La comédie, genre phare du cinéma
marocain
Les statistiques du box office le
confirment d’une année à l’autre : la comédie populaire est plébiscitée
par le public. Le phénomène Route pour Kaboul continue de drainer du monde et
tenir l’affiche depuis pratiquement deux ans. On assiste même à un comportement
inédit de la part des exploitants : entre deux nouvelles sorties
(marocaines souvent !), on ressort Route pour Kaboul ; une manière
presque sûre de maintenir le moteur en marche.
Aujourd’hui, deux films marocains
sont justement à l’affiche. Un film inédit Kan ya ma kan de Said C. Naciri et
Sara de Said Naciri qui est en reprise après une sortie réussie en fin 2013.
L’homonymie presque totale entre les deux réalisateurs ne renvoie pas à une
parenté directe en dehors de celle de défendre un cinéma populaire via un genre
établi, la comédie. Deux parcours différents, une même ambition : faire du
cinéma grand public ; avec cependant des caractéristiques différentes et
un style qui traduit des approches de cinéma spécifiques.
Sara : la
comédie sociale.
Said Naciri est venu au cinéma à
partir du spectacle de la scène, le théâtre et surtout, de ce qui fait sa
grande spécialité le one man show. Nourri de cette longue expérience du
spectacle, il a investi le cinéma où ses films ont tout de suite rencontré un
grand succès public. Avant de jouer dans des films qu’il réalise lui-même, il
fait appel aux services de Hassan Benjelloun qui fait une adaptation
cinématographique de la pièce de théâtre, Le pote, écrite, mise en scène et
interprétée par Said Naciri lui-même. Mais le succès viendra surtout avec Les bandits, en tête du box office en 2004 et
en 2005. Suivront ensuite Abdou chez les Almohades (2006), une sorte de remake
marocain des Visiteurs ; Le clandestin (2010) ; Un marocain à Paris
(2011) et Sara (2013).
Avec Sara, on peut dire que Said
Naciri renoue avec la démarche qui a assuré le succès de ces deux films Les
bandits et Le clandestin. On sait en effet que la parenthèse Un Marocain à
Paris si elle n’a pas été un flop a été un demi-succès par rapport notamment
aux deux autres films qui ont caracolé en tête du box office. Sara est sur la
même voie ayant déjà dépassé la barre des 50 000 entrées. On y retrouve en
effet, la même structure dramatique,
celle d’un personnage central confronté à des obstacles issus de la nature même
des rapports sociaux dominants. Ce sont des comédies ancrées socialement et
fortement codées avec les bons du côté du petit peuple : le héros du film
Les bandits habitant un bidonville avant sa réussite sociale ; celui du
Clandestin est un transporteur populaire qui vit d de l’informel et celui de
Sara est un ancien détenu qui vit de petites combines. Le programme narratif de
ce cinéma est la stricte application de la définition même de la comédie ;
à savoir divertir en représentant les travers, les us et coutumes parfois
dépravées d’une société. Cet ancrage social est renforcé dans le cas de Sara
par le recours à la figure de l’enfant sans famille qui donne au film une
dimension mélodramatique indéniable. Au comique des situations s’adjoint
l’identification morale à la quête de l‘enfant pour se reconstituer une
famille. La belle trouvaille du film, outre l’idée intelligente de choisir
Agadir comme décor, c’est la jeune Imane Nakhad dans le rôle de Sara et qui
réussit à tenir la dragée haute à Said Naciri au point de séduire le jury de
Tanger qui lui a décerné une mention spéciale.
Kan ya ma
kan : le cinéma de la parodie
Si la comédie est un genre
confirmé, il n’en demeure pas moins un genre ouvert à des variations qui
reflètent sa richesse et l’immense éventail qu’il offre aux scénaristes et
surtout aux metteurs en scène. C’est la grande leçon que nous propose le
parallèle entre Sara et Kan ya ma kan. Les deux films inscrits dans le genre
sont aussi une illustration du parcours de leurs auteurs. L’un (Sara) tire vers
la scène, le comique de situations, les rebondissements mélodramatiques ;
l’autre (kan ya ma kan) tire vers le gag visuel, la citation, le détournement
des règles d’un genre. On peut parler pour Said C. Nacir d’une consécration d’un choix. Nourri de
culture cinéphilique, formée à l’école américaine de cinéma. Il a été longtemps
à Los Angeles où il a appris les ficelles du métier…notamment autour de ce qui
fait la force du cinéma américain, le film d’action la série B. Avec des amis
américains il a même contribué à développer un outil de tournage, les rollersblade,
pour la technique de filmer une poursuite dans les ruelles de la médina.
Son premier long métrage, Kan ya
ma kan, est en l’occurrence dédié à ce savoir faire. A la différence de Sara
qui est inscrit directement dans la logique d’un genre confirmé, la comédie
sociale, le film de Said C. Nacir vient à la comédie en travestissant d’autres
genres. Nous sommes dans la parodie et le pastiche. Dans kan ya ma kan les
codes du film d’action sont repris, décalés et détournés. Le plaisir est alors
double. D’abord par l’effet de ce détournement mais aussi le plaisir de
remonter au signe détourné. Un exercice cinéphile en somme : chaque image
est une invitation à revisiter la mémoire visuelle du cinéphile. C’est ainsi
qu’on a parlé de Sergio Leone, de Mad
Max, de Quentin Tarantino…mais aussi de Jamaa El Fna. Le film s’offre d’abord
comme un conte pris en charge par l’une des figures les plus emblématiques du
récit oral de la célèbre place marrakchie, le conteur Baris. Une sorte
d’hommage à un art en perdition. Le holdup qui ouvre le film et va constituer
la base de sa trame narrative se déroule à partir d’une banque fictive
située sur la place, peut se lire sur un
plan métaphorique comme l’image du hold up global dont est victime le
patrimoine de la place Jemaa El fna, livrée à toute sorte de
travestissement et de détournement. D’ailleurs, le butin, objet de la
course effrénée et de la lutte acharnée entre les différents prétendants n’est
que le prétexte pour soulever des questions liées à l’héritage culturel, à la
transmission légitime du pouvoir…
Le film, cependant est du cinéma.
Un cinéma post-moderne, celui qui fait appel à l’art de la citation, de la
récupération. C’est un cinéma-concert, la bande son d’ailleurs est fondamentale
avec le recours à des musiques fortes signées Rachid Taha et Hoba Hoab spirit.
C’est un cinéma en outre d’ingénieur où la post production détient le dernier
mot dans la structuration du récit.
Mohammed Bakrim
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