lundi 9 juillet 2012

L ' argent du cinéma: 1ère partie


Du fonds d’aide à l’avance sur recettes

La commission d’aide à la production cinématographique nationale vient de rendre public le résultat de ses délibérations au titre de la première session de son nouveau mandat (1). Un résultat très attendu quand on sait que  l’installation de cette nouvelle commission avait donné lieu cette année à un accueil spécial exprimant une certaine curiosité de la part des médias et d’une partie de l’opinion publique alors qu’il n’y a pas si longtemps, cela relevait presque du non-événement. Cet intérêt médiatique et public  peut être perçu également comme   une des conséquences de la place qu’occupe désormais le cinéma marocain dans le paysage artistique et de l’intérêt qu’il suscite dans l’espace public.

Il y a, en fait, une explication en liaison directe avec la conjoncture politique issue du scrutin du 25 novembre et surtout eu égard au discours d’escorte qui a précédé, accompagné la nomination et l’installation de cette nouvelle commission. La chose a pris une tournure telle que l’impression laissée chez de nombreux citoyens est que cette nomination intervient dans le cadre du programme de réforme du nouveau gouvernement. Les discours, les mots utilisés… ont véhiculé en filigrane une interprétation dans ce sens. D’autant plus que cela coïncidait avec la fameuse polémique sur la publication des noms des bénéficiaires des agréments…Bref, l’arrivée de la nouvelle commission était conditionnée par un contexte électrique !

A signaler en outre que les interventions des principaux acteurs de cette opération à savoir le ministre de la communication, le nouveau président de la commission et certains commentaires apparus ici et là ont contribué à accentuer cette impression en instaurant un nouvel horizon d’attente porté par une éventuelle rupture dans le travail de la commission du fonds d’aide à la production cinématographique nationale. La révolution, ou presque !

So on était dans Shakespeare, on aurait dit « beaucoup de bruit pour rien ». Force est de constater, en effet,  qu’il y a eu autour de cette nomination beaucoup de choses  inexactes ou relevant tout simplement de la surenchère facile et démagogique. Un  volet que l’on qualifierait d’idéologique a largement marqué le discours sur  l’action de la commission ; tout cela  mérite aussi débat.

Nous nous proposons dans cette contribution de restituer la nomination de cette commission dans une perspective historique, de rappeler les modalités de son action telles qu’ elles sont arrêtées et fixées par  de nombreux textes et de commenter en outre, les présupposés qui ont porté les discours produits autour de cette nomination notamment sur cette dichotomie devenue argument majeur du référentiel des uns et des autres à savoir la distinction entre la quantité et la qualité : on annonce en effet avec beaucoup d’emphase que l’aide au cinéma va entrer dans une nouvelle ère où la priorité sera accordée à la qualité au détriment de la quantité ! (2)



Signalons alors, en tout premier lieu, que c’est un pur hasard de calendrier qui a fait coïncider l’installation de la nouvelle commission avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement. Tout laissaissait croire dans le non-dit des discours véhiculés à cette occasion que la commission précédente a été purement et simplement renvoyée. 0r celle-ci, présidée d’abord par M. Mohamed Larbi Messari (démissionnaire pour des raisons sur lesquelles il faudrait peut-être revenir) puis par Mme Ghita Elkhayat, est arrivée tout simplement  au terme de son mandant de deux ans et ce le 31 décembre  2011. La courtoisie dicterait à rappeler ce fait d’autant plus qu’avec Mme Elkhayat on était devant un cas de figure original : elle était la première femme à avoir présidé la commission du fonds d’aide. Beaucoup d’observateurs objectifs ont regretté ce silence à l’égard de la précédente commission qui tranche avec la philosophie de l’élégance du geste développée et mise en pratique, y compris dans son action personnelle,  par le chef du gouvernement.

dimanche 8 juillet 2012

abderrahmane sissako: le cinéma en attendant le bonheur



La quinzième édition du festival du cinéma africain de Khouribga (30 juin, 7 juillet) a rendu, lors de la cérémonie d’ouverture, un hommage au cinéaste Abderrahmane Sissako. A cette occasion, Mohammed Bakrim a prononcé le discours suivant :

Permettez-moi de prime abord de dire mon plaisir, si ce n’est ma fierté de contribuer modestement à l’excellente initiative de mes amis du festival de Khouribga avec cet hommage rendu à Abderrahmane Sissako ; un hommage aux dimensions multiples, professionnelles, cinéphiles, culturelles et une dimension humaine sûrement ;  car Si Abderrahmane est à l’image de son cinéma : une œuvre ouverte qui ne s’inscrit pas dans un schéma, dans une grille définitive ; une œuvre  à l’échelle d’un continent, le continent africain dont il transforme les blessures en poèmes et les  cicatrices en promesse de bonheur…d’ailleurs c’est le socle de son identité, le paradigme essentiel de sa pensée L’Afrique…il est alors tout à fait légitime de lui rendre hommage ici à Khouribga, le bastion historique de la cinéphile marocaine qui a choisi très tôt de fêter le cinéma africain, de montrer ses films et de dire à ses pionniers : on n’oublie pas ; en célébrant Abderrahmane Sissako ici et maintenant nous célébrons l’Afrique notre mère nourricière,  le creuset de notre imaginaire commun ; le titre générique de notre horizon…

Abderrahmane Sissako a choisi de dire son africanité par le langage de son temps, le cinéma, les images… Au moment où l’Afrique était pratiquement le dernier continent à rejoindre la carte du cinéma mondial. Venu de la Mauritanie profonde, il traversa les frontières à la quête du savoir…traçant en filigrane le scénario de ses créations futures, celle de l’homme moderne confronté à l’horizon incertain ; l’homme nomade comme métaphore de la modernité

Après de brillantes études de cinéma au pays du montage et de la sacralité des images je veux dire le pays qui a donné au cinéma mondial Eisenstein et Tarkovski, Abderrahmane Sissako choisit fondamentalement de mettre son savoir et son savoir-faire au service du cinéma africain. Il entame son parcours par un titre emblématique Octobre, film tourné avec le chef opérateur de Tarkovski dans André Roublev. Octobre est traversé de questions que nous retrouverons déclinées autrement et différemment dans la filmographie en devenir : l’altérité, la quête de reconnaissance, la rupture douloureuse et peut être nécessaire…le film séduit, il décroche le premier prix au festival de Milan en 1994. Le cinéaste a alors trouvé sa voie ; après l’expérience du court il revient à Milan en 1999 pour décrocher le prix du meilleur long métrage avec La vie sur terre ; un film né dans le sillage d’un nouveau millénaire, occasion pour Sissako de revisiter un village malien, métonymique de tout un pays de tout un continent de tout un destin pour dire à la lumière d’un grand poète Aimé Césaire, la détresse et l’abandon. Dialogue de deux poètes à l’aube d’un siècle qui vient…le cinéaste africain assume ce choix ; il est reconnu comme une nouvelle voix qui rejoint celle des maîtres : Sembene Ousmane, Souleymane Cissé, Djibril Diop Mambety… les jalons de l’universalité d’un cinéma émergent

Pour  Adberrahmane Sissako l’entrée par la grande porte du cinéma mondial sera celle  la Croisette.  En 2002 pour En attendant le bonheur, lauréat du Prix de la critique internationale, dans lequel il dénonce l'impuissance des pouvoirs publics africains et les politiques anti-immigrations des pays occidentaux. L’échange inégal des relations Nord / Sud sera une nouvelle fois abordées en 2006 dans Bamako, fable humaniste projetée à Cannes en Sélection Officielle Hors Compétition. Un grand film au sens plein du mot, une construction cinématographique originale qui se joue des frontières factices entre documentaire et fiction ; une rhétorique qui puise dans la tradition orale africaine pour mettre en place un dispositif (la cour) où les rôles et les échanges obéissent à une dramaturgie mais aussi aux règles du quotidien ; avec des moments forts d’émotion, d’empathie et d’éloquence comme cette séquence du paysan qui vient dire son malheur dans sa langue ancestrale et que le cinéaste a eu l’intelligence de ne pas sous titrer car le discours crevait l’écran au-delà des normes linguistiques…Pour Sissako, un cinéaste africain, c’est un artiste venu d’un territoire presque désertique, du point de vue de son art. Quand il arrive à faire un film, il est envahi par le sujet qui devient politique. C’est comme s’il devenait porte-parole. Dans, Bamako, Sissako parvint à neutraliser cette fatalité et son point de vue sur le monde et d’abord un point de vue sur le cinéma…d’où cette sollicitation qui le met au cœur d’une riche activité professionnelle ;

En 2007, par exemple,  il préside le jury du festival Premiers plans d’Angers ; c’est l’année également où il fera partie du jury de la compétition officielle de Cannes. L’année suivante il présidera le jury de la Femis et il viendra aussi à Khouribga  pour présider son jury.

Cette présence multiforme est portée par une générosité et une disponibilité à toute épreuve : il est sans cesse en solidarité permanente avec ses collègues africains profitant de sa notoriété et sa présence dans des commissions d’aide pour mettre en valeur le cinéma africain et encourager les cinéastes de notre continent. La jeunesse en particulier est au cœur de sa démarche de citoyenneté cinématographique africaine ; j’ai eu la chance et le plaisir de constater sur place à Nouakchott l’énorme engouement qu’il a suscité pour le cinéma chez les jeunes mauritaniens grâce à l’initiative de lancer une structure civile et cinéphile la maison des cinéastes qui est devenue rapidement la locomotive d’une riche activité cinématographique prometteuse avec notamment la Semaine nationale du film qui permet à cette jeunesse de montrer ses films et de les confronter à d’autres regards et à d’autres expériences, tout au milieu de ce havre de création une immense photo de Abderrahmane Sissako est dressée comme un geste de reconnaissance et de filiation. Les cinéastes de la nouvelle génération ne tarissent pas d’éloge à son égard et citent plein de projets avec lui, j’en ai retenu un qui continue à me faire rêver Aderrahmane pense en effet à l’organisation des rencontres cinéma et poésie au cœur du désert de Changuit là où le silence parle au silence et les étoiles éternelles illuminent les rimes du poème qui vient.

« Et maintenant, je me dirais à moi-même, à mon corps aussi bien qu’à mon âme : et surtout gardez-vous de croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur car la vie n’est pas un spectacle, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse » in Cahier d’un retour au pays natal  par Aimé Césaire.

Pour finir Si Abderrahmane, à l’image du paysan de la cour de Bamako je te dirai dans la langue de mes ancêtres tanmirt immimen d tragat n jdiguen é gmatnnekh abderrahmane ; et là aussi on ne va pas traduire.

Merci à toi

Merci à Khouribga

Mohammed Bakrim

Critique de cinéma directeur de la rédaction du magazine Cinémag

Khouribga, 30/06/ 2012

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