samedi 21 mai 2016

Vaudoo, la nouvelle bédé de Hicham Lasri


Retour aux sources

Entre deux films, un roman, une pièce de théâtre et éventuellement une commande de télévision, Hicham Lasri revient à ses premières amours, la bande dessinée. Et dans son cas il faut parler du neuvième art. Il vient en effet de terminer un album Vaudoo où un personnage de bédé justement devenu apatride « outcast, un citoyen du vide » tente de revenir dans une case et se présente à un casting. Comme pour son cinéma, on ne peut que présenter un synopsis approximatif de ce qui passe pour des véritables sables mouvants du sens. C’est le travail dans sa totalité qui fait sens.
On sait qu’au départ, Hicham Lasri aimait dessiner, ses premiers articles critiques, fin des années 1990, étaient souvent accompagnés de dessins comme dans un faisceau de signes multiformes. Devenu cinéaste, ses films sont traversés de cette culture originelle, initiale ; les comics ont nourri son regard. Son imaginaire est d’abord iconique, visuel. Le Vaudoo d’aujourd’hui constitue dans ce sens une sorte de rappel de cette filiation. Cette bande dessinée n’apparaît pas comme une pause distractive mais  un prolongement d’une réflexion globale (sur le rapport aux images au storytelling) par d’autres moyens.  Un retour aux sources de la représentation visuelle : le  cinéma et la bande dessinée ont eu un destin croisé dès les origines. En reprenant le dessin, c’est une continuité de la réflexion sur le cadre, la place du corps dans l’espace, sur le trait. On ne peut alors ne pas relever que cela intervient dans un contexte de bouillonnement des images, où l’image vidéo notamment est tombée dans le domaine public. Hicham Lasri ouvre alors une « case » pour interroger la légitimité des images aujourd’hui.

 « Le style est dans les détails » nous dit Gérard Genette, le théoricien de la narratologie. Dans Vaudoo on est quand même captivé par le parcours de ce personnage qui cherche à remplir une bulle, mais ce sont surtout les détails de chaque planche qui nous invitent à un parcours de sens. C’est le dessin lui-même qui est un fait de style. Comme dans son cinéma, on n’est pas ici dans une posture réaliste qui neutralise la forme.  La dimension plastique l’emporte sur la dimension réaliste. Dès le générique on est introduit dans un univers étrange où il faut se doter de ses propres repères. La préface est illisible pour le lecteur lambda, et des pages noires insinuent le domaine de l’étrange. Pour accéder au sens ou plutôt à une hypothèse de sens, il faut prendre son temps et donner au détail sa mesure. Le détail n’est pas un ornement (le portrait de Hassan II instaure par exemple une piste de lecture et de filiation avec des films précédents de Lasri). Tout fait sens. Il n’y a pas de degré zéro de l’expression : le trait, le vide…la graphie est en soi un discours. L’énonciation fait irruption dans l’énoncé. Le dessin renvoie au geste qui l’a fait naître.  Il s’inscrit dans le cadre de la polyphonie textuelle jouant sur les ruptures signifiantes, les contrastes, les dissonances (du gros plan à l’insert au plan large… entre autres). Et comme dans ses films, il multiplie les clins d’œil, les citations graphiques.  Il invite le lecteur à mobiliser son background culturel et visuel. Devant une planche ou devant un film, Hicham Lasri interpelle notre mémoire. 

lundi 16 mai 2016

le héros dans le cinéma marocain

Une  figure absente du cinéma marocain
Avons-nous besoin de héros ?


Il y a quelques jours, j’ai été invité à faire partie d’un comité de visionnage de « films » « produits » et « réalisés » par des élèves d’établissements secondaires dans le cadre d’une semaine du film éducatif organisée par une des mairies de Casablanca. Je n’ai pas perdu mon temps. J’ai été d’abord frappé par la fraîcheur du jeu des apprentis comédiens, leur grande aisance devant la caméra et une certaine audace à reproduire le réel dans sa violence physique et symbolique. Mais ce qui m’a le plus frappé au-delà de toute appréciation technique et artistique des films présentés (dans tous les cas de figure, ce n’était pas pour moi un enjeu primordial) c’est la grande similitude dans les thématiques abordés, dans l’expression du rapport à la société…et dans ce sens les cinéastes en herbe sont dans une parfaite symbiose avec l’univers représenté par le cinéma de leurs ainés professionnels. La même ambiance de noirceur, de pessimisme social, d’enfermement et de désespoir traversent les âges pour proposer une même vision d’une société en crise. A Tanger, pour le festival national du film, comme pour ce concours du film scolaire, l’imaginaire collectif de notre société est reproduit à travers la récurrence de certaines figures, de certains thèmes et motifs. Comme au niveau de la structure dramatique globale. Par exemple, l’absence du personnage qui se transforme dans un sens positifs, l’absence de happy end. Et pour tout dire, ici et là, chez les amateurs comme chez les professionnels, j’ai relevé le même paradigme au niveau de la dramaturgie cinématographique, absence de héros, et prédominance d’anti-héros.
Dans un article célèbre et qui remonte au début des années 1980, le critique de cinéma tunisien (devenu cinéaste depuis) Férid Boughedir avait fait un constat qui semble toujours d’actualité : »la garnde majorité des films marocains semblent refléter une vision nettement pessimiste, au moins sur un point : tous leurs héros sont des loosers, des perdants, d’éternelles victimes… ».
Hier comme aujourd’hui, le cinéma marocain ne propose-t-il que des anti-héros ? Avons-nous besoin de héros ?
Toutes les sociétés ont connu et ont produit des héros. Cela répond à un besoin où se croisent la psychologie, la sociologie et l’anthropologie. Les racines du mot grec « herôs » signifient « demi-dieu », Hercule par exemple. En latin, on revoie à la baisse la définition et héros signifie « homme ou femme de grande valeur ». la référence en la matière étant Ulysse. Mais on reste dans la légende. Reste à transposer cette approche historique dans notre contexte socio-culturel…avec les références adéquates. On peut élargir la conception en disant que le héros est celui qui va quelque part, là où les autres ont peur  d’aller…
 Il n’en reste pas moins que le besoin de héros comme le désir de fiction sont des paradigmes universels. Depuis la nuit des temps, les groupes humains ont créé des héros pour y projeter  leurs idéaux et valeurs ; et surtout pour donner sens à leur existence. Les héros permettent de faire résonner nos angoisses et nos espoirs dans des récits fondateurs. Le psychologue Jung affirme que « le héros appartient aux images archétypes présentes dans notre inconscient ».
Dans notre culture contemporaine, le cinéma est un formidable révélateur de la vision du héros et de ses différentes variantes exprimant l’imaginaire d’une société donnée. Le cinéma américain peut passer pour un modèle dans la construction du héros conquérant. Non seulement, il exprime une conception du temps et de l’espace que l’Amérique se donne en cohérence avec son histoire faite autour du mythe de la frontière mais il permet également à l’Américain spectateur de cinéma d’entrer dans un  processus d’identification. Les travaux de la sociologie de la réception (Jauss notamment) mettent en avant la dimension positive du phénomène d’identification comme horizon de toute expérience esthétique.

Que propose le cinéma marocain à son spectateur natif ? quelles sont les figures héroïques produites par le cinéma marocain ? Le constat est négatif, le cinéma marocain est un cinéma de la distanciation avec pour ses films phares une esthétique postmoderne qui privilégie la figure de l’anti-héros, privilégiant la marginalité, l’absence de projet éthique et n’hésitant pas à privilégier la fin au détriment des moyens pour l’atteindre. Tout processus d’identification est écrasé comme velléité bloquant de surcroit le processus de catharsis inhérent à toute grande œuvre artistique. Ce n’est pas un hasard si les réseaux sociaux  se réveillent chaque matin avec de nouveaux héros créés de toute pièce par des consommateurs en manque. Tant pis si ce sont des bulles qui s’évaporent et s’effacent de la mémoire dure 

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...