vendredi 15 février 2019

De quelques événements sans signification

photo de la version restaurée du film
                                                                
                                                          
Mostafa Derkaoui est une figure marquante de la cinématographie marocaine. Il en est tout simplement l’un des emblèmes. Après des études de cinéma à Lodz en Pologne, il rentre au Maroc en 1973. Comme un certain nombre de ses collègues, jeunes lauréats de grandes écoles de cinéma européennes, il rejoint le CCM. Mais dans son cas,  se fut pour une courte durée. Un indice sur un caractère et une personnalité. Il fonde alors une société privée  de production qui va lui permettre d’entamer la réalisation de son premier long métrage, Quelques événements sans signification. Le film lui-même sera « un événement » et porteur de beaucoup de significations. Nous sommes en 1974, l’ambiance générale dans le pays n’est pas sereine. « C’est une époque marquée notamment par les arrestations et les procès politiques à l’égard des militants de l’extrême gauche » nous précise Larbi Bellakaf, producteur et ami de longue date de Mostafa Derkaoui. En d’autres termes, ce n’était pas une ambiance idéale pour la sortie d’un film « extrémiste » comme De quelques événements sans signification.  Pour filer cette métaphore politique, le film est « radical"  dans sa forme et dans son contenu. A comprendre dans le sens où il va à l’encontre des schémas narratifs dominants. Mostafa Derkaoui a choisi, pour son premier essai de reprendre le cinéma là où il est arrivé avec les nouvelles avant-gardes européennes, le cinéma indépendant américain et le nouveau cinéma d’Amérique latine. L’intrigue classique est neutralisée au bénéfice d’une quête qui joue sur la mise en abyme filmique puisque nous sommes en présence du dispositif qui nous montre un film dans un film. Une équipe de cinéma cherche à réaliser un film sur le cinéma marocain tombe par hasard sur un crime et décide de suivre l’affaire. Il s’agit du procédé de détournement du récit policier classique au bénéfice d’une narration qui neutralise les codes de genre, creusant un écart avec l’horizon d’attente du spectateur habitué au cinéma dominant…au point de déranger le ministre de l’information de l’époque qui décide d’interdire le film. « Il ne faut pas que ceci voit le jour » ; après moult tractations, il ramena sa décision à une interdiction à l’exportation (sic).

De quelques événements sans signification fait partie aujourd’hui des films cultes de notre mémoire cinéphilique.  Il est porté par une démarche esthétique qui n’est pas sans rappeler le cinéma de Cassavetes, la figure emblématique du cinéma indépendant et radical américain. Mon hypothèse est que « De quelques événements sans signification » de Derkaoui est frère de combat de  Faces de Cassavetes (1968). On y retrouve en effet le même souffle contestataire qui bouscule le langage cinématographique standardisé. Une radicalité qui commence en fait avec le dispositif même de production tout à fait original. La lecture du générique du premier film de Mostafa Derkaoui est en soi un manifeste pour une nouvelle manière de faire le cinéma. Tout ce que le pays compte comme intellectuel est quasiment impliqué d’une manière ou d’une autre dans le film. Des peintres célèbres sont associés à la production. Le film s’ouvre in medias res ; sans scène d’exposition classique. Une série de plans rapprochés ; une multitude de visages, cheveux longs et rebelles ; barbes révolutionnaires ; la bande son en contre-point joue sur un autre registre. La caméra, portée à l’épaule est toujours en mouvement ; suit tel acteur puis rebrousse chemin pour en suivre un autre. La caméra est impliquée dans ce corps à corps. Le montage imprègne un autre rythme et qui ne fait pas du raccord un dogme ; il privilégie plutôt le télescopage des plans.  On part sur un mouvement esquissé par un acteur, pour brusquement enchaîner sur un autre  dans une suite de gros plans et d’inserts qui dialoguent autrement.
Férid Boughédir, le critique de cinéma tunisien qui avait co-dirigé le numéro 14 (printemps 1981) de CinémAction,  consacré au cinéma maghrébin, avait émis des réserves à l’égard du style du film « D’aucuns affirment que l’hermétisme ou le symbolisme de certains films intellectuels sont parfois dans le tiers monde, la seule façon de détourner la censure en présentant masqué ce qu’on ne peut dire directement. Si dans certains cas, cet effort débouche sur des découvertes éclatantes, dans d’autres il aboutit aussi au pire des confusionnismes » écrit-il en substance…Sauf que dans ce cas marocain « l’hermétisme » supposé du film n’a pas empêché les décideurs de l’époque de bien comprendre son message et de l’empêcher finalement à tester son rapport au public

1 commentaire:

idinajaelee a dit…

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