samedi 24 janvier 2015

Quand Faouzi Bensaïdi filme les salles de cinéma

Des ruines, des ombres et des fantômes

Ça passe à la télé, mais c’est du cinéma. C’est un requiem cinématographique que Faouzi Bensaïdi compose dans son documentaire, Une certaine idée du cinéma, consacré aux salles de cinéma au Maroc. Une image vaut mille mots aime-t-on dire ; c’est souvent faux car les mots restent incontournables pour mettre un énoncé en perspective…mais c’est parfois juste et c’est ce qui donne toute sa légitimité et sa pertinence au « genre » documentaire surtout quand il est écrit, pensé, fait, réalisé avec les outils du cinéma ; surtout quand il cherche non pas  à capter les choses vraies mais à cerner la vérité des choses. Lundi soir on en  une preuve dans la rubrique Tiarat de Tvm.
 Qu’est-ce qu’on n’a pas asséné comme vérité à propos des salles de cinéma et de leur détresse dan notre paysage social et culturel ? C’est devenu quasiment un cliché toujours récupéré par le discours public paresseux et par un traitement médiatique Kleenex : on consomme instantanément et on passe à autre chose…
D’où la première pertinence du documentaire de Bensaïdi, celle de nous dire  en quelques plans (par exemple le montage sidérant des photos du cinéma Régent) ce que la rhétorique oiseuse du discours ambiant peine à formuler malgré sa récurrence à l’occasion d’un festival, d’une journée nationale, du rituel fétiche des assises ou tout simplement face à un micro de télévision…Une télévision qui rit sous cape, n’est-ce pas quand une salle ferme, ce sont des spectateurs en moins pour le cinéma et donc des télé-spectateurs en plus ! Sauf quand un cinéaste prend la parole/ prend l’image de la télé pour la contourner au bénéfice d’un discours qui dit l’hommage à la salle de cinéma…à travers de lieux ; des êtres, des images et des idées et surtout à travers le souvenir du cinéma lui-même. L’ouverture du film pose ainsi les jalons de ce que le cinéma fut et ce qu’il est advenu.
 Le film  de Faouzi Bensaïdi offre ainsi plusieurs niveaux de lecture. Il est d’abord un documentaire, original dans son écriture mais reste « documentaire » en répondant à un cahier de charges,  réponse à une commande institutionnelle, en l’occurrence celle de la SNRT, où il s‘agit de dresser un constat sur l’état des lieux. Le film y répond brillamment et nous livre un constat accablant de la dégradation du parc des salles, à travers des images, des témoignages…Mais il ne s’arrête pas là. Le film n’aborde pas le cinéma d’une posture neutre, un observateur qui vient enquêter sur un objet déterminé. Non, le film va plus loin en donnant au documentaire une autre dimension, celle d’un documentaire de cinéma. Il parle du cinéma à partir du cinéma. Il revendique sa filiation cinématographique d’abord par un choix d’écriture qui emprunte les outils de la fiction cinématographique pour transcender le réel : le cadre, les mouvements d’appareil, l’irruption d’un regard relais, celui du cinéaste dans un rôle qui relève plus d’une apparition que d’une réalité   ; ensuite en enserrant son investigation dans un faisceau de signes cinéphiliques qui vont de Fellini à Godard avec des clins d’œil et des citations sonores et visuelles (y compris des autocitations : Mille mois, WWW…) qui font in fine du film une partition…aux allures d’un requiem. Car il y a bel et bien, mort. Mort d’une certaine idée du cinéma à travers le symbole de la salle. Les images de la dernière séquence sont d’une éloquence éblouissante : face aux images du cinéma, concept publicitaire ou objet de consommation « pop corn » dans un multiplexe ;  face aux images splendides du champ de blé moissonné… je me suis dit Faouzi Bensaïdi fait du Godard et voilà qu’une image vient comme une signature en faisant référence à la célèbre rencontre de Godard et Fritz Lang autour du film Le mépris…un régal pour les yeux, les oreilles. Pour l’intelligence. « Le cinéma substitue à notre regard, un monde qui s’accorde à nos désirs », André Bazin revisité par Godard. Le regard de Bensaïdi dans le film qui se suppose à l’objectif de la caméra face à un monde qui s’en va.
C’est du cinéma qui réhabilite la télévision. Un point d’honneur à Tvm qui a fait preuve d’ouverture d’esprit malgré une légère intervention de Big Brother qui a coupé une réplique de l’une des intervenantes du film (censure sonore désormais à la mode depuis le cas d’Exodus) !  Néanmoins, la télévision soucieuse du nombre de plans par minute, le fameux NPPM, a permis une démonstration de ce que la définition d’un documentaire, qui passe d’abord par une autre logique temporelle : dans le film de Bensaïdi, le plan prend son temps…on n’est pas dans un reportage allongé ; on n’est pas dans la monstration, on est dans la démonstration. Celle-ci est avérée, entre autres, dans le rapport au sujet ; le film sur les salles est un formidable hommage aux femmes et aux hommes qui ont longtemps donné vie à ces salles. Faouzi Bensaïdi n’a pas son pareil pour filmer les humbles, les sans voix…et dans ce sens, les images du projectionniste  qui se livre à une démonstration sur le passage du chimique au numérique, avec ses mots, ses silences, ses regard, est un moment de grande émotion.

Le film est un document qui mérite, outre sa (re)diffusion, une autre forme de distribution. Espérons que Tvm édite cette série « tiarat » dans un coffret DVD pour permettre à ces documentaires de durer…La télévision, ne l’oublions pas, «  fabrique de l’oubli », Godard encore. C’est lui qui dit aussi « la télévision ce n’est pas des images justes, c’est juste des images ». Ce soir-là, ce sont des images justes. Et indélébiles ; 

Le documentaire à la télévision

Le documentaire peut-il sauver la télévision ?
Il y a comme un engouement insolite pour le documentaire dans la programmation des chaînes de télévision du pôle public. Peut-être que d’un point de vue historique stricto sensu, il est plus juste de parler d’un retour d’intérêt pour le documentaire sur nos télévisions. Il y a en effet  toute une histoire à écrire à ce propos. L’histoire se répète-t-elle ? Un grand Monsieur avait dit que quand elle (l’histoire) revient, c’est sous forme d’une farce. Attendons pour voir.
Il y a ainsi 2M qui a ouvert tout une fenêtre pour le documentaire à un créneau horaire très porteur, le dimanche en seconde partie de soirée. Un moment idoine dans notre contexte socio-culturel. Des Histoires et des Hommes (même si les femmes sont omniprésentes) a très vite séduit et ramené un large public pour un genre taxé un peu rapidement d’élitiste. Le film de Dalila Ennadre, Des murs et des hommes a rencontré un immense succès chez de larges couches de la population cathodique. Pour 2M, ce fut une bonne option qui lui a donné de l’appétit au point de réaliser une OPA sur un festival de documentaire, le FIDA-DOC d’Agadir, devenu la vitrine de la chaîne de Ain Sbaâ et son magasin pour le shopping du dimanche... Si c’est pour la bonne cause, tant mieux.
La première chaîne n’est pas restée loin de ce filon en lançant un moment original au titre maladroit « Tiarat » (tendances) qui renvoie plutôt à une émission politique qu’à un programme de documentaire. Ce titre générique accueille des documentaires produits par la chaîne en partenariat avec Ali’n production, la société de Nabil Ayouch. Deux points font son originalité jusqu’à présent : chaque « épisode » en fait chaque film d’une soixantaine de minutes est construit autour d’une thématique particulière. Lundi dernier (19 janvier) c’était à propos des salles de cinéma ; une  autre fois c’était autour des acteurs au Maroc. La deuxième originalité est que chaque opus est confié à un cinéaste (Zakia Tahiri pour les acteurs, Faouzi Bensaïdi pour les salles). Très bien sommes-nous tentés de dire et même d’ajouter : Pourvu que ça dure !
D’où vient cet engouement subi pour un genre, longtemps ignoré ?  C’est la conséquence de la crise au sens large : la crise du sens dans le monde ; la crise de la fiction face à la complexité du réel et la crise identitaire de la télévision qui se cherche une  nouvelle virginité.  Le documentaire se présente alors comme une planche de salut, une manière de redorer le blason. Sauf que le documentaire va très vite fonctionner comme révélateur des lacunes structurelles (politiques et culturelles) des uns et des autres.

Soulignons en outre un paradoxe qui atténue l’enthousiasme des cinéphiles : l’option pour le documentaire a fait une victime collatérale : la programmation cinéma en général. Celle-ci est devenue le parent pauvre des deux chaînes publiques. Le documentaire n’est venu hélas que pour camoufler le repli de la télévision sur d’autres zones éditoriales. Un ersatz des télé-poubelles qui viennent du nord (M6 et TF1).

dimanche 18 janvier 2015

Timbuktu : on achève bien les gazelles


On achève bien les gazelles
Il faut saluer de prime abord l’initiative de sortir un film estampillé « auteur » et « cinéma du sud »…c’est-à-dire un cinéma que  le public n’a pas souvent l’occasion, en dehors du festival de Marrakech et de certaines autres manifestations, de voir et d ‘apprécier.  Le cinéma Abc à Casablanca, la Cinémathèque Rif de Tanger programment en effet le nouveau film franco-mauritanien, Timbuktu de Abderrahmane Sissako. Une première.  Pour la Cinémathèque de Tanger qui fonctionne en contre-champ de la distribution dominante, Timbuktu figure en bonne compagnie puisque la programmation de ce mois comprend également d’autres titres nobles comme Le sel de la terre, le très beau documentaire de Wim Wenders ou encore Winter Sleep le coup de cœur cannois de cette année de l’enfant doué du cinéma turc Nuri Bilge Ceylan ; également le prodigieux Sur la planche de Leila Kilani…heureux qui comme les tangérois ! Les cinéphiles des autres villes formulent l’espoir de voir cette programmation circuler à travers le pays via un réseau qui serait le noyau d’un parc de salles « Art et essai » que nous appelons de nos vœux depuis des lustres ; un noyau est déjà là avec le Rif de Tanger, Septième art de Rabat, l’Abc de Casa et le Colisée de Marrakech…en attendant d’autres contrées.




Un film comme Timbuktu mérite en effet de rencontrer et d’être confronté au regard d’un public qu’il dessine en filigrane de son tissu narratif. Le thème du film relève de la catégorie « sujet de proximité » puisqu’il a pour cadre les événements sanglants qu’a connus le nord du Mali, c’est-à-dire, prtiquement le sud du Maroc avec notamment l’occupation de la ville de Timbuktu ! Proximité aussi avec son univers de référence multiculturel avec au centre la présence de l’amazighité et de la langue amazighe parlée par une partie essentielle des protagonistes du film, les Touaregs. Dans un très beau plan du film, Kidane le héros tragique de ce récit, se retrouve arrêté suite à un meurtre. Inquiet du sort de sa famille, il essaie de communiquer avec ses gardiens djihadistes pour leur demander d’entrer en contact avec les siens ; il demande alors : «  Y a –t-il quelqu’un ici qui parle tamazight ? », filmé en plan rapproché, regard caméra,  comme si en fait il s’adressait hors cadre et non plus hors champ, c’est-à-dire aux spectateurs, à vous à moi…au monde, dans un l’un des plus beaux hommages cinématographiques à la langue amazighe.
La violence qui a envahi nos écrans en ce début de l’année donne encore plus d’actualité au film. L’actualité du terrorisme au moment où le film traite du terrorisme. Mais la violence omniprésente et qui est à l’origine du sujet du film est évacuée du film au bénéfice d’un autre traitement. Timbuktu n’est pas une copie d’une construction hollywoodienne de la guerre contre l’axe du mal. Certes, Sissako a choisi de partir d’un fait dramatique de l’actualité, en liaison avec le djihadisme,  pour nous proposer un récit à la structure  tragique. Nous sommes aux antipodes de la dramaturgie du récit hollywoodien mis en vogue dans la série de films sur l’Irak, l’Afghanistan (avec des variations bien sûr comme l’Amérique sait si bien le faire à l’image du film «  décalé » Redacted de Brian de Palma).
Timbuktu est donc autre chose. Une première lecture le situe dans la géographie des blessures africaines qui traverse le cinéma de Sissako ; après Bamako, une autre ville malienne qui donne son titre à un film du cinéaste mauritanien et  son procès de l’échange inégal entre le Nord et le Sud qui écrase l’Afrique, vient Timbuktu, la capitale historique à forte charge symbolique qui dit la même blessure sur un autre registre, cette fois l’agression est presque « autochtone », mais avec la même continuité dans l’approche esthétique privilégiant la métaphore, le récit en abyme, la poésie des images. Cette agression, cette violence est illustrée à travers le sort de la ville Timbuktu. Ville qui va symboliser la fracture culturelle qui traverse la sphère de l’islam et de l’affrontement sanglant qui s’ensuit.  Timbuktu est en soi un programme « civilisationnel » ; elle est par essence ville de la culture, du savoir, du partage, de l’échange. Pour les fanatiques, le symbole à abattre, « la gazelle à achever ».  Elle est l’antithèse de leur dogmatisme. Elle est l’emblème d’un monde pluriel et cosmopolite qui dérange leur schéma monolithique et linéaire.
Sissako aurait aimé filmé sur les lieux mêmes du « crime », prendre des images de la ville symbole. Ce ne fut pas possible. Les Cahiers du cinéma ont voulu dire leur dépit par rapport au film en titrant l’article qui lui est consacré, « Timbuktu sans Timbuktu ». Le contexte de la guerre, les contraintes du calendrier de la production ne l’ont pas permis. Cependant, il a filmé non loin là, si proche pour que le film soit imprégné de cette atmosphère ; de ce climat. Cela donne au film une charge, un contenu, bref une « image » tout autre qu’un prolongement sur grand écran d’un énième reportage télé sur la guerre au Sahel. La structure temporelle, les couleurs, la configuration générale du drame (pas de manichéisme primaire) font de Timbuktu finalement une œuvre cinématographique, une œuvre d’art.   C’est-à-dire une œuvre qui nous séduit par ses propres éléments d’expression, l’image + le son,  pour nous inviter à intérioriser cette rhétorique qui nourrira notre propre réflexion sur le drame en cours. Le film ne s’inscrit dans une démarche didactique sur le terrorise, il nous livre un ensemble d’éléments dramatiques qui s’enchevêtrent pour dire la complexité, pour aiguiser notre intelligence. Je le situe dans ce sens dans la lignée de la réflexion bazinienne (André Bazin) sur  le rapport du cinéma à la vérité : il y a des récits de la vérité révélée et des récits de la vérité recherchée. Timbuktu se situe dans le deuxième registre.
La séquence d’ouverture donne le programme esthétique du film, et instaure un horizon d’attente pour la réception du film : un pick-up flanqué d’un drapeau djihadiste poursuit une gazelle avec des tirs à la mitraillette. «  Ne la tuez pas ! Il faut juste la fatiguer » crie une voie puis on enchaîne avec des images de tirs sur des statuettes d’un artisan malien.

Plus tard, nous aurons la traduction à échelle humaine, si l’on ose dire de cette traque. Installés dans la ville, les Djihadistes entament l’application de leur projet en se mettant à pourchasser les signes illustrant le désir (la musique, le rire, la cigarette…) mais en vain. Car la vie finit toujours par l’emporter par diverses stratégies. Des capacités de résistance apparaissent ici et là. Une très belle scène métaphorise tout ce duel : des jeunes miment un match de football dans une archéographie qui se laisse lire comme un hymne à la vie. La beauté même des plans constituent une réponse à la terreur qui se perd dans la confusion et l’hypocrisie à l’image de ce chef djihadiste (Abdelkrim) qui fume en cachette et perd tous ses moyens devant la beauté de Satima, la belle épouse de Kidane.  La beauté meurt et ne se rend pas

mercredi 14 janvier 2015

Une journée fériée pour Asggass amazigh

Le socle d’une société ouverte et plurielle

Le pays de Tamazgha célèbre le nouvel an amazigh, 2965. Yennayer continue ainsi à constituer l’un des repères temporels d’une culture séculaire ; loin de tout tapage médiatique ou récupération politicienne, le peuple amazigh a toujours perpétué cette tradition avec des rites festifs et symboliques qu’il puise dans la mémoire collective de tamazgha. Cette même mémoire qui a permis à une langue et une culture de braver le temps et les contraintes,  durant plus de trente siècles. Merci à nos mères…
Aujourd’hui, différentes composantes de la société civile amazighe  revendiquent que cette journée du yennayer soit fériée, chômée et payée à l’instar du jour de l’an des calendriers de l’hégire et  grégorien. D’emblée, c’est une revendication somme toute logique et de surcroit en pleine cohérence avec le nouveau Maroc issu de la constitution de 2011.  C’est en effet une autre manière de réconcilier la société politique et institutionnelle avec  son environnement immédiat, avec la réalité du pays.  Ce ne sera pas un jour de congé en plus, mais un geste politique qui devrait normalement s’inscrire dans toute une panoplie de mesures destinées à rendre visible et concret dans l’espace public, le choix plébiscité par les Marocains en adoptant le nouveau texte fondamental du pays qui a fait de la langue amazighe une langue officielle du pays.
Cette décision ne manquera pas d’ailleurs d’avoir un effet d’entraînement d’une autre nature.  En rapport avec la gestion de notre mode de vie. A commencer par des conséquences sur la gestion du calendrier des vacances officielles de notre pays. C’est l’une des vertus et non des moindres de la reconnaissance institutionnelle de la langue amazighe. Celle-ci, dans l’enseignement comme dans de nombreux secteurs,  aiguise l’intelligence et incite à sortir de la paresse intellectuelle…invite à se prémunir contre la sclérose. Chaque fois que l’on réfléchit à introduire l’amazighité dans nos pratiques publiques et institutionnelles, on bouscule l’ordre ancien, on innove, on s’ouvre sur d’autres horizons. Il en est  ainsi avec la proposition de faire du premier yennayer amazigh une fête nationale. Longtemps en effet le calendrier des vacances est resté figé et n’a jamais été soumis à une réflexion publique nourri de nouvelles donnes sociales. Avec la proposition d’une journée fériée dédiée au jour de l’an amazigh, l’occasion serait propice de revoir ce calendrier et le rendre plus rationnel, plus conforme à la réalité des attentes socio-culturelles. Il y a en effet des aberrations à corriger, des  réajustements à apporter et des omissions à rattraper.

L’amazighité est une chance pour notre pays. Elle renvoie à ce qui fait son ADN, à savoir le pluralisme, l’ouverture, la tolérance. Des années ont été perdues et des chances ont été ratées pour l’évolution positive de notre pays et l’épanouissement de ses populations par la faute de choix politiques obnubilés par des approches idéologiques dogmatiques. L’amazighité a été la figure emblématique de ce ratage historique. L’amazighité est l’expression de la blessure profonde qui traverse notre mémoire collective. Longtemps niée du schéma officiel y compris  quand des initiatives, timides certes, émanant des plus hautes autorités du pays, ont été prises lors des expériences précédentes car des lobbies idéologiques et des intérêts égoïstes ne voulaient pas que les choses changent…la reconnaissance du fondement amazigh de notre pays suppose un environnement démocratique, une culture humaniste, une approche tolérante de la diversité et de la variété socio-culturelle du pays. Nous sommes convaincus que chaque pas accompli dans la réaffirmation de l’amazighité dans l’espace public est une avancée dans la construction de l’édifice démocratique. C’est ce qui en fait une cause nationale légitime soutenue par tous les démocrates, quelle que soit leur date de référence. Assgass amayno pour tous.

samedi 10 janvier 2015

Francesco Rosi

Adieu maître!

Francesco Rosi


le cinéma de la dénonciation sociale sans manichéisme; invitant sans cesse le spectateur à combler les blancs de la narration, à formuler ses hypothèses sur le déroulement du récit; hypothèses à vérifier au fur et à mesure des informations que le film lui délivre...Bref, un cinéma brechtien

vendredi 9 janvier 2015

Exodus, Gods and kings de Ridley Scott (version marocaine)


L’histoire comme gadget numérique


Comment parler du nouveau film de Ridley Scott sans être obnubilé, aveuglé par la polémique qui a accompagné sa sortie marocaine ? Une des entrées possibles qui privilégie une piste cinéphile est fournie par le film lui-même : dans la scène d’ouverture on voit le pharaon réunir ses collaborateurs pour parler de la menace qui pèse aux frontières orientales (menaces hittites).  On décide d’interroger les viscères ; le pharaon demande à la préposée  aux oracles ce qu’elles disent ; elle lui répond : «  elles ne suggèrent rien ; elles offrent des signes à interpréter ». Une manière de proposer au spectateur un pacte de réception du film : ce que propose le film est  un ensemble de signes à interpréter selon la grille de lecture de chacun.
 Certes, le film offre des indications temporelles, spatiales et dramatiques qui lui assurent un ancrage et une référence historique. Nous sommes en Egypte, 1400 ans avant J.C ; en Egypte où le peuple hébreu subit un esclavage terrible depuis plus de 400 ans.
L’intrigue s’inspire largement d’un des scénarios les mieux développés de l’histoire de l’humanité, La Bible. C’est elle qui a donné matière à un genre cinématographique longtemps florissant, le péplum avec ses titres emblématiques Ben Hur ou encore plus proche du film de Ridley Scott, les 10 commandements…Sauf que avec cette nouvelle version, ces titres mythiques de Hollywood sont renvoyés au musée des antiquités :  Gods and kings offre une débauche d’effets spéciaux, Ridley Scott a déjà bluffé son public avec les effets numériques dans Gladiator où il a reconstitué la Rome antique ; ici il va encore plus loin, et frappe plus fort…sans égaler cependant ses films qui restent sur le plan visuel,  ses chefs d’œuvre je pense notamment à Alien et surtout Black Hawk Down
Reste alors à expliciter les raisons qui président ce retour à cette période faste en rebondissements. Il y a certainement une raison technique avec le numérique qui facilite le voyage dans le passé. Les grandes interrogations de notre époque marquée par le déferlement du retour d religieux y sont aussi pour beaucoup. Et Ridley Scott et ses coscénaristes affichent clairement leur point de vue en remettant frontalement en question certaines images inscrites dans le marbre de l’histoire officielle des religions.  La scène d’ouverture nous permet de découvrir les protagonistes du récit : Moise et Ramsès. Le pharaon agonisant est face à un dilemme : il est séduit par l’intelligence, le courage de Moïse mais il ne peut pas le proposer à la succession, car il n’est pas son fils. C’est Ramsès qui lui succède. Ramsès et Moïse entretiennent des relations ambiguës faites d’attirance, de jalousie mais aussi de reconnaissance : Moïse a sauvé la vie de Ramsès lors d’une attaque ratée contre les hittites. Cette relation va donner au film son argument narratif principal. Le film se laisse lire en effet comme une réflexion sur le pouvoir. Quand Moïse découvre sa vraie filiation et sa vraie identité, il devient un vrai leader. Un opposant intraitable de Ramsès. Ridley Scott fait de lui un  général, stratège qui mène différentes formes de guérilla ; les dialogues sont d’ailleurs « très modernes ».

 On retrouve de grands épisodes historiques dont la traversée de la mer rouge filmée autrement que la  version « biblique » ou du moins ambiguë : marée basse ou miracle divin. La séquence est spectaculaire comme pour rappeler l’ambition qui préside à l’ensemble de projet. Un projet qui retrouve sa dimension humaine toute empreinte d’humilité quand un tableau vient ouvrir le générique de fin : « le film est dédié à mon frère Tony Scott ».

champ de failles ou champ de mines?

Au-delà de l'émotion, ce sont les mots et la raison qui eux seuls peuvent rassembler les générations désunies qui forment la France rappelle l'historien Jean-François Sirinelli.
L’historien, comme les autres citoyens, ne peut que le constater : sur une échelle de Richter de l’intensité historique, la tragédie du 7 janvier est un événement considérable, par sa gravité intrinsèque comme par ses effets induits. Un tel constat débouche, du reste, pour l’historien sur une seconde interrogation : les appels au rassemblement peuvent-ils être effectifs dans une France qui, à bien des égards, est actuellement un champ de failles ? En d’autres termes, que peut y signifier la notion d’unité nationale ?
La question dépasse, bien sûr, la seule discipline historique, l’un des objectifs du terrorisme étant d’agrandir les fractures de notre société. Cela étant, l’historien peut apporter son éclairage, en insistant notamment sur deux aspects : un corps social est composé notamment de générations, et celles-ci ne peuvent se rejoindre dans l’adversité que si les mots, et pas seulement les émotions, les rapprochent. 
S’il est une génération probablement encore plus touchée que les autres dans son identité par ce drame et qui pourrait afficher à la une de son journal intime « Ils ont tué Cabu ! », c’est bien celle des baby-boomers. Elle pourrait, en effet, rajouter une strophe à une chanson de Laurent Voulzy : « On a tous dans le cœur un dessin de Charlie Hebdo », et, dans cette guerre, pour elle c’est le Grand Duduche qui est le premier mort. Cette génération née dans l’après-guerre avait été celle de la non-guerre : elle est ici rattrapée par la violence de l’Histoire. Or la plupart des grands leaders politiques appartiennent encore à une telle classe d’âge.
A l’autre bout de la pyramide des âges, il est vrai, d’autres questions, tout aussi cruciales, se posent : pour la génération Y, par exemple, où tout est – ou paraît – libre sur Internet, que signifie la notion de liberté de la presse écrite, qui avait sous-tendu les grands combats républicains puis nourri la République victorieuse ? Il est ainsi des moments où est rappelé brutalement que toute liberté est et reste un combat et, pour cette génération aussi, il y a probablement là un ébranlement profond. 
Mais le vivre-ensemble et, dans l’épreuve, le rassemblement ne peuvent, de toute façon, pas être fondés seulement sur un agrégat de générations désunies, momentanément ressoudées quand l’Histoire devient tragique. Outre que les émotions collectives n’ont pas forcément toujours débouché, au fil de cette Histoire, sur des causes justes et des engagements dignes, elles ne constituent jamais un ciment durable : une émotion chasse l’autre, et les sociétés émotives deviennent, par essence, des précipités instables, tout le contraire donc du vivre-ensemble.
Les démocraties solides, et les communautés nationales qui les sous-tendent, sont unies par des valeurs et des principes, qu’elles savent nommer pour les inscrire aux frontons de leurs maisons communes. De même, il leur faut, dans l’épreuve, parvenir à nommer les vents contraires, sauf à être dominés par eux. Les agrégats ne sont plus désunis quand ils ont en commun des mots pour le dire, et pour exprimer ce qu’ils ont à défendre et contre qui ils doivent le faire. L’émotion, en pareil cas, peut altérer le regard et perturber le jugement. Le logos, le discours ferme, raisonnable et raisonné des sociétés démocratiques, peut seul souder autour de lui des générations et, sinon résorber totalement des fractures, empêcher en tout cas que le champ de failles devienne un champ de mines.

mardi 6 janvier 2015

Affaire Exodus...suite

Verbe être !
Toute cette affaire du film interdit se révèle finalement une question de linguistique : on ne dira pas « c’est la faute à Voltaire », mais c’est à cause du verbe être que le film de Ridley Scott a été interdit. Le fameux « I am » prononcé par un personnage, en l’occurrence un enfant dans une séquence phare du film, a déclenché les suspicions du représentant du ministère de la communication au sein de la commission des visas d’exploitation, et l’a poussé à faire pression sur les autres membres au point de les ramener à revoir leur position initiale, celle d’octroyer au film son visa de sortie, déclenchant  une tempête  dont les rebondissements ne sont pas encore finis. Etre ou ne pas être, le préposé à la censure qui n’a pas lu Shakespeare,  n’a pas hésité, « être » ne peut renvoyer, ici, qu’à l’Etre suprême. Il dégaine sans réfléchir aux dommages collatéraux de sa lecture restrictive ; car en matière d’être les choses ne sont pas évidentes. C’est quoi « être » ? Le « je suis » du film ouvre sur tout un faisceau d’hypothèses qui peuvent mener très loin. On peut par exemple remonter au fondateur de l’existentialisme, Heidegger pour appréhender cette question de l’être. C’est lui qui propose une distinction entre l’être et l’étant. L’être des étants, c’est par exemple l’être de l’homme. L’homme renvoie à l’étant. Dans tous les cas de figure philosophiques, « être » ne peut renvoyer  à un seul sens que dans une perspective subjective ; ce qui nous ramène à la réalité de ce qui s’est passé lors des délibérations de la commission : l’interprétation du « je suis » de la séquence incriminée est le fruit d’une lecture subjective et qui a été transformée, à partir d’une conscience individuelle, en dogme, en fatwa puis en interdiction.
C’est d’autant plus arbitraire que nous sommes en présence d’une œuvre artistique qui invite d’emblée à une lecture plurielle des signes exposés dans une construction discursive, fruit du référent culturel de son auteur. On apprend en outre des sources proches du dossier que la Fox  a mis à la disposition de quelques acteurs de l’affaire, des documents internes de l’élaboration du film y compris des notes du réalisateur ; la note d’intention en particulier avec des indications qui réfutent toute hypothèse de provocation ; on parle ainsi du fait que l’« enfant » en question s’appelait dans une version du script, « Malak » : lui donner ainsi un nom, c’est lui donner une  existence ; il devient un « étant » pour reprendre la terminologie heideggerienne et non plus un « être » ; bref une posture autre que celle qui a germé dans la tête du gendarme des images. A ce propos, celui de l’incarnation de l’Etre suprême, j’aimerai renvoyer à un film que j’ai vu il y a quelques années, Bruce tout puisant (2003), une comédie signée Tom Shadyac avec l’irrésistible Jim Carey. Celui-ci y incarne un reporter de télévision dont les manières ne  conviennent pas à ses supérieurs ni à ses collègues (il sourit trop, entre autres…). Finalement il est mis à la porte. Très en colère, notre héros s'en prend à Dieu en l'accusant de tous les maux. Dans sa grande bonté, le Tout-Puissant, loin de s'en offusquer, le convoque : il lui lègue ses pouvoirs divins et le met au défi de faire mieux et cela pendant sept jours…Et bien qui joue ce rôle « suprême », c’est le magnifique Morgan Freeman. Où est-ce que j’ai vu ce film ? À New-York ?  A Cannes ? A Derb Ghallef ? Détrompez-vous ! C’était le plus normalement du monde, avec un public marocain, dans un complexe cinématographique à Casablanca, ville, je le rappelle, située à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Rabat, et avec un visa de sortie du CCM. Que s’est-il passé entre hier et aujourd’hui ? Pourquoi ce qui était visible hier devient un interdit aujourd’hui ?  Les membres de la commission de l’époque étaient-ils venus d’une autre planète ? Et demain… ?  Je vous laisse deviner…


Bref, aujourd’hui, le mal est fait. Beaucoup de gens sont mis mal à l’aise par cette triste affaire. Y compris du côté des producteurs du film, y compris du côté de Ridley Scott qui a fait part de son émotion…d’autant plus qu’il prévoyait de tourner son prochain film au Maroc. C’est pour dire qu’il y a beaucoup de symboles en jeu. J’apprends d’ailleurs que plusieurs tractations sont menées dans les coulisses pour trouver une issue, à même d’atténuer le choc…Parmi les solutions qui sont mises sur la table celle de ressortir le film amputé de la partie/ la réplique qui dérange, avec le consentement de ses ayant droits (on connaît le pragmatisme des anglo-saxons et leur culturalisme !). Un moindre mal ? On a vécu un précédent avec La porte close de Abdelkader Lagtaâ en 1999 ; pour rencontrer son public, le film a été amputé de quelques images.  D’ailleurs, certains exploitants se permettent eux-mêmes d’opérer des coupes sur mesure dans la cabine de projection ; « nous connaissons notre public » disent-ils !
Je vois quand même un avantage  pour ce procédé, entre nous tout aussi archaïque qu’une interdiction pure et simple, celui de développer l’imagination du spectateur : à lui de détecter les scènes amputées et d’imaginer leur contenu…comme dans notre cinéma de l’enfance quand nous réclamions à tue-tête, la suite d’une scène d’amour coupée juste avant… (Censurée !!!) 
Mohammed Bakrim


jeudi 1 janvier 2015

L'affaire Exodus

Interdit…d’interdire !

La malédiction qui frappe notre football va-t-elle finir par contaminer le cinéma aussi ? Après le scandale de la piscine, heu pardon du stade de Rabat, c’était autour du  cinéma de terminer l’année sur un air, si ce n’est d’un scandale du moins d’une grosse bévue avec l’interdiction – oui le mot est bien écrit, manuscrit au stylo, en lettres majuscules dans le document envoyé à la distributrice – du film Exodus de notre ami Ridley Scott. Nous nous acheminions sereinement vers le bilan d’une année cinématographique somme toute normale, avec ses soubresauts institutionnels, autour de la nomination du nouveau directeur du CCM, et surtout avec ses images, ses films et ses douloureux départs à l’image de la mort de notre cher Bastaoui…Sauf que, cette « malédiction » toute humaine est venue ternir le ciel serein de notre cinéma. 
Refuser un film, pour une raison relevant des prérogatives de l’Etat gardien des valeurs qu’une société se donne, peut être compris même s’il n’est pas accepté, des centaines de films porno sont ainsi déclarés interdits par les instances officielles ; des films prêchant explicitement la haine raciale ou appelant à l’xénophobie sont  interdits ici et là. Dans la désormais affaire Exodus, l’atteinte au droit d’un film de dialoguer avec son public a été doublée du ridicule de la manière. Tout un feuilleton rocambolesque a accompagné cette désastreuse décision. Autorisé, après avoir été visionné deux fois par la commission puis « interdit à l’unanimité des membres de la commission » alors que des séances publiques avaient déjà eu lieu…et qui à notre connaissance n’ont pas été suivies d’émeutes. La procédure, des mokaddams qui débarquent dans une salle de cinéma pour enlever des affiches de films, rappelle des tristes époques. Cela vient casser une dynamique ; mettre du désordre et de la confusion dans l’action du CCM qui a passé ces dix dernières années à se forger une  nouvelle image, professionnelle dans la prise de décision, dans le respect des normes et surtout dans le respect absolu dû aux films. Triste épisode qui rappelle notre position de principe, le cinéma doit se dégager de la tutelle politique de tel ministère ou de tel autre.
Que reste-t-il alors de l’année 2014 ? Le cinéma marocain continue d’offrir des raisons d’espérer ; il y a une nouvelle génération qui s’installe aux commandes ; le public continue de plébisciter les films marocains dans les salles et dans les différentes manifestations cinématographiques qui sont organisées à travers le pays. Le festival de Marrakech s’installe désormais comme le pôle de l’activité cinématographique et cinéphilique dans notre région.
Le tableau est parsemé cependant  de points d’ombres.
Un. Les pouvoirs publics semblent se soucier comme d’une guigne de la question des salles de cinéma. Aucune initiative ne pointe à l’horizon comme si l’on obéissait à un projet tacite d’étouffer le cinéma par le bas.
Deux. La distribution reste très formatée cinéma grandes tendances et ne s’ouvre guère sur la diversité géographique et/ou esthétique du cinéma. Un cinéphile dans une grande ville peut passer deux à trois mois sans se voir proposé un film inscrit dans cette diversité.
Trois. Le repli continu de la cinéphilie. On assiste à une  « professionnalisation » de l’intérêt pour le cinéma (voir l’inflation des circuits de formation pour le cinéma), surtout chez les jeunes, au détriment de l’activité cinéphilique. Ceci explique alors cela : dans un pays de grande cinéphilie on n’a pas peur d’une image de fiction. Il est tout simplement interdit d’interdire !

Bonne année, pleine de découvertes cinéphiliques !

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...