mercredi 15 avril 2020

les chiffres 2019 du cinéma


Cinéma : Brahim Chkiri bat Joker !
La tradition est respectée ; le CCM est fidèle à son rendez-vous annuel, en marge du festival national du cinéma, en présentant les chiffres du cinéma marocain pour l’année 2019. L’exercice est maintenant parfaitement rodé et fait désormais partie du rituel inhérent au festival. Le document (version numérique disponible sur le site du CCM) est une mine d’informations. C’est aussi un formidable outil de travail à la disposition des chercheurs, des observateurs de la chose cinématographique. Pour la profession c’est un moment de jeter un coup d’œil  au rétroviseur pour connaître, savoir ou tout simplement découvrir ce bilan « de santé ». Pour le cinéphile, le critique de cinéma, le journaliste professionnel …ce sont des données chiffrées officielles qui permettent de juger sur pièce, et de bâtir une analyse, non pas sur des impressions, des rumeurs mais sur une véritable radioscopie du champ cinématographique marocain. D’autant plus qu’avec l’accumulation des données, une année après l’autre, des perspectives se dessinent propices à des lectures au-delà de l’instantané vers une vision sur la longue durée.
Comment se présente alors l’année 2019 ? On a le choix d’aller dans le sens de la moitié vide ou pleine du verre. L’organisation du document en rubriques autonomes permet néanmoins plusieurs options. On peut ainsi ouvrir un focus sur ce qui constitue l’épine   dorsale d’un marché de cinéma, l’exploitation. Les chiffres des entrées demeurent très modestes mais on constate pour l’année écoulée un léger frémissement positif avec une augmentation sensible passant de 1.562.350 pour 2018 à 1.883.425 enregistrant des recettes guichet de l’ordre de près de 93 millions de dirhams. Plus de 300 mille spectateurs de gagnés, c’est une bonne nouvelle dans un paysage habitué aux indicateurs négatifs. Pour le directeur du CCM, cette amélioration s’explique en partie par l’ouverture de nouvelles salles. De nouvelles formules ont vu en effet le jour, notamment à Rabat. Des formules qui ont dynamisé un parc marqué par une certaine léthargie due aussi bien à l’absence d’une politique gouvernementale volontariste dans le domaine et aussi par les mutations que connaît le marché de la circulation des images avec un nouveau public aux mœurs post-salle de cinéma. Je rappelle mon hypothèse en la matière : nous sommes passés de la situation où il n’y avait plus de public parce qu’il n’y avait pas de salles de cinéma à la situation où il n’y a plus de salles de cinéma parce qu’il n’y a plus de public. A moins bien sûr de multiplier les formules et de varier l’offre pour séduire un public volatile, formaté par le flux visuel ininterrompu, dont le degré d’attention autour d’une image mobile ne dépasse pas les 9 secondes !
Quels sont alors les films qui ont bénéficié de ce léger frémissement positif ? On peut dire  que les années passent et se ressemblent : c’est encore une fois une comédie marocaine qui arrive en tête du top trente. Il s’agit de Massoud, Saida et  Saadane de Brahim Chkiri (désormais un habitué du box office) qui a réussi à drainer près de 170 000 spectateurs. Il arrive ainsi à battre, de justesse, Joker, le phénomène cinématographique de 2019.
 Plus révélateur encore, sur les trente premiers films du box office  on note la présence de  cinq autres « comédies » marocaines avec des fortunes diverses : Taxi bied, deuxième film marocain, sixième au box office total, ne réalise que le tiers des entrées du film de Chkiri !
Le premier film « d’auteur » à faire son apparition au box office est Nomades d’Olivier Coussemacq avec à peine 10 mille entrées. Un déséquilibre radical qui confirme notre analyse initiale sur la disparition du cinéma du centre, le fameux réalisme mélodramatique du « groupe de Casablanca ».
D’autres chiffres sont encore plus révélateurs de l’état dérisoire de la cinéphilie dans un pays qui compte plus de 60 festivals de cinéma ; car normalement le rôle d’un festival est de former un public pour un cinéma, un cinéma différent surtout. C’est ainsi que La guérisseuse, film qui a triomphé en mars 2019 au festival national du film a été vu par 1853 spectateurs. Quant à Adam, auréolé de plusieurs prix internationaux avec   une participation à Cannes, un sujet sociétal d’actualité, sorti en août, il n’a enregistré que 109 entrées. Dans ce tableau chaotique, je salue les 6 mille spectateurs, quand même,  qui sont allées voir un film fort, à la démarche particulière, De sable et de feu de Souheil Benbarka.  

confinement


Lire, voir, écouter…méditer
Le confinement renvoie à première vue à une situation statique synonyme notamment d’inactivité. Mais c’est juste une impression…fausse de surcroit ! En effet le confinement peut se conjugue  dans une série de verbes d’action, les plus pertinents sont : lire, voir, écouter…et, autant que possible se peut, écrire.
Il faut lire. Sur support papier de préférence, se déconnecter des réseaux ; s’émanciper de ce que nous impose l’algorithme. Lire car l’intelligence se développe sans cesse par la variété du menu que nous lui servons. Elle risque la sclérose si elle n’est servie que des mêmes ingrédients…les réseaux dits « sociaux » par exemple. Il faut lui proposer un programme généreux : lire, voir, somnoler, contempler, fixer le vide…bref être curieux. Sauf qu’en plus, la lecture revêt de plus en plus une dimension stratégique et relève de mesure de salubrité publique
Il faut en effet transformer toute opportunité conjoncturelle, par exemple le confinement aujourd’hui, le ramadan demain inchallah,   en une occasion historique pour lire, voir, écouter…pour interroger les principaux paradigmes de la pensée ou du moins les concepts véhiculés par le discours quotidien et qui meublent l’horizon de l’action sans grande conviction. Des concepts dont la pertinence de  l’usage est inversement proportionnelle au sens que chacun lui prête. Une forte visibilité sans grande lisibilité. Donnant alors souvent l’impression d’une coquille vide qui renvoie à un désir d’évacuer le débat d’un contenu réel.
Cette stratégie n’exclut pas le plaisir, il en est même, si j’ose dire, le carburant. Le plaisir de prendre un livre entre les mains ou celui de voir le générique de début qui ouvre un film…deux moments qui instaurent un horizon d’attente ouvert sur le rêve, l’imagination et la réflexion.
Quel programme alors s’offrir ? Je défends l’idée de la variété et de l’éclectisme. De l’ouverture et de l’altérite. Pour les films comme pour les livres et la musique j’alterne en ce moment les genres, les formes, la langue d’expression. Polar, essai, fiction, documentaire…comédie, western, thriller…musique classique, populaire.
Côté roman policier, je reste fidèle à mon auteur préféré, Michael Connely, le plus grand auteur de polar non seulement aux Etats-Unis mais dans le monde.  Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, rattrapez vite ce retard en commençant par son chef d’œuvre, Le Poète. Pour ma part j’en suis à un huitième roman de sa riche production. Il s’agit de Une ville en feu où l’intrigue, toujours efficace s’inscrit, dans le contexte des émeutes qui avaient mis Los Angeles à feu et à sans au début des années 1990.
Le polar côtoie sur ma table Les mémoires de feu Abderrahim Bouabid, « Témoignages et réflexions ». Un premier volume couvrant la période 1944- 1961 comportant une première partie avec le regard de cet acteur majeur de la vie politique marocaine contemporaine et une partie proposant des documents historiques (notes, rapports, déclarations de leaders…) venant étayer et illustrer les propos de Maître Bouabid. Avec notamment le récit palpitant de l’épisode crucial de la gestion de la fin du protectorat et le retour de feu Mohammed V.  Une plongée dans les méandres de pratiques politiciennes, chargées de malentendus, d’ambigüités et de manipulations qui marqueront à jamais le devenir du pays.
Un autre livre de souvenirs,  Une vie de cinéma de Michel Ciment, célèbre critique de cinéma français et directeur de la revue Positif. Cinéma toujours avec une excellente monographie d’un cinéaste américain controversé «  Elia Kazan ou la confusion des sentiments (ouvrage collectif). Auteur au sens plein du mot mais dont la carrière a été longtemps entachée par l’épisode de son témoignage contre ses amis devant la commission maccarthyste. Encore une fois le débat sur l’homme et son œuvre.   
Côté voir, je vous invite tout simplement à profiter à fond de l’initiative citoyenne du Centre cinématographique marocain qui a mis en ligne une vingtaine de films marocains offrant un large panorama de la variété et de la diversité du cinéma marocain qui va de Abdelah Ferkouss à Tala Hadid. 


Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...