoue Christine Daure-Serfaty. Nous la rejoignons pour souligner d'emblée que c'est un joli roman effectivement qu'elle nous offre ici. Un récit de mémoire et de souvenirs à l'image de l'époque qui l' a vu naître. Le roman vient d'être réédité chez Tarik éditions en 2008; il remonte en fait à 1997 pour sa sortie parisienne; une année charnière dans une décennie décisive du Maroc moderne. Un Maroc que Christine Daure a porté dans son cœur comme dans son esprit de militante des droits de l'homme. Ce Maroc des années soixante qu'elle découvre en tant qu'enseignante avant d'épouser sa cause en s'engageant au près des militants motivés d'utopie montant à l'assaut du ciel. La femme d'Ijoukak est une histoire d'amour; amour de cette région montagneuse au cœur du haut atlas entre Amizmiz et Ijouka à l'ombre du col de Tizi n'test, le plus haut d'Afrique, nous apprend-on dans les livres de géographie. Mais amour aussi déclarée, tue, avortée entre des êtres emportés dans les tumultes d'une histoire qui a mis en scène des acteurs aux appartenances multiples. Tout commence par une rencontre en France entre la narratrice, Mathilde et un Monsieur d'un certain âge. Une rencontre brève mais chargée d'émotion et de signes énigmatiques; signes et indices qui vont déclencher un retour en arrière. Un long flashback vers ce Maroc des temps des Français, dans cette belle région de Tizi n'test. Retour sur l'enfance, sur les origines traversées de doutes et d'interrogations. Le récit est bien ancré dans cet espace chargé d'histoires non écrites, où la narration orale tient lieu de catharsis. Mathilde va être confrontée à cette part de vérité, traditionnellement confinée dans la boîte noire de la mémoire collective des sociétés et des familles. Mais elle persiste à restituer les détails de l'histoire. C'est Icare et son voyage vers le soleil…elle tient à compléter son histoire:"car on raconte aussi pour ne pas mourir ou parce que on est déjà mort; on raconte pour guérir" écrivait le critique de cinéma, Serge Daney. Cette référence cinéphilique n'est pas fortuite; le livre de Daure-Serfaty me semble être porté par une écriture cinématographique non seulement dans sa structuration narrative où chaque acteur prend en charge une part du récit; il n'y a pratiquement pas de figuration; chacun à sa part de "responsabilité narrative" dans la restitution de ce puzzle, mais aussi dans son rapport au temps avec des aller retour entre le temps de la narration et le temps de l'histoire; cinématographique surtout dans son rapport à l'espace. Le roman est à ce niveau très visuel quasiment tactile. On imagine aisément un plan large à partir de Targa, la maison de Mathilde dans la banlieue de Marrakech embrassant le haut atlas seigneurial. Pour ceux notamment qui connaissent la région, c'est une plongée aux sensations multiples dans un décor ouvert sur tous les possibles narratifs. Jeune, je traversais le col de Tizi n'test avec ma famille au rythme de récits fantastiques où il était question d'une folle qui hantait les lieux. A l'aube on prenait un petit déjeuner frugal, café et askif (soupe amazighe) chez Touda à Ijoukak. Cet univers perdu à jamais est restitué par l'écriture fluide, poétique, limpide de Christine-Daure Serfaty. Demain, un projet d'adaptation pour le cinéma? Ce serait magnifique.

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