lundi 14 avril 2014

Sarah et Kan Ya makan



La comédie, genre phare du cinéma marocain
Les statistiques du box office le confirment d’une année à l’autre : la comédie populaire est plébiscitée par le public. Le phénomène Route pour Kaboul continue de drainer du monde et tenir l’affiche depuis pratiquement deux ans. On assiste même à un comportement inédit de la part des exploitants : entre deux nouvelles sorties (marocaines souvent !), on ressort Route pour Kaboul ; une manière presque sûre de maintenir le moteur en marche.
Aujourd’hui, deux films marocains sont justement à l’affiche. Un film inédit Kan ya ma kan de Said C. Naciri et Sara de Said Naciri qui est en reprise après une sortie réussie en fin 2013. L’homonymie presque totale entre les deux réalisateurs ne renvoie pas à une parenté directe en dehors de celle de défendre un cinéma populaire via un genre établi, la comédie. Deux parcours différents, une même ambition : faire du cinéma grand public ; avec cependant des caractéristiques différentes et un style qui traduit des approches de cinéma spécifiques.
Sara : la comédie sociale.
Said Naciri est venu au cinéma à partir du spectacle de la scène, le théâtre et surtout, de ce qui fait sa grande spécialité le one man show. Nourri de cette longue expérience du spectacle, il a investi le cinéma où ses films ont tout de suite rencontré un grand succès public. Avant de jouer dans des films qu’il réalise lui-même, il fait appel aux services de Hassan Benjelloun qui fait une adaptation cinématographique de la pièce de théâtre, Le pote, écrite, mise en scène et interprétée par Said Naciri lui-même. Mais le succès viendra surtout avec  Les bandits, en tête du box office en 2004 et en 2005. Suivront ensuite Abdou chez les Almohades (2006), une sorte de remake marocain des Visiteurs ; Le clandestin (2010) ; Un marocain à Paris (2011) et Sara (2013).
Avec Sara, on peut dire que Said Naciri renoue avec la démarche qui a assuré le succès de ces deux films Les bandits et Le clandestin. On sait en effet que la parenthèse Un Marocain à Paris si elle n’a pas été un flop a été un demi-succès par rapport notamment aux deux autres films qui ont caracolé en tête du box office. Sara est sur la même voie ayant déjà dépassé la barre des 50 000 entrées. On y retrouve en effet, la même structure  dramatique, celle d’un personnage central confronté à des obstacles issus de la nature même des rapports sociaux dominants. Ce sont des comédies ancrées socialement et fortement codées avec les bons du côté du petit peuple : le héros du film Les bandits habitant un bidonville avant sa réussite sociale ; celui du Clandestin est un transporteur populaire qui vit d de l’informel et celui de Sara est un ancien détenu qui vit de petites combines. Le programme narratif de ce cinéma est la stricte application de la définition même de la comédie ; à savoir divertir en représentant les travers, les us et coutumes parfois dépravées d’une société. Cet ancrage social est renforcé dans le cas de Sara par le recours à la figure de l’enfant sans famille qui donne au film une dimension mélodramatique indéniable. Au comique des situations s’adjoint l’identification morale à la quête de l‘enfant pour se reconstituer une famille. La belle trouvaille du film, outre l’idée intelligente de choisir Agadir comme décor, c’est la jeune Imane Nakhad dans le rôle de Sara et qui réussit à tenir la dragée haute à Said Naciri au point de séduire le jury de Tanger qui lui a décerné une mention spéciale.
Kan ya ma kan : le cinéma de la parodie
Si la comédie est un genre confirmé, il n’en demeure pas moins un genre ouvert à des variations qui reflètent sa richesse et l’immense éventail qu’il offre aux scénaristes et surtout aux metteurs en scène. C’est la grande leçon que nous propose le parallèle entre Sara et Kan ya ma kan. Les deux films inscrits dans le genre sont aussi une illustration du parcours de leurs auteurs. L’un (Sara) tire vers la scène, le comique de situations, les rebondissements mélodramatiques ; l’autre (kan ya ma kan) tire vers le gag visuel, la citation, le détournement des règles d’un genre. On peut parler pour Said C. Nacir  d’une consécration d’un choix. Nourri de culture cinéphilique, formée à l’école américaine de cinéma. Il a été longtemps à Los Angeles où il a appris les ficelles du métier…notamment autour de ce qui fait la force du cinéma américain, le film d’action la série B. Avec des amis américains il a même contribué à développer un outil de tournage, les rollersblade, pour la technique de filmer une poursuite dans les ruelles de la médina.
Son premier long métrage, Kan ya ma kan, est en l’occurrence dédié à ce savoir faire. A la différence de Sara qui est inscrit directement dans la logique d’un genre confirmé, la comédie sociale, le film de Said C. Nacir vient à la comédie en travestissant d’autres genres. Nous sommes dans la parodie et le pastiche. Dans kan ya ma kan les codes du film d’action sont repris, décalés et détournés. Le plaisir est alors double. D’abord par l’effet de ce détournement mais aussi le plaisir de remonter au signe détourné. Un exercice cinéphile en somme : chaque image est une invitation à revisiter la mémoire visuelle du cinéphile. C’est ainsi qu’on a parlé de Sergio Leone, de  Mad Max, de Quentin Tarantino…mais aussi de Jamaa El Fna. Le film s’offre d’abord comme un conte pris en charge par l’une des figures les plus emblématiques du récit oral de la célèbre place marrakchie, le conteur Baris. Une sorte d’hommage à un art en perdition. Le holdup qui ouvre le film et va constituer la base de sa trame narrative se déroule à partir d’une banque fictive située  sur la place, peut se lire sur un plan métaphorique comme l’image du hold up global dont est victime le patrimoine de la place Jemaa El fna, livrée à toute sorte de travestissement et de détournement. D’ailleurs, le butin, objet de la course effrénée et de la lutte acharnée entre les différents prétendants n’est que le prétexte pour soulever des questions liées à l’héritage culturel, à la transmission légitime du pouvoir…
Le film, cependant est du cinéma. Un cinéma post-moderne, celui qui fait appel à l’art de la citation, de la récupération. C’est un cinéma-concert, la bande son d’ailleurs est fondamentale avec le recours à des musiques fortes signées Rachid Taha et Hoba Hoab spirit. C’est un cinéma en outre d’ingénieur où la post production détient le dernier mot dans la structuration du récit.
Mohammed Bakrim

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