mercredi 31 décembre 2014

Mounia Layadi, professionnelle de l'année

Un homme a interdit le film,
une femme l' a défendu
Son nom a fait le tour des grands médias nationaux et internationaux, Mounia Layadi Benkiran a pourtant toujours travaillé dans l’ombre. Elle a  préfère exprimer sa passion pour le cinéma dans la gestion efficace, avec son mari Mohamed Layadi, de la salle Colisée à Marrakech qui est devenue en quelques années un haut lieu de la cinéphile et l’animation de projets transnationaux pour dans le cadre d’Euromedaudiovisuel…c’est sa société de distribution qui a ramené Exodus au Maroc ; elle a défendu jusqu’au bout, dans la légalité et le resl’Etat de droit le droit de son public à voir le film.
Retenons bien ce symbole fort de cette année : c’est un homme qui a interdit le film ; c’est une femme qui a mené la résistance. Femmes de mon pays, nos libertés sont entre vos mains !

vendredi 26 décembre 2014

Mouftakir, Lagtaâ, Tala Hadid... à Marrakech

Variété thématique et diversité esthétique
« Un film nul, je ne vois pas où est le problème »
Gilles Deleuze

Cinq films marocains ont été présentés lors de la dernière édition du festival de Marrakech. Ils ont été programmés quasiment en exclusivité ; le public du festival a eu ainsi la primeur de la découverte ; c’est d’autant plus passionnant que, chacun selon son contexte, c’étaient des films attendus. D’abord parce qu’il s’agit pour Tala Hadid et Yassine Fennane de leur premier long métrage, après une brillante carrière, dans le court métrage pour l’une, et à la télévision pour l’autre ; pour Mouftakir et Karrat, dont c’est le deuxième long métrage, il s’agit de confirmer ou d’infirmer le programme annoncé lors de leur premier film. Pour Lagtaâ, il s’agissait  d’un retour  attendu avec beaucoup de curiosité après une longue absence, Yasmine et les hommes remontent à 2007 et surtout eu égard à la nature du sujet abordé par son film.  Tels quels, les cinq films expriment à leur manière la richesse, la diversité du cinéma marocain aujourd’hui. Ils ont suscité de l’intérêt, provoquer des polémiques et ont surtout entraîné l’adhésion du large public qui a applaudi, ri, pleuré et a exprimé son émotion, son plaisir…bref le premier succès de ces films est qu’ils n’ont pas laissé indifférents.

L’autofiction de Mohammed Mouftakir.


L’orchestre des aveugles de Mohamed Mouftakir a été le film le plus attendu. En toute logique car il figure en compétition officielle où il était en course avec des films et des cinéastes venus des quatre coins de la planète ; attendu aussi parce que Mohamed Mouftakir n’est pas un anonyme. C’est déjà un nom dans notre cinématographique, « jeune espoir prometteur » comme l’on dit dans le jargon footballistique, il a réussi une brillante carrière de court métrage et il a réalisé une excellente entrée dans le long métrage avec Pégase qui, rappelons-le, avait obtenu le Grand prix du festival national et l’Etalon d’or du Fespaco (ils ne sont que trois marocains, jusqu’à présent, à avoir décroché ce prestigieux trophée africain, Souheil Benbarka, Nabil Ayouch et…Mouftakir).
L’orchestre des aveugles, je le dis d’emblée, a bousculé l’horizon d’attente de ceux qui voulaient aborder le film à partir d’a priori ou selon une grille de lecture établie d’avance. Erreur fatale d’une réception paresseuse car chaque film propose son programme de lecture ; et le film réussi et celui qui crée cet écart avec les préjugés. C’est le cas du deuxième long métrage de Mouftakir. Je pose rapidement (en attendant d’y revenir en détail) comme hypothèse de lecture qu’avec L’orchestre des aveugles, Mouftakir aborde d’une manière personnelle une équation encore en friche dans le cinéma marocain, celle de proposer un cinéma d’auteur ouvert sur le grand public ; ou dit autrement, un cinéma grand public qui ne renonce pas à ses ambitions artistiques, restant fidèle à une conception « auteuriste » du cinéma. Cette stratégie d’ensemble ou cette finalité non écrite se décline à travers des moyens et des procédés. Le film en effet s’inscrit dans une démarche d’écriture que l’on qualifierait d’autofiction (concept emprunté à Serge Dobrovsky). Le drame, le contenu scénaristique, se réfère à des éléments d’autobiographie…Sauf que l’autofiction ne se réduit pas au simple de récit de vie. C’est l’autobiographie marquée par le discours, portée par le langage choisi par l’auteur en l’occurrence, ici, le langage du cinéma. Mouftakir fait du Proust avec les moyens du cinéma. Il rejoint ainsi un autre auteur « cérébral » de notre cinéma, Moumen Smihi qui a entamé un vaste projet d’autofiction.
A contenu nouveau, forme nouvelle, semble être le credo qui a mené le travail de Mouftakir pour son deuxième long métrage. Ce retour à un passé biographique est organisé non pas selon un découpage dicté par la mémoire mais selon les codes narratifs d’un cinéma que l’on qualifierait de postmoderne. Postmodernité qui transparaît dans les références cinéphiliques qui marquent L’orchestre des aveugles, dans l’éclectisme des modes narratifs choisis. Le poétique alterne avec le réaliste ; l’épique avec le comique. Le genre autofictionnel répond, en outre, à un traumatisme originel qui traverse  tous les films de Mouftakir mais abordé d’une manière explicite dans son deuxième long métrage, à savoir la disparition précoce du père. Cette mort non annoncée va marquer l’enfant Mimou et ouvrira la  voie à une crise identitaire qui se révélera à un double niveau : celui du sujet/narrateur ; celui du texte/narré produit par le sujet. Une crise d’identité textuelle à travers un moi morcelé et un récit fragmenté…d’où le malaise chez une partie des récepteurs. Dans L’orchestre des aveugles, le caractère fragmenté du récit est porté par le recours à la figure centrale du montage et à la multiplication des références visuelles : images plastiques et poétiques des lieux supérieurs (les rencontres avec Shama dans les terrasses) versus des images d’un réalisme quasi tragique dans les milieux d’en bas (chambres sombres du rez de chaussée). Le haut et le bas en alternance et fonctionnant comme vecteur d’une tension qui marquera le sujet. Le lieu du récit, une véritable grande maison au sens de Mohamed Dib, est filmé comme un vaste huis clos en fait ; les contraintes de la reconstitution historique ont relativement réduit et limité tout recours à un contre-champ spatial (à de rares exceptions près : l’école, le commissariat…); le drame est centré alors sur un jeu entre la verticalité, indice du rêve et du désir (lieu de rencontre avec l’objet du désir) et l’horizontalité, espace de l’interdit, de la violence, du faux et de l’usage du faux (la note de l’école falsifiée, l’orchestre des aveugles qui n’en est pas un…). Il y a toute une poétique de l’espace/actant à développer par rapport à l’évolution personnage principal.  Nous y reviendrons.

Le come-back de Lagtaâ


La moitié du ciel a été présenté dans la section coup de cœur et pour de nombreux festivaliers ce fut un vrai coup de cœur. Le meilleur hommage à ce retour réussi de Abdelkader Lagtaâ  ce sont les applaudissements nourris qui ont accompagné le déroulement du récit y compris de la part d’une jeune génération qui n’a pas connu les affres de cette période douloureuse de l’histoire contemporaine du pays. Le film adapté du récit de Jocelyne Laabi, est porté par un point de vue original, celui de ceux qui sont restés « dehors » ; ceux qui ont échappé au vaste filet d’arrestation et d’enlèvement qui a marqué ce que l’on appelle les années de plomb.  Et comme, le montre si bien le film, ce sont beaucoup de femmes : des épouses, à l’image de l’héroïne du film, des mères, des sœurs…Le film se révèle un hommage à celles-ci, à leur courage et à leur espoir qui a fait déchirer le linceul du silence. Ce point de vue s’est révélé fécond. Le film en outre évite deux écueils ; celui de montrer la torture : filmer la torture c’est la banaliser ; elle est exprimée autrement. Il ne verse pas dans la caricature et la démagogie ; la forte charge émotionnelle qu’il dégage émane d’une construction dramatique sobre et efficace portée notamment par la formidable interprétation de Sonia Okacha.

Divertissement assumé
Deux films inscrits délibérément, mais différemment, dans le cinéma de l’Entertainment. Mohamed Karrat confirme un choix qu’il a déjà fait lors de son premier long métrage et qu’il assume ici avec Un patri pimenté, tout à fait à l’aise et y réussit très bien. Le film propose un divertissement sur la base d’une comédie de situation doublée d’une parodie de films d’action avec une très belle séquence d’arts martiaux qui se lit comme une bande annonce de que le cinéaste peut encore aborder et où s’est illustrée la bellissime Asmae Khamlichi. Une métaphore pour aborder le film, il propose en ouverture générique une scène de préparation d’une recette de pâtisserie. Une manière de dire que le film lui-même est une mise  en application d’une recette ; force est de reconnaître qu’elle tient la route.
Pour son premier long métrage, Yassine Fennane, surfe également sur le genre comique mais dans sa version radicale au point de bouleverser les attentes du public. Pour Bollywood dream, Fennane a puisé dans les codes d’un genre qui a fait ses preuves en littérature, le grotesque ; cela donne un cinéma de la démesure à plusieurs niveaux : la langue des dialogues (ici, Casanegra apparaît comme une version light), le mélange de styles, le kitch des décors, le jeu des comédiens avec notamment un Adil  Abatourab époustouflant. Si en littérature, ce genre a donné des chefs d’œuvre  (de Rabelais à Mohamed Choukri…), le cinéma aussi a connu des titres cultes qui vont dans le sens de la métamorphose du burlesque, cette approche de la misère dans le film de Fennane n’est pas sans rappeler Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola. Avec la bénédiction de Paolo Pasolini. C’est dans cette perspective qu’il faut recevoir le film…ce que les âmes hypocrites ont complètement raté. Le film dérange ; Karian Bollywood est un véritable coup de poing à la face des « arbitres du goût » et des nouveaux Ayatollahs de  l’ordre moral.
L’image-temps de Tala Hadid

Le film est passé comme un OVNI dans le ciel serein du festival de Marrakech, son titre en anglais, avec une traduction timide en arabe, The narrow frame of midnight (Itar el-Layl), sa structure narrative particulière…ont certainement rebuté plus d’un. Le premier long métrage de Tala Hadid est pourtant un film de notre temps. Il est le plus inscrit dans l’actualité : n’aborde-t-il pas à sa manière le départ des jeunes pour rejoindre les guerres du moyen orient ? Mais il le fait par les moyens du cinéma, par le biais d’une narration non linéaire ; un récit éclaté, polyphonique. Un film choral qui dit la complexité du monde ; on y retrouve les thématiques et les figures chères à Hadid : la quête, le travelling d’accompagnement, l’image de l’enfance…pour accéder à cet OVNI, il faudra certainement passer par Gilles Deleuze : à l’image mouvement du cinéma dominant, Tala Hadid oppose l’image temps : « des personnages pris dans des situations optiques ou sonores, se trouvent condamnés à l’errance ou à la balade ». 

Critique de cinéma...version Maroc

Critique de cinéma 
C’est le plus beau métier du monde ! Être critique de cinéma, dans le contexte d’une cinématographie avancée, c’est être payé pour voir des films ! Quelle veine ! Ailleurs, chez nous par exemple, c’est plutôt la boutade de Truffaut qui convient pour décrire le paysage : « chacun à deux métiers…le sien et critique de cinéma » à lire in Les films de ma vie, Flammarion, 1975, page 19. Hypothèse que je vérifie, chaque matin ou à chaque occasion : mon voisin de palier, mon coiffeur…entre deux remarques sur la dernière prestation du Raja, on glisse des flèches sur tel ou tel film marocain. Le festival de Marrakech en a fourni un autre exemple grandeur nature. C’est peut-être l’un des rares festivals au monde à se voir bénéficier chez lui d’une « couverture » par une armada de gens qui n’ont que des rapports de bon voisinage avec le cinéma…en fait par des gens qui ont leur propre métier…et à l’occasion du festival de Marrakech se couvrent de la casquette de critique de cinéma, encore Truffaut. Cela donne, in fine, des productions discursives, passionnantes et édifiantes. Dommage que les facultés de lettres ne développent pas des départements de sociologie des médias et d’analyse de discours médiatique…notamment autour du cinéma. Edifiant encore une fois.
Ceci dit, un discours en cache un autre ; si la critique cinématographique au sens professionnel du mot faite encore défaut, une approche cinéphilique du cinéma marocain émerge ici et là à travers des textes bien nourris de la passion du cinéma. Car, le drame de notre cinéma est qu’il est souvent abordé par des gens qui n’ont découvert le cinéma qu’une fois adulte, une fois installé dans leur confort universitaire. Ils plaquent alors sur les films des concepts et des grilles élaborées en dehors du cinéma ;  ou dans le contexte d’une cinématographique profondément ancrée dans l’histoire du cinéma et dans l’histoire tout court…comme lorsqu’on cite Godard ou Tarkovski (la dernière tarte à la crème en vogue) pour parler de Saïd Naciri ! Surréaliste.
Michel Ciment, critique de cinéma français, directeur de la publication de la revue Positif, le contre-champ cinéphilique des Cahiers du cinéma, vient de sortir un livre d’entretiens  sur son expérience de critique. Sa lecture est enrichissante et tonique. Le titre est en soi un programme : Le cinéma en partage. Oui l’amour du cinéma, acquis dès l’enfance se prolonge avec l’acte de partage et de transmettre qui est le fondement éthique en quelque sorte de la fonction critique. Car, c’est quoi la finalité en somme ? C’est partager une passion, transmettre, un savoir pour donner à cette passion une dimension intellectuelle, culturelle et artistique.
En conclusion de son livre, il cite quelques principes fondamentaux qui constituent pour lui, les qualités de base que doit avoir un bon critique. Il les appelle, « les sept vertus cardinales pour celui qui veut devenir critique de cinéma ». Ce n’est pas un programme, ni une grille mais des indications nées d’une riche expérience et d’une longue pratique dans le pays qui reste l’emblème internationale de la cinéphilie. Car, fondamentalement, un critique, c’est aussi le produit d’un environnement. Si j’étais méchant, je dirai qu’en effet, chaque cinéma a la critique qu’elle mérite.


jeudi 18 décembre 2014

Adieu Si Mohamed Bastaoui

De la race des seigneurs !


« Mohamed Bastaoui n’est plus » ; l’information, terrible, est tombée comme un couperet en ce matin d’un froid hivernal. On le savait malade, puis hospitalisé depuis quelques jours, bénéficiant de la haute sollicitude royale, entouré de l’amour des siens et de ses nombreux amis et fans, Si Mohamed Bastaoui a vu hélas son état s’empirer, intégrant les services de réanimation d’un grand hôpital de Rabat. Et puis ce fut l’issue fatale.
 Nous étions plongés dans le festival de Marrakech, les yeux rivés sur les écrans mais nos sens et notre cœur battaient du côté de Rabat,  à l’image de Mohamed Khouyi qui était parmi nous, physiquement, mais quasi absent. Sollicité par  ses nombreux fans pour une photo, Khouyi affichait un sourire de politesse car son cœur était du côté de son ami, son frère, son collègue et compagnon. Celui qui, il y a à peine un an, lui remettait l’étole d’or de l’hommage que le festival de Marrakech lui rendait. Le départ de Bastaoui va laisser un vide énorme que Khouyi va être le premier à ressentir, étant tous les deux ensemble dans les différentes rencontres ou manifestation cinématographique. Mais c’est un vide que toute la sphère artistique va ressentir car Si Mohamed était aimé de tous, l’ami de tous, au service de tous. Il fut un grand comédien ayant réussi cette équation si délicate, celle de réussir un parcours artistique de qualité à travers des œuvres diversifiées et complémentaires au théâtre, au cinéma et à la télévision…un parcours et une carrière qui ont forgé l’image d’une vraie star populaire. Venu des vastes plaines de la région de Khouribga, il a gardé cette touche spontanée, cette sensibilité innée, qu’aucune école de formation ne peut enseigner ; celle de dire le mot vrai, le geste juste qui fait vibrer les foules, s’adressant au cœur et à l’intelligence.
Après une expérience de théâtre lumineuse, auprès de la troupe Masrah Alyoum qui lui a permis de forger ses outils et son style et qui lui a permis surtout de découvrir ses compagnons de route, ses amis et camarades, Khouyi, Touria Jabrane, Ouzri, Khamouli et l’auteur Youssef Fadel…Bastaoui va rencontrer le cinéma d’une manière naturelle et spontanée…et au bon moment, c’est-à-dire au moment où ce cinéma entamait le tournant décisif des années 90, le tournant de la rencontre avec le public. Et Bastaoui va être un des vecteurs de la réussite de cette rencontre, en mettant son talent, sa générosité, sa disponibilité, notamment au service des jeunes cinéastes qui vont marquer la première décennie des années 2000. Ayant déjà joué merveilleusement bien dans  Les trésors de l’Atlas de Mohamed Abbazi (1997), je le découvre avec éblouissement dans Adieu Forain de Daoud Aoulad Syad (1998), ce film beckettien où il incarne le rôle de Larbi, ce fabulateur qui n’a plus que des illusions à vendre ; rendant la réplique au grand et cher disparu Hassan Skali incarnant le rôle de Kassem, un héros d’hier qui gère le récit d’un monde crépusculaire où le rêve, celui de Rabii (incarné par Abdellah Didane) de jouer à Hollywood et le mensonge font figures de palliatifs éphémères. Bastaoui avait livré une prestation  portée par une manière de regarder, une manière de rentrer dans le champ ou de marcher…dignes des plus grandes figures internationales du cinéma. J’avais alors parlé dans mon article de l’époque (1998), d’un comédien issu « de la race des seigneurs ». C’était spontané et sincère. Et Si Mohamed n’avait jamais oublié cela ; et il s’amusait à me le rappeler à chacune de nos nombreuses rencontres. 
Il confirmera très vite cette première impression dans des rôles qui marqueront à jamais la cinématographie marocaine aussi bien avec Faouzi Bensaïdi qu’avec Mohamed Asli ou Daoud Aoulad Syad, Mohamed Ismail, ou Farida Bourquia et Kamal kamal jusqu’à son interprétation dans le deuxième long métrage de Mohamed Mouftakir, L’orchestre des aveugles qui lui a permis d’être présent à Marrakech et d’illuminer l’écran de la grande salle du palais des congrès…
Il était très apprécié des professionnels car il développait un jeu qui dégageait une aura qui faisait de lui un brillant membre de la grande école de Marlon Brando,  prolongée par De Niro et Al Pacino, deux de ses comédiens préférés par ailleurs. Sans aller à New York ou suivre des cours de l’actor’s studio il a saisi par son intelligence et son amour du métier, les principales techniques qui rendaient chaque rôle qu’il incarnait humain et non pas artificiel ; faisant sienne cette injonction d’une théoricienne célèbre « Ne Jouez pas, soyez ! », à l’écran comme sur scène, Bastaoui ne joue pas, il EST. Servi par une forte et impressionnante présence physique, Bastaoui l’accompagnait de mouvements toujours signifiants ; des tics discrets comme par exemple se gratter le bras…ou la main toujours active pour indiquer une nervosité intérieure…suivie souvent d’une explosion qui mobilisait tout son corps: voir son interprétation dans le beau film de Mouftakir, présenté à Marrakech dans le cadre de la compétition officielle, L’orchestre des aveugles. Il jouait aussi sur l’alternance du bruit et du silence laissant le spectateur libre de remplir les trous et de contribuer à la construction du sens. Et c’est à juste titre qu’il fut récompensé à plusieurs reprises et que le festival de Marrakech lui rendit un vibrant hommage en 2011.
C’est cet immense talent que nous perdons aujourd’hui. Une étoile s’est éteinte rendant encore plus sombre les nuits de cet automne languissant ; comme est triste le cœur de ses nombreux admirateurs.

Mais si Mohamed peut se reposer en paix, il était aimé de tous ; ses prestations  réunissaient les âges et les générations, les couches sociales, les cinéphiles et le grand public. Ce matin, ma fille est venue en courant m’apporter la triste nouvelle ; ma pharmacienne, le marchand de menthe, le boulanger…Le peuple est unanime, Si Mohamed,  à te dire : Adieu, nous t’aimons toujours !

dimanche 7 décembre 2014

le festival de Marrakech 2014

Le rêve parce que la vie continue


La ville ocre accueille aujourd’hui la 14ème édition du festival de Marrakech. Malgré un calendrier cinématographique international chargé et une rude concurrence entre plusieurs manifestations cinématographiques qui se bousculent en un laps de temps réduit, notamment dans notre sous-région,  le Caire à peine achevé, Carthage prend le relais et Dubaï démarre la semaine prochaine…le festival de Marrakech a réussi à honorer son contrat et établir une programmation prometteuse à travers ses principales rubriques.  A commencer par la sélection des films. Cette année, 87 films, venant de 22 nationalités, ont été retenus pour les différentes sections du festival à savoir la compétition officielle (15 films), Coup de cœur, hors compétition, les films des hommages et du pays invité. C’est un très bon chiffre qui donne au festival une dimension humaine loin de la boulimie qui caractérise certains festivals, Toronto, plus de 300 films au programme ; avec 87 films, Marrakech place la barre à un très bon niveau permettant à un critique sérieux ou un cinéphile assidu de visionner une bonne trentaine de films avec une moyenne de trois à quatre films par jour.
 Fidèle à une tradition qui s’est avérée avec la pratique comme fructueuse, le festival a sélectionné 13 films relevant de « première œuvre » dont huit en compétition officielle. C’est une tendance  qui marque désormais le festival de Marrakech, devenant une plate-forme de lancement de nouveaux talents : beaucoup de cinéastes ayant démarré à Marrakech ont confirmé par la suite, leur immense talent, la palestinien Hani Abou Assad (Star internationale avec ses  films Paradise Now et surtout  Omar),  le Libanais Ziad Doueri (Grand prix  à Marrakech avec L’Attentat). Des films de grande qualité sont également à l’affiche dans la section Coup de cœur dédiée notamment à des films marocains présentés en exclusivité à Marrakech mais aussi avec des films qui ne manqueront pas de susciter l’intérêt des festivaliers et des cinéphiles ; la section hors compétition est très riche cette année avec des films estampillés grand public dont certains sont candidats à l’Oscar.
Le pays invité cette année, le Japon est une véritable cerise sur le gâteau ; c’est une grande nation de cinéma qui sera présentée au public du festival à Marrakech avec une rétrospective donnant  un large aperçu sur la richesse et la vitalité de ce cinéma qui a donné au cinéma mondial de grands maîtres et de vrais chefs-d’œuvre. Nous aurons ainsi à (re) découvrir toute une panoplie qui va des classiques à la toute nouvelle génération : les maîtres historiques : Ozu, Mizogushi, Naruse, Akira Kurosawa, Shohei Imamura, et des représentants du cinéma d'aujourd'hui reconnu internationalement et incarné par Kore-eda, Kyioshi Kurosawa, Naomi Kawase, Nobu Sawara et Ryuishi Hiroki.
La composition du jury a toujours constitué un des points forts de Marrakech, cette année n’a pas dérogé à la règle avec une présidente qui est une grande dame du cinéma  mondial, la comédienne Isabelle Huppert ; star de l’écran qui allie charme, intelligence et regard malicieux sur le monde. Ses interviews de presse sont d’une grande consistance sémantique. Isabelle Huppert n’a jamais accepté de présider un festival en dehors de Cannes ; sa présence à la tête du jury  de Marrakech 2014 est une véritable première internationale. Elle est accompagnée de personnalités prestigieuses venant des quatre coins de la planète dont le marocain Moumen Smihi, le digne représentant du cinéma d’auteur marocaine et arabe.

Les autres rubriques phares du festival, les masterclass, la compétition Cinécole, les hommages à des personnalités marocaines et internationales contribuent à étoffer une programmation riche et diversifiée. Une programmation qui réussit un dosage pertinent entre les composantes qui forment l’identité du festival : un festival glamour, cinéphile, professionnel et citoyen. Citoyen car le festival de Marrakech initie des actions ouverte sur des populations ciblées comme les non-voyants contribuant ainsi doublement à la santé du regard et à son éducation. Il reste également sensible à son environnement et à ce qui marque l’actualité. En offrant une programmation de qualité, il contribue ainsi à maintenir le désir de rêve dans un environnement de plus en plus dur et complexe. Ses images de vie, d’amour, de tolérance… offrent un contre-champ optimiste aux images sinistres des différents JT. C’est en quelque sorte un patrimoine qu’il porte dans son code génétique ; n’est-il pas né un septembre 2001 quand l’horreur a fait irruption dans l’horizon. Sa première édition maintenue malgré les images de la tragédie a donné le ton. Claude  Lelouch en a rappelé la quintessence lorsqu’il a souligné déjà : « le Festival de Marrakech est très important surtout depuis que le cauchemar  a déclaré la guerre au rêve…Ici à Marrakech, le rêve gagnera la deuxième manche ». Aller à Marrakech aujourd’hui comme en 2001, c’est persister dans la défense de la vie et le droit au rêve…car, surtout, après la pluie, il y a le beau temps !

le festival de Marrakech

Marrakech!
Le festival de Marrakech dont la quatorzième édition se tient du 5 au 13 décembre 2014 occupe désormais une place incontournable non seulement dans le paysage cinématographique mais dans l’ensemble de l’espace social. Le festival certes se présente d’abord comme une manifestation cinématographique d’envergure. Dès le départ, les initiateurs du Festival ont choisi de placer la barre très haute pour s’inscrire dans le sillage des grands rendez-vous cinématographique qui marquent la planète cinéma. Et il faut lui reconnaître que le pari a été tenu avec beaucoup de réussite et d’originalité. Marrakech a réussi en effet à se positionner à partir d’atouts qui relèvent du cinéma et de la culture. Contrairement à d’autres manifestations qui sont nés dans son sillage, l’attrait principal n’est pas les sommes d’argent versés dans les prix accordés mais dans la ligne éditoriale qui conjugue convivialité, esprit festif et cinéphilie.
Mais le festival a d’autres fonctions dans le contexte spécifique qui l’a vu naître. On peut dire pour résumer que ses fonctions sont multiples ; d’abord, il y a des fonctions classiques inhérentes à toute manifestation d’envergure qui relèvent de l’image, de la promotion d’une ville et d’un pays,  de l’industrie culturelle, en l’occurrence l’industrie du cinéma…mais pour notre part nous y ajoutons des fonctions aux vertus pédagogiques indéniables. Une première qui nous semble primordiale, celle de former un public, attentif, organisé, respectueux du protocole d’une projection de cinéma et in fine, un public cinéphile. Dans la population d’un festival, il y a les curieux, les touristes…ceux à la recherche de la villégiature mais il y a un noyau constitué de cette « tribu » cinéphile qui se forge au fur et à mesure que le festival se donne une identité claire et une organisation transparente et pérenne. Ce public et la meilleure  garantie et assurance sur le devenir du festival. Il en constitue l’écosystème qui lui offre un environnement propice à son épanouissement continu.  C’est un travail de longue haleine mais qui se nourrit d’actions quotidiennes au niveau de la programmation, des activités parallèles organisées, des rapports au sein des différents intervenants et de la qualité de l’accueil. Un festival qui ne construit pas son public sur la durée est un festival qui  a raté sa mission de base.

Pédagogique, le festival l’est aussi à l’égard des autres acteurs du domaine notamment ceux qui sont impliqués dans l’organisation de manifestations cinématographiques. Depuis quelques années, celles-ci, on le sait, font florès au Maroc. Leur nombre nous ne pose absolument pas de problème ; il y a longtemps que nous avons appelé à ce que « cent festivals s’épanouissent au Maroc ! » ; slogan paraphrasant celui de nos camarades chinois d’une certaine époque et il faut dire qu’aujourd’hui on n’est pas loin de la centaine puisque en 2014, ce sont près d’une soixantaine de rencontres de cinéma qui sont organisées. Cependant et pour rester dans la métaphore chinoise, « que cent écoles rivalisent », il faut s’interroger en quoi justement ces manifestations cinématographiques rivalisent ? Et à quel point ils ont su bénéficier du savoir-faire et de l’expertise qui leur sont proposés en grandeur nature par le festival de Marrakech ? force est de constater que les échos qui nous parviennent dessinent un triste bilan de la pratique dominante chez nombre de manifestations cinématographiques. A  commencer par cette aberration absurde de mettre en place des « compétitions » tous azimuts sans le minimum de conditions requises pour une projection de cinéma. La course vers la subvention du CCM, la frénésie des catégories instaurées par la commission d’aide aux festivals ont créé un climat malsain  dont la principale victime n’est autre que les films…et le cinéma. En somme, Marrakech a encore du boulot !

vendredi 28 novembre 2014

Avance sur recettes Maroc

Commission !
La commission de l’avance sur recettes vient de rendre public les résultats de ses délibérations. Elle signe en même temps l’ultime session de son mandat. Un mandat exceptionnel puisqu’il a été prolongé d’une année au-delà de la durée statutaire.  La commission a siégé en effet pendant trois ans alors que les textes stipulent une durée de deux ans. Une mesure d’exception qui relève des prérogatives du ministre de la communication qui est l’instance de tutelle. Un précédent a été vécu avec le prolongement de la présidence de M. Laabi et non pas de l’ensemble des membres de la commission.
Quel bilan donc peut-on tirer de la première expérience de la commission d’avance sur recettes sous la nouvelle ère ? C’est en effet la première commission nommée sous un gouvernement dirigé par une majorité islamiste issue du scrutin de 2011. Le hasard a voulu que l’ancienne commission, nommée par M. Khalid Naciri,   son mandat se termine avec l’arrivée du nouveau gouvernement.  C’est la première caractéristique qui va marquer les travaux  de la commission qui sera nommée avec beaucoup de retard (le temps que le nouveau gouvernement s’installe !) ; elle n’avait entamé ses travaux qu’au printemps 2012. Des travaux qui seront également secoués par le décès de son premier président, l’économiste de gauche, Feu le professeur Driss Benali. Son successeur, Abdelkrim Berrechid a fait sa réputation en tant que dramaturge. La composition de la commission a été remodelée pour inclure un membre issu des provinces du sud. Son texte a été également revu en introduisant notamment la pratique des audiences des porteurs de projets : chaque société de production postulant à l’avance sur recette délègue des représentants qui viennent soutenir un oral devant les membres de la commission. La pratique montrera très vite la vacuité de ses complications procédurales.
A l’heure du bilan, nous dirons d’emblée que cette commission ne figurera pas au hitparade de l’histoire de l’aide publique au cinéma. Son action a été marquée par des hésitations, un manque flagrant d’expérience et une absence de cohérence. Un discours d’escorte maladroit et  démagogique a accompagné son installation.  D’emblée certains de ses membres se sont livrés à des déclarations en déphasage avec la nature de la commission et en contradiction avec ses textes fondateurs. Certains ont proclamé que la commission « n’est pas un guichet de bienfaisance » ; d’autres ont appelé à « défende un  cinéma qui participe à la promotion de l’image du Maroc » ; d’autres encore ont affirmé que la commission « doit privilégier les nouveaux et jeunes projets ». Des déclarations d’intention qui vont très vite être « corrigées » par la réalité du fonctionnement de la commission mais qui ont semé pendant un laps de temps des questionnements angoissants au sein de la profession.  

Le fait que le mandat de la commission soit prolongé d’une année est un indicateur de malaise. Il sera encore d’actualité aujourd’hui à l’heure où le ministre est attendu pour trancher dans la nomination au plus vite de la nouvelle commission.  Choisir les membres qui la composent n’est pas un exercice aisé d’autant plus qu’il s’agit d’un dosage qui prend en compte « l’esprit du temps » : comment et où trouver un casting qui réponde aux critères explicites et surtout implicites qui entrent dans le choix des membres.  A l’occasion des fameuses assises et du non moins fameux livre blanc nous avons préconisé une autre approche concernant les modalités de fonctionnement de la commission et surtout sur la base d’un choix stratégique, à savoir le désengagement du ministère de la communication de l’ensemble de la procédure ; que la vie du cinéma ne dépende plus de l’agenda politique. 

vendredi 21 novembre 2014

Adios Carmen: quelle version dans les salles?

Assaru Amazigh
Asaru amaziv
Faut-il traduire le titre, écrit en amazigh, de cette chronique ? En principe non. Conformément à la Constitution 2011, la langue amazighe est la langue des marocains.  Tout marocain est supposé aujourd’hui pratiquer les langues nationales du pays ; ce n’est pas une obligation mais c’est une richesse en plus. Le débat aujourd’hui arrive au cinéma. Lors de l’ouverture de la séquence cinéma de l’événement Le Maroc contemporain abrité par l’Institut du monde arabe de Paris, j’ai eu l’occasion d’en débattre avec le cinéaste Mohamed Amin Benamraoui dont le joli film Adios Carmen était au programme de la soirée ; le film qui a eu un accueil très chaleureux  de la part du nombreux public de la grande salle de l’IMA, est comme on le sait, un film amazigh. Les dialogues étant principalement en rifain. Lors de cet échange avec le jeune cinéaste, tout heureux de m’apprendre que son film venait d’obtenir le grand prix du festival de Dakhla où il a « battu » une nouvelle fois le film palestinien, Omar, nous avons abordé la question de la sortie du film sur les écrans du Royaume. Il est temps en effet. Après ses différents succès dans différents festivals, locaux et internationaux, le film devrait être prêt à affronter la logique commerciale, celle du guichet. La question ne devrait pas tarder à trouver une issue, le film a trouvé un distributeur enthousiaste mais il y a un débat : faut-il le sortir en VO ou en version doublé en parler marocain ?
La distributrice, anime d’un souci commercial légitime, plaide pour une sortie en version doublée en arabe marocain alors que le cinéaste, lui, a le souci de la dimension culturelle du film : le parler des gens est partie prenante de leur vécu que le film restitue. Magnifique débat qui nous change des querelles stupides sur la qualité, la quantité, l’art propre…la dynamique du cinéma finit par  soulever des questions concrètes et par rencontrer les grandes questions du paysage culturel dont l’une des expressions est le marché linguistique.   Les enjeux en effet sont multiples : commerciaux – tout film rêve du plus grand succès possible – mais aussi artistiques, culturels, c’est-à-dire politiques. « Un film c’est aussi quelque part un engagement, une prise de position, me dit Benamraoui. C’est vrai mon métier c’est le cinéma ; et mon souci premier est de réussir mes films mais le film c’est aussi un acte pour témoigner sur une culture, en l’occurrence la mienne ; la culture amazighe qui a justement souffert pendant longtemps de sa marginalisation dans l’espace public et dans les formes artistiques modernes ».

Le cinéaste amazigh ne rejette pas complètement l’argument commercial de la distributrice mais il cherche à l’inscrire dans sa logique à lui, celle d’un auteur conséquent avec ses choix fondamentaux « si le film dans sa version originale fait dans les 20 000 spectateurs, j’en serai déjà ravi ». Ce serait en effet une première. Le doublage c’est la solution facile ; de toutes les manières Adios Carmern met le cinéma marocain face à sa propre réalité ; ce qui devrait inciter les différents intervenants dans le secteur à élargir leur perception de la chose cinématographique, à inscrire la diversité et la variété du cinéma dans leur projet. La question de la Vo des films y compris des films marocains se pose désormais en de nouveaux termes. 

samedi 1 novembre 2014

Gone girl de David Fincher à Casablanca

Dans la tête d’une femme

Les cinéphiles  sont  les premiers touchés par la crise des salles de cinéma et le caractère très formaté de la distribution…ces dernières semaines de fut pratiquement la disette ! Alors quand il y a un film qui se démarque de la tendance dominante, ils jubilent. A l’instar de l’arrivée enfin du nouveau film de David Fincher, Gone Girl, à l’affiche sur les écrans marocains dans sa version française. La VO n’étant programmée qu’une seule séance le lendemain de sa sortie. Dommage. Nous y reviendrons.
Une sortie qui est donc un événement dans un paysage inerte. David Fincher fait partie en effet des cinéastes qui réunissent autour d’eux des admirateurs si ce n’est des adeptes. Il a forgé au fur et à mesure de sa filmographie, une démarche et un rapport au cinéma qui ont très tôt séduit par la cohérence du propos, l’originalité de l’approche esthétique et la création d’un univers aux signes et aux motifs récurrents ; avec des personnages vaincus car emportés dans un élan qu’ils finissent par ne plus contrôler. Il est venu lui-même au cinéma par la voie royale de la cinéphile ayant commencé très jeune à bricoler des films sur la trace des cinéastes du « nouvel Hollywood » notamment son maître, son modèle Georges Lucas. C’est dire qu’il fut d’abord  un fan des effets spéciaux intégrant le laboratoire que Lucas avait construit dans ce sens. Doué en la matière, on fit appel à Fincher à l’âge de 29 ans pour réaliser le troisième opus de la saga Alien. Il fit ses armes à la bonne école avant de passer à créer un univers propre où nous retrouvons certaines caractéristiques ; celles par exemple de recourir à l’adaptation de romans célèbres ou d’établir un vrai partenariat stratégique avec des comédiens confirmés à l’instar de Brad Pitt qu’il dirigea dans trois films. Les adeptes de Fincher première mouture sont partagés entre la tendance « Fight club » et la tendance « Seven » ; deux films majeurs d’une filmographie qui va encore proposer d’autres films (je cite notamment L’étrange histoire de Benjamin Button et the social network), autant de  variations dans le style tout en restant fidèle à un univers nourri de faux semblants et de simulacres.
Son nouveau film, Gone girl est une adaptation du roman « Apparences » véritable best seller de Gillian Flyn que nous retrouvons dans le scénario. Comment passer d’un livre de plus de 400 pages à un film de 2H 29 ? L’équation semble bien fonctionner et le film tenir son spectateur en haleine par la force de sa structure, la gestion de sa progression dramatique illustrée par une organisation en blocs narratifs jouant sur le temps et l’espace via la figure centrale du montage. Tout démarre par une question énigme : le jour du cinquième anniversaire son mariage Nick (Ben Affleck) s’interroge sur ce qui se passe vraiment dans la tête de sa femme, Amy (Rosamund Pike). C’est le beau plan de la tête de la femme qui ouvre le film ; le même plan que nous retrouvons à la fin avec la même interrogation. Entre temps, le récit nous aura transportés dans un voyage hallucinant au sein d’un couple américain d’aujourd’hui, bon chic bon genre…et pourtant. Cela va se révéler une véritable autopsie, et Fincher n’hésitera pas à disséquer. Autopsie d’un microcosme social, le couple qui ne manque pas de renvoyer à l’état d’une société. Le lien est tout à fait légitime quand on voit le rôle du masque social que doivent revêtir les protagonistes pour rester en concordance avec leur environnement, sous le contrôle des médias, omniprésents. Une lecture politique de ce qui se présente comme un banal thriller est rendue encore plus plausible par le choix de la date du jour de la disparition de la femme ; un 5 juillet, le lendemain du D day américain. En s’interrogeant sur les impasses du vivre ensemble réduit à un simulacre au sein du couple, Fincher et sa scénariste nous invitent à réfléchir sur le lien social à l’échelle d’une nation, ramené à des manipulations médiatiques au prix d’un mensonge. Le couple comme figure métonymique d’une Nation.
Le film est construit autour d’une fausse disparition. Pour se venger de son mari qu’elle a surpris un soir dans les bras d’une jeune fille, Amy va concocter un plan diabolique où sa disparition va être perçue comme un meurtre suffisant à renvoyer son mari à la chaise électrique (le récit se passe dans le Missouri où la peine capitale est encore pratiquée). Ce schéma va se compliquer, son mari ayant relevé l’astuce. La femme va alors opérer une volte-face hallucinante où elle met en scène son retour, se présentant comme victime d’un kidnapping de la part d’un ancien amant que le film présente dans l’une de ses séquences les plus fortes (sublime interprétation de Rosamund Pike).

La construction du récit puise dans les techniques les plus affinées de la dramaturgie avec une progression en cinq actes dont la gestion temporelle mobilise toute l’attention du spectateur. La narration est menée à partir de plusieurs points de vue : celui de l’épouse au passé, celui du mari au présent avec l’intersection des deux récits dans la séquence ultime de la reconstitution du couple sur la base du mensonge. Le tissu narratif est truffé d’indices et de signes à décrypter sans cesse, et dans ce sens le film fonctionne sur le plan du rythme, dans sa première partie comme Zodiac et dans sa deuxième partie, quand il verse dans l’horreur, comme Seven. De quoi faire redoubler le plaisir de l’œil cinéphile.

vendredi 31 octobre 2014

De quelques paradoxes du cinéma marocain

De quelques paradoxes…au cinéma
Ce n’est pas le moindre paradoxe marocain. Le cinéma en effet, n’arrête pas d’en fournir. Allez, prenons un dernier exemple que nous offre l’actualité toute chaude. Il y a  un « festival » à Rabat qui se tient sous le label de cinéma d’auteur et qui ne présente cette année aucun film marocain en compétition officielle. Aucun film marocain ne mérite « le Prix Hassan 2 » ? Cela rappelle le tennis et le sport équestre mais c’est bien l’intitulé,  très marketing année 70, du festival du cinéma d’auteur de Rabat. Aucun film marocain au moment même où la cérémonie d’ouverture de cette édition a vécu une première insolite, la présence du ministre du département de tutelle (Le hasard a voulu que ce soit un film turc qui était au programme cette soirée là !). Insolite car c’est un fait rarissime. Non seulement il était présent mais a cautionné le festival en prenant la parole lors de la cérémonie d’ouverture ; ce qui n’est pas encore une fois le moindre paradoxe marocain : voilà un festival qui se dit indépendant et qui est supposé promouvoir un cinéma d’auteur indépendant  qui choisit de démarrer, fait rarissime dans la pratique cinéma marocaine, sous le signe du discours officiel. Discours ministériel qui n’a pas manqué de mettre en exergue la bonne santé actuelle du cinéma marocain…état de chose que ne reconnaît pas le festival dans sa sélection officielle puisque aucun film marocain n’a été inscrit. Allez-y comprendre quelque chose ! Pauvre cinéma d’auteur…instrumentalisé au service de pouvoirs occultes ou du moins extra-cinématographiques !
Dans la série des paradoxes, prolongeons les exemples avec les derniers chiffres publiés par le CCM sur le box office arrêté au trente septembre dernier. Saluons  encore une fois cette initiative louable de mettre à la disposition des observateurs du paysage cinématographique des données fiables sur l’état des lieux. Aujourd’hui nous avons les chiffres concernant les neuf premiers mois de l’année en cours. Ils sont porteurs de sens à plusieurs niveaux. Ils mettent en avant d’une manière flagrante un autre paradoxe ; cette visibilité institutionnelle et statistique du cinéma devient une pratique courante au moment même où le cinéma devient invisible dans l’espace social. Avant en effet de lire et de décrypter les performances réalisés au niveau du guichet par tel film ou tel autre, il faut croiser ces chiffres avec une réalité structurelle ahurissante : le cinéma au sens social du mot n’existe plus que dans neuf villes !!!!! La trentaine de salles encore en activités sont cantonnées dans un espace géographique très réduit. C’est pour dire que les chiffres obtenus par les films marocains auraient été d’une autre dimension dans un autre environnement.

Que nous disent ces chiffres ? Ils confirment une tendance installée maintenant depuis une décennie, celle de voir des films marocains monopoliser les premières places du box office. C’est le mélodrame de Ahed Bensouda, Derrière les portes fermées qui a drainé le plus grand nombre d’entrée avec un chiffre frisant les cent mille (96 399). Il est suivi d’une comédie, déjà en place depuis trois ans (Route pour Kaboul de Brahim Chkiri). En troisième place nous retrouvons celui qui aime se présenter comme « le sultan du box office », Saïd Naciri avec son excellente comédie Sara. Tiens ! Voilà un authentique auteur complet qui a échappé au sélectionneur de Rabat : Naciri écrit et réalise lui-même ses films. N’est-ce pas  la définition même d’un auteur ? En plus, il ne triche pas avec le public.

dimanche 26 octobre 2014

Fonds d'aide aux films hassani

Cinéma et régions
A l’occasion du retour de la célébration de la journée nationale du cinéma (le 16 octobre), le gouvernement a fait part de son intention de créer un nouveau fonds d’aide au cinéma, dédié cette fois aux films hassanis ! Les détails et les modalités pratiques de cette initiative ne sont pas encore connus, mais les bruits circulent déjà sur un montant de dix millions de dirhams qui sera alloué à la production de films ayant pour thème les régions et les provinces sahariennes du sud marocain, et principalement le genre documentaire. Gageons qu’une nouvelle commission sera de nouveau lancée pour y réfléchir et une autre sera nommée pour le mettre en application. L’idée en soi n’est pas nouvelle. La question nationale, en effet, a de tout le temps été le cheval de bataille de ceux qui, n’appartenant pas à la sphère professionnelle du cinéma, trouvaient à dire face à la dynamique actuelle du cinéma marocain. Au parlement, par exemple, des députés qui n’ont jamais mis les pieds dans une salle de cinéma, reprochent à ce cinéma « l’absence d’intérêt pour les problèmes nationaux » (sic) et « l’absence de films sur les pages glorieuses de notre histoire » (resic). Reproche facile, séduisant à première vue mais ne rapporte pas gros car il n’est suivi d’aucune proposition concrète, ni surtout d’aucun argumentaire puisant sa source dans la vie réelle de notre cinéma. Depuis novembre 2011, cependant, ce discours a trouvé des échos dans les institutions officielles. Dès la nomination de la commission de l’avance sur recettes, cette pression et montée  d’un cran et la structure même de la commission a été révisée pour y adjoindre un membre issu des provinces du sud. Le discours officiel continue ainsi à en faire une sorte de paravent cachant peut-être une certaine gêne par rapport au cinéma en général.
Le sujet est cependant autrement plus séreux et invite à une approche professionnelle, et  historiciste ; loin surtout des sirènes politiciennes et démagogiques. Le traitement de « la question nationale » ne devrait pas être victime de sa propre promotion. Cela relève du scénario marocain global qui puise dans l’imaginaire collectif ses thèmes et sujets de prédilection. Un film sur le sahara doit être l’émanation logique d’une inspiration dramatique et non la réponse à une commande. On passe alors, le cas échéant,  du cinéma à la propagande. Combien de sujets traitant de causes légitimes ont été desservis par des œuvres « artistiques » privilégiant le souci politique au détriment de la valeur intrinsèque de l’œuvre.
L’expérience de nos voisins de l’Est en matière de traitement cinématographique de leur histoire est édifiante à cet égard. Le film Frontieras de Farida Belyazid offre également une expérience à méditer. Présenté au départ comme un documentaire –coup de cœur, il a perdu son âme en cours de route au fur et à mesure qu’il bénéficiait de grands moyens.

Ceci dit, le projet d’initier un cinéma traitant des affaires spécifiques du Sahara gagnerait à être inscrit dans une démarche plus vaste s’inspirant de la constitution de 2011 qui préconise pour notre pays le schéma de la régionalisation avancée. Les régions sont appelées à être les partenaires privilégiés du cinéma. Pourquoi le Sahara seul et non le Souss et le Rif aussi ? Regardez le générique d’un film espagnol ou d’un film français, la région y est omniprésente. Ce sera alors une démarche globale, cohérente sans discrimination positive ou négative qui mettra la région au cœur d’un dispositif où il sera question non seulement de produire des films mais aussi de promouvoir la région  avec des mesures incitatives pour les tournages nationaux et internationaux ; des aides à la sauvegarde des salles de cinéma « historiques », à la création de multiplexes moyens (3 à 4 écrans), de salles polyvalentes de proximité. La région serait alors le moteur d’une activité cinématographique multiple. Certaines régions disposent déjà d’un noyau, les fameuses « film commissions ». Elles sont toutes indiquées à être le levier de cette régionalisation cinématographique, de Dakhla à Al Hoceima en passant par Taroudant et Khénifra.

dimanche 12 octobre 2014

Entretien avec Mohamed Mouftakir


Faire un film qui résiste à l’épreuve du temps !
Mohamed Mouftakir est l’une des révélations heureuses de la décennie ; il est arrivé à un tournant décisif de l’évolution du cinéma marocain marqué par l’émergence d’une nouvelle génération. Après une riche expérience du court métrage, entamée avec L’ombre de la mort, …Il réalise son premier long métrage de fiction Pégase (2010) qui connaît une carrière riche en récompenses nationales et internationales. Il finalise aujourd’hui son deuxième LM, L’orchestre des aveugles.
Rencontrer Mouftakir est toujours un double plaisir : humain, car Si Mohamed déborde de gentillesse et de générosité ; et un plaisir intellectuel car Mouftakir est un personnage habité par le cinéma…par le désir de ne pas (se) répéter. D’emblée, il nous avertit : « mes réponses vont être à l’image de mes films ; elles paraîtront éclatées, fragmentées, dispersées…mais il y a un fil d’Ariane, un fil ténu qui les réunit et les porte vers quelque chose ». Cela suppose donc un lecteur actif à l’instar du spectateur coopératif et dynamique de ses films.
Au lendemain de sa désignation comme président du jury du festival du court métrage méditerranéen de Tanger nous l’avons rencontré  à Casablanca (septembre 2014).
Propos recueillis par Mohammed Bakrim






« Réaliser un film a toujours été pour moi une hantise et cela n’a rien à voir avec les conditions matérielles de production. Malgré mon expérience d’une dizaine d’années en tant qu’assistant à la réalisation, poser une caméra, faire un choix…restent pour moi un cauchemar. J ai toujours peur de réaliser et encore une fois cela n a rien à voir ni avec les moyens ni avec mes capacités. C’est plus profond, en rapport avec l’écriture que je conçois  comme une interaction durable et qui ne s’arrête pas avec le mot Fin qui s’écrit sur le papier ou sur le générique.
L’écriture un processus permanent
Pour moi être cinéaste, ce n’est pas seulement diriger une équipe, dire moteur action, c’est de l’exécutif à la portée de quiconque ayant eu une initiation au métier…mais la question à se poser est : est ce que tout le monde est cinéaste ? C’est la question qui me travaille ; et du coup toute ma démarche est orientée vers ce cap, me prouver et prouver aux autres que je suis un cinéaste et non seulement un réalisateur exécutif, un technicien de la mise en scène…j aspire à être quelqu’un impliqué dans ce métier, porté et animé par un projet, sincère dans sa démarche créative et utile. Cela rejoint une hantise universelle en quelque sorte concernant la démarche artistique ; comment donner sens au monde…un sens qui n’’existe peut être pas…mais la quête demeure et qui donne à l’art une dimension existentielle, métaphysique. L’art est par essence religieux ! Ma hantise quand je veux réaliser un film se nourrit de ses interrogations : que va apporter ce film à ma vie personnelle, à ma vie en tant que artiste, en tant qu’être humain ? Que va véhiculer  ce film comme sens dans ses dimensions thématiques,  esthétiques, et symboliques. D’où l’impression que tu as relevé en soulignant que mes plans sont « surchargés », « saturés ».  Une surcharge qui dénote un désir de répondre à ces interrogations et de communiquer et partager ce désir…
Du coup cela se répercute sur mon rapport à l’écriture qui est pour moi un processus permanent… donc une souffrance permanente. Je n en sors qu’une fois le film est présenté au public…et encore car commence alors une autre angoisse, comment le film va résister à l’usure du temps. Toutes  ces questions je les ai en tête au moment même de l’écriture. Prendre en compte la présence du public avec qui j’établis un rapport de sincérité. Je ne triche pas avec le public c’est-à-dire je ne cherche pas à le mettre sur de fausses pistes ; au contraire j’en fais un compagnon de mes interrogations et de mes …dans une démarche esthétique spécifique qui lui permet de suivre sans forcément être d’accord.
Après le film se prend en charge lui-même et continue de dialoguer avec son spectateur.  C’est en quelque sorte ce qui  me motive à continuer à faire des films ; à faire du cinéma. Un film ce n’est jamais définitif. Et cela marque toute ma démarche ; je n’obéis à aucun schéma...Même avec mes comédiens qui ne sont jamais enfermés dans un cliché ou dans des rôles typés (Younes Megri dans le rôle d’un musicien populaire dans mon prochain film). Quand il n y a pas de défi à relever…quand c’est facile je me méfie ! Dans Pégase il m’est arrivé de refaire une scène pour mieux l’étoffer et lui donner de la consistance au-delà du simple fait anecdotique ou informatif qu’elle peut apporter
Un cinéaste, c’est d’abord un projet
Chaque court métrage apprend du précédent mais celui qui m’est le plus proche est Chant funèbre (2008) ; certes c’est le dernier mais c’est aussi le plus accompli, dans ce sens c’est un vrai court, dans sa durée. Au terme des mes quatre courts métrage j’ai appris d’ailleurs à faire court : le premier Danse avec la mort faisait dans les trente minutes, le dernier a une durée de 15 minutes ! D’ailleurs pour les longs j’apprends à être plus long, mon deuxième LM est plus long que le premier !
A plusieurs reprises j ai pensé à remonter mes courts mais finalement je me dis ils ne m’appartiennent plus. Par contre, l’idée de revenir au court me  séduit toujours, j’ai même en tête une histoire toute prêt à donner corps à un court, c’est l’histoire d’un comédien qui passe toute sa vie à passer des castings sans aller plus loin…mais on verra bien.
Le foisonnement actuel de jeunes réalisateurs me fait plaisir ; il y a des jeunes qui arrivent. Mais je me demande s’ils se posent une question simple mais fondamentale : pourquoi j’ai choisi de devenir cinéaste et non pas ingénieur, maçon ou professeur ?
Est-ce qu’on vient au cinéma parce qu’il y à l’avance sur recettes ou bien parce que on veut être cinéaste animé d’un désir : raconter des histoires, témoigner, défendre un projet artistique. Je pense que ce sont des questions essentielles. Quand j’ai décidé de faire du cinéma, je n’avais aucune idée sur la profession encore moins de l’avance sur recettes qui à l’époque s’appelait le fonds d’aide. J’étais dans le théâtre et j’étais étudiant en littérature anglaise. Le côté artificiel du théâtre me dérangeait un peu et j’ai découvert le cinéma grâce à Faulkner et aux romanciers américains. C’est ainsi que j’ai décidé de faire du cinéma car elle correspondait à la manière avec laquelle je voulais aborder le monde, à réponde à mes angoisses et à mes interrogations.
Parmi ces interrogations,  comment faire qu’un film marocain soit reconnu comme tel dès le premier plan ? À l’instar d’un film iranien ou japonais ou même américain ? Au-delà de la langue et des décors ;  c’est dans cet esprit que j’ai mené Pégase sauf qu’avec ce film les gens un peu partout dans le monde me disaient que j’ai fait un film dont ils se sentaient proches ; et ce fut la grande leçon de Pégase : quand on est ancré dans sa culture on finit par toucher les gens au-delà des frontières politiques et linguistiques. C’est l’universalité du septième art. Et ça c’est un défi permanent !
Dans tous mes films, les personnages sont portés par une volonté ; celle de se libérer de quelque chose, d’un poids…c’est une ligne de conduite que l’on retrouve du premier court L’ombre de la mort (2003) à L’orchestre des aveugles mon nouveau long métrage. Et à chaque fois, il y a une solution qui finit d’une manière ou d’une autre par arriver…dans l’ombre de la mort cela passe par le suicide ; dans la danse du fœtus par le choix de l’isolement ; dans fin de mois par la tricherie ; dans chant funèbre par la fuite et dans Pégase, c’est la réconciliation avec soi. Pour se libérer d’un passé terrorisant, il faut s’accepter, s’assumer et tu vas constater que cette approche va encore être renforcée par le désir non pas de nier son passé mais de l’aimer.
Hommage aux pionniers
Ma génération n’a pas eu de considération pour la génération des aînés parce que tout simplement elle l’a niée. Elle ne l’a pas abordée comme référence encore moins comme « père esthétique » ! Elle n’a pas cru en elle. C’est un avantage et en même temps un inconvénient, car face à ce trou de mémoire…l’occident s’est retrouvé être la seule référence esthétique.  On tue symboliquement le père en le niant comme s’il n’avait jamais existé. Franchement, je le regrette, et c’et un reproche que je fais à la nouvelle génération, celui de ne pas avoir assimilé l’héritage cinématographique national qui est quand même un acquis qui mérité d’être connu et analysé. Un cinéaste comme Mostafa Derkaoui mérite le plus grand respect… J’aurai aimé le voir aujourd’hui se confronter à la nouvelle génération et pour tout dire : il nous manque. Dire qu’ils sont passés à côté de la plaque est non seulement injuste mais historiquement faux. C’est une vraie génération de pionniers qui a apporté beaucoup à la profession sur le plan législatif et il a mis en place les principales tendances du cinéma marocain »


mercredi 8 octobre 2014

Sarem Fassi Fihri, nouveau directeur du CCM

Les enjeux d’une nouvelle époque
« Ma tribu s’égare mais je dois la suivre » (1)






FIN. Ce mot magique qui accompagne le spectacle cinématographique authentique vient soit pour interrompre un plaisir que le spectateur aurait aimé voir se prolonger, soit le délivrer d’un ennui mortel. Dans un scénario bien ficelé, à l’américaine,  dès que le climax a été atteint, le point d’orgue du récit franchi, on envoie le générique de fin. Le scénario de la nomination du nouveau directeur du Centre cinématographique marocain (CCM) est d’une autre nature ; il vient enfin de connaître son dénouement avec la désignation de M. Fassi Fihri après un long processus de maturation, pratiquement six mois de procédures, relevant de l’écriture feuilletonesque ; c’est-à-dire avec moult épisodes et non sans une dose de suspense. Plus tard, l’histoire nous dira le non-dit de toute cette histoire.  Aujourd’hui, un fait nouveau est là ; il s‘agit de l’inscrire dans ses réelles perspectives.
Les observateurs objectifs de la chose cinématographique marocaine souligneront d’emblée que le choix porté sur M. Fassi Fihri n’est pas une surprise eu égard à son passé et surtout par rapport aux deux autres postulants dont la désignation, de l’un ou de l’autre, aurait varié d’une surprise partielle et au coup de théâtre. Je vous laisse deviner !
M. Fassi Fihri est issu du domaine. Il a été l’une des figures de proue du tournant pris par le cinéma marocain dans les années 90. Une décennie qui a vu le nouveau patron du CCM érigé en véritable star de la production cinématographique notamment à partir du festival national du film de Tanger (1995). Barbe et cigare à la Orson Welles, il était l’homme à séduire et amadouer. Tous les cinéastes cherchaient à entrer dans son rayon d’action. Il avait ses choix,  produisant une partie des films de Hakim Noury qui ont marqué la décennie et scellé la réconciliation du public marocain avec son cinéma ; il adopta également un jeune talent venu du Norvège et qui a marqué le festival de Tanger de 1995,  Nour Eddine Lakhmari en produisant son premier film marocain, Le dernier spectacle (1998). Il produisit également le premier long métrage de l’une des jeunes figures de Tanger, Mektoub de Nabil Ayouch. Sa position de premier plan dans le champ du cinéma arrive avec Le Festival national du film de Casablanca (1998) dont il était la principale vedette. Beaucoup de cinéastes lui sauront gré de deux qualités : générosité et disponibilité ; location de matériel ; fermant les yeux sur des échéances arrivées à terme… Il s’investit également dans la production exécutive internationale ; politique qu’il couronna avec la création des studios Cinédina dans la banlieue sud de Casablanca : immense projet construit dans les normes professionnelles et aux grandes ambitions. Le retour sur investissement est une autre paire de manche ! Il fut alors tout naturellement conduit à la tête de la chambre des producteurs de films. Position institutionnelle qui lui ouvre la voie de devenir l’un des interlocuteurs privilégiés des officiels notamment lors de l’élaboration de textes relatifs à l’organisation de la profession. C’est ainsi qu’avec l’arrivée de Nour Eddine Saïl à la tête du CCM, il devint non seulement un interlocuteur naturel avisé mais un partenaire écouté. Le duo fonctionna même en ticket gagnant. Leur entente a permis de mener plusieurs actions qui vont marquer la décennie autour de la mise à niveau des textes ou l’élaboration de nouveau. Une entente qui a permis également d’amortir les chocs issus des attaques que le cinéma marocain va subir à plusieurs reprises. Autour de certains choix, on peut dire que le bilan de la décennie écoulée, c’était aussi le bilan de Fassi Fihri. Mais comme le dit si bien l’adage populaire « douam lhal men lmouhal » : un état durable est une chimère ! En effet, un vent de froid va souffler sur la relation entre les deux hommes et la distance va devenir une divergence, alimentée, voire attisée par les manœuvres des aigris et des déçus des années Saïl.
Des hommes et des lieux
C’est dans cet état des choses que M. Fassi Fihri arrive à la tête du CCM. Et dans un contexte diamétralement différent avec ce qu’il avait connu en tant qu’acteur « civil » du champ cinématographique. Aujourd’hui les enjeux sont d’une autre nature. Et les défis aussi. Ils détermineront en grande partie l’ordre de ses priorités.
Le premier enjeu est interne et concerne son outil de travail, à savoir l’organisme qu’il est appelé à diriger. Le CCM qu’il va découvrir n’est plus le CCM d’il y a dix ans. Sur le plan des ressources humaines, le CCM connaît une des mutations générationnelles les plus importantes de ces trente dernières années. Beaucoup de ses figures « historiques » qui ont collaboré d’une manière ou d’une autre avec M. Fassi Fihri producteur, dont certains étaient ses amis intimes,  ne sont plus là. C’est un changement radical qui va propulser de nouveaux jeunes cadres aux différents postes de responsabilités, devenus vacants suite aux départs de leurs prédécesseurs qui les ont occupés pendant des années. Un changement qui va mettre à nu une réalité longtemps passée sous silence, à savoir le sous-encadrement. Le CCM souffre cruellement de manques de cadres. Les recrutements se font au compte gouttes. C’est le premier vrai chantier qui va se poser au nouveau directeur avec en corrélation le changement de l’Organigramme du CCM qui doit s’ouvrir verticalement (l’évolution hiérarchique d’un cadre au CCM est très limitée et n’encourage pas l’arrivée de nouvelles compétences) et horizontalement avec la création de nouveaux départements qui répondent à l’évolution du secteur.
Toujours à l’intérieur du CCM, M. Fassi Fihri sera confronté chaque matin à un boulet qui pèse, celui du laboratoire. Voilà un formidable outil qui a servi énormément le cinéma marocain (un film marocain peut se fabriquer de A à Z au Maroc) et qui sert une dynamique politique de coopération internationale notamment avec les pays du sud et les Africains surtout ; un atout que son prédécesseur a brillamment utilisé au service de l’image du Maroc. Quelques semaines avant sa mort, le pionnier du cinéma africain, le sénégalais Sembene Ousmane m’a dit textuellement «  tant qu’il y a le CCM, je n’ai pas besoin de l’Europe ». Sauf que le laboratoire a mal…et ce depuis longtemps. Malgré tous les efforts qu’il a demandés. Certes, il a réussi sa mutation numérique mais c’est un véritable gouffre financier qui peine à trouver sa vitesse de croisière. Faut-il crever l’abcès et décider de changer son statut : le privatiser ? Lui donner un statut mixte public-privé ? …
Pas très loin des locaux qui abritent le laboratoire se trouve un bel édifice, celui de la cinémathèque marocaine. Souvent, en la matière ce sont les textes qui précèdent les bâtiments…sauf pour la cinémathèque qui dispose de jolis locaux, d’une très belle salle de projection mais n’a pas d’identité administrative et financière à même de lui permettre d’assumer ses  nobles fonctions. Il est triste de voir un tel investissement réduit au simple appendice, transformé en succursale ou annexes administratives. La question de la cinémathèque pose la question de la disponibilité du patrimoine cinématographique nationale. Naciri, l’ex-ministre de la communication, et Saïl ex-directeur du CCM avaient élaboré un projet ambitieux de la numérisation de  tous les films marocains pour mettre à la disposition des chercheurs et des organisateurs de manifestations cinématographiques des copies DVD de toute la filmographie marocaine. Une demande qui est devenue de plus en plus d’actualité.
Quel CCM pour demain ?
Mais au-delà des ces aspects gestionnaires, quotidiens…le vrai « combat » de Fassi Fihri et qui donnera sens à son action sera autour de l’identité du CCM lui-même ; particulièrement par rapport à son département de tutelle et par rapport aux mutations qui traversent le monde du cinéma. Le nouveau directeur a tenu à préciser qu’il ne placera pas ses rapports avec l’actuel ministre islamiste de la communication sous le signe de l’affrontement idéologique. Soit. Mais quid des prérogatives du CCM qui sont chaque jour grignotées et réduites au bénéfice des entités ad hoc ? Désormais la grande question qui pointe à l’horizon est de nature stratégique : faut-il  réadapter le CCM aux nouvelles réalités en le transformant en une véritable entité autonome, dotée de moyens et libérée du calendrier politique ? Ce qui suppose de couper le cordon ombilical avec le ministère de tutelle en le transformant en « agence nationale des industries du cinéma et de l’image » ? M. Fassi Fihri, contrairement à MM. Benbarka et Saïl, est désormais plus dépendant politiquement du gouvernement. Il est venu à ce poste dans le cade de la nouvelle constitution qui a élargi le champ de nomination du chef de gouvernement. En somme, il n’ pas la même légitimité de ses deux prédécesseurs nommés par Dahir. Si demain, le pays connaît des élections anticipées, c’est le luxe de vivre en démocratie, qui ramènent une nouvelle majorité avec un nouveau ministre de la communication, M. Fassi Fihri se verrait, dans la situation du patron obligé de frapper, chaque matin, à la porte de son bureau avant d’entrer pour vérifier qu’il n’y a pas un nouveau locataire dans les lieux ! Le cinéma ne pourrait supporter autant d’incertitude sauf à accepter de revenir à la situation de 1956 où le cinéma était un service relevant du ministère de « l’information » et où le CCM était réduit à délivrer des cartes professionnelles et des autorisations de tournage. C’est le débat que nous avions tenté de lancer à l’occasion des préparatifs du fameux livre blanc, en vain. Quel CCM pour demain ? Un département ministériel avec à sa tête un fonctionnaire qui attend de voir ses 4 années de service accomplies sans clash ou une entité portée par un projet qui transcende les choix politiques fluctuants ? C’est le paradigme qui va peser sur l’agenda à venir et va déterminer les positions des uns et des autres. Déjà la multiplication des commissions spécialisées qui sont devenues gourmandes en matière de prérogatives a instauré un climat de compétition nuisible à l’action.

Des salles pour quel public
Reste le grand chantier des salles de cinéma que M. Fihri a annoncé comme prioritaire. Il faut savoir faire preuve de modestie à cet égard. La question des salles de cinéma ne relève plus de la profession ; elle fait partie désormais des choix de société : elle ne dépend plus (ou uniquement) d’une décision administrative, elle appartient au champ des orientations politiques qui déterminent un projet de société. La donne, en effet, a complètement changé ; on est passé de l’équation les gens ne vont plus au cinéma parce qu’il n’y a plus de salles de cinéma à l’équation il n’y a plus de salle de cinéma parce que les gens ne vont plus au cinéma. On peut ouvrir une salle par ici, une autre par là…elles ne tarderont pas à fermer (le cas de la salle de cinéma à Ouarzazate) tant que cela ne s’inscrit pas dans un vaste projet de politique culturelle ; et d’un choix qui engage la société et l’Etat. La nature du problème dépasse la bonne volonté de l’acteur (Saïl en sait quelque chose) ou sa connaissance du terrain…il fait face à des paramètres environnementaux dont il n’a pas la maîtrise : repli de la cinéphilie ; irruption dans l’espace public de nombreux lieux de communion collective et de production de discours symbolique ; basculement de la société dans une culture communautaire infra-citadine ; idéologie conservatrice irrigant l’ensemble du corps social ; nouveaux réseaux de consommation domestique des images…
Baptême de feu à Tanger




Reste alors à assainir le climat au sein de la profession pour qu’elle puisse justement contribuer à ce débat de société. Et sur ce point M Fassi Fihri est très attendu. Lorsqu’il était à la tête de la Chambre des producteurs,  il était en compétition avec des concurrents. Il avait eu des dissidents de son groupe et qui seront aujourd’hui ses interlocuteurs …Là, il a  à faire preuve de tact et de savoir faire et surtout de grandeur d’esprit y compris par rapport à l’immense legs de son prédécesseur. Tout l’espoir est de ne pas le voir atteint par « le syndrome Ben Ali », du nom de l’un des anciens directeurs de 2M, appelé à succéder à Saïl en 2003 et qui consacra sa première année d’exercice à effacer les acquis réalisés et à une véritable chasse aux sorcières…ouvrant la voie au déclin actuel de la chaîne d’Aïn Sbaâ !
 Le nouveau directeur sera soumis rapidement à rude épreuve ; il n’aura même pas le temps d’apprécier le confort de son nouveau siège que des échéances vont se poser à lui comme de véritables tests ; des rites de passage comme disent les anthropologues. A commencer par le festival du court métrage  méditerranéen de Tanger dont la nouvelle édition est prévue du 13 au 18 octobre ; une édition qui a été en  grande partie préparée sous le règne de M. Saïl. Va-t-il adopter ce festival et continuer à le soutenir au moment où il connaît une grave crise financière ? Dans tous les cas, Tanger, hasard heureux comme en 1995, lu offrira une première vitrine, très prisée, pour envoyer un premier faisceau de signes…qui alimenteront les conversations dans différents salons et autres lieux préférés des gens de la profession.
Avec sa nomination officielle, une partie de son profil et de son identité ont été dévoilés au grand public ; notamment, concernant son prénom qui était réduit dans l’échange courant à Sarem ; grâce au communiqué de M. Benkirane, on apprend, en fait que son prénom entier est Sarem Alhak. Sévérité et droit ! Tout un programme. Wait and see.
Mohammed Bakrim

(1)   In Les tribulations du dernier Sijilmassi, Fouad Laroui, page 304.


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