Etre et ne pas avoir
« Quelque chose
fait peur dans l’exercice du documentaire »
J-L. Comolli
C’est parti pour la sixième
édition du festival international du film documentaire d’Agadir (du 28 avril au
4 mai). Des signes extérieurs l’attestent : les principales artères de
la ville sont pavoisées aux couleurs du plus grand rendez-vous marocain dédié
au documentaire. L’étiquette, légitime, est alléchante même si les moyens ne
suivent pas…Etre sur la carte, et ne pas avoir les outils de travail…Le
documentaire ne bénéficie pas du soutien qu’il mérite. Est-ce parce qu’il
s’agit d’un genre indomptable ? Son rapport au réel qu’il interroge et
libère de l’emprise du spectacle bouscule les habitudes établies. Il brouille
les cartes et ouvre sur l’incertain…on le cantonne alors dans la marge. La
subvention émanant de la commission du ministère de la communication est dérisoire (250 mille dirhams !) eu
égard aux ambitions affichées du festival et à son positionnement international.
Il est hautement symbolique de relever et de signaler à ce propos que la
première personnalité rencontrée dans le hall de l’hôtel qui abrite le comité
d’organisation n’est autre que Nicolas Philibert, l’une des figures de proue du
documentaire contemporain, non seulement dans son pays, la France, mais
également sur le plan international. Il est tout autant symbolique de voir
combien est grand l’engouement des jeunes étudiants venus nombreux bénéficier
de la formation pour ce genre cinématographique que se soit en assistant aux
projections, aux masters class ou à la ruche documentaire, une case que le
festival organise pour détecter les projets les plus fiables pour soutenir
leurs auteurs via un réseau international… Des étudiants du Maroc dans toute sa
diversité, de Ouarzazate à Tétouan en passant par Marrakech, Casablanca et
Rabat…Des étudiants des écoles de cinéma, des autodidactes ou tout simplement
des passionnés, des militants du documentaire. Oui, il y a une dimension
cinéphile indéniable à défendre le documentaire aujourd’hui, il y a aussi une
dimension militante et je dirai franchement citoyenne à vouloir promouvoir, et
encourager le documentaire. Le contexte général s’il n’est pas hostile n’en
demeure pas moins ardu…Les moyens ne suivent pas et plus grave encore, la
logistique de base fait de plus en plus défaut,
notamment en termes d’infrastructure. Est-il concevable qu’une ville,
Agadir, joyau urbain et véritable image du Maroc qui bouge ne soit pas dotée de
salles à même d’accueillir les projections dans des conditions correctes et qui
respectent les normes du cinéma. Immense déception le premier jour à l’occasion
de la première projection du festival, à la fois chez les organisateurs, chez
les cinéphiles et chez les professionnels dont le cinéaste auteur du film qui n’a
pas manqué d’ailleurs de le signaler lors de la présentation de son film. il
s’agit de Nicolas Philibert lors de la présentation de son film à l’Institut
français d’Agadir.
Ceci dit et rappelé, le festival
est sur les rails grâce à l’abnégation de ceux qui le portent dans eur
cœur ; grâce à ses nombreux amis et le documentaire a son festival…L’événement
phare de cette édition est certainement la carte blanche dédiée au cinéaste
français Nicholas Philibert, son film le plus célèbre Etre et avoir a été
présenté aux étudiants de cinéma et à un public cinéphile lors de la journée de
lundi. Produit il y a plus de dix ans ; c’est un film de 2002, Etre et
avoir a gardé toute sa force d’expression et la charge d’émotion qu’il dégage.
Le film avait fait l’actualité à sa sortie, d’abord par le grand accueil public
qui avait fait de lui le film documentaire qui a drainé le plus de public en
salles (plus de 2 millions de
spectateurs). Sélectionné à Cannes, son réalisateur avait également obtenu le
césar du meilleur montage. Il a eu également un immense succès international.
Un succès qui a provoqué une immense polémique puisque l’instituteur que le
film suit pendant une année scolaire dans soin travail avec des enfants
scolarisés en milieu rural avait poursuivi le cinéaste réclamant des droits
relatifs à son image et au contenu de son cours. La justice à tous les niveaux
de la hiérarchie judiciaire ne l’a pas suivi.
Le film demeure en soi une leçon
de cinéma par ses qualités intrinsèques notamment dans la gestion du temps. En
présentant son film à Agadir, Nicholas Philibert a rappelé la durée du suivi de
son sujet et la durée du tournage. Premier constat : le documentaire a
besoin de temps. Une belle image nous est offerte d’ailleurs en ouverture du
film instaurant une sorte de pacte temporel avec le spectateur. A la deuxième
scène du film on découvre en effet, dans ce qu’on va découvrir après comme une
salle de classe, deux tortues qui avancent. Le film prend le temps de les
filmer invitant son récepteur à une logique temporelle aux antipodes de celle
en vigueur dans une fiction américaine ou même dans un reportage de télévision
où la tension dramatique est née de la vitesse et de la multiplication de
nombre de plans par minute. Etre et avoir nous plonge dans « le rythme de
la tortue » celui de l’apprentissage par l’écoute, l’échange et
l’empathie.
Dans sa structure dramatique le
film est marqué par la figure du montage aussi bien le montage interne à la
scène, à la séquence ou le montage entre des séquences entières, un montage
parallèle à la Eisenstein ; par
exemple à partir de la scène du troupeau de vaches qui est récurrente.
Une autre figure
cinématographique paraît essentielle dans la structuration du film en tant que
genre documentaire, c’est celle du regard caméra aussi bien celui, furtif, des
petits écoliers ou celui frontal et mis en scène, de l’instituteur lors de son
entretien quasi direct face caméra.
Mohammed Bakrim
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