samedi 8 juin 2019

Effondrement des sociétés, blocage politique, faillite des élites…


Oui, il y a dans l’air comme un sentiment de scepticisme d’inspiration khaldounienne qui plane sur cette partie du monde dite «monde arabe» : violence, guerre, piétinement du processus politique, impasse socio-économique, repli culturel, fragmentation communautaire.
Un simple tour d’horizon du fil d’actualité confirme cette image sombre. Une sorte de retour de l’histoire dans sa version la plus décadente rappelant des époques sinistres. Déjà dans un nouveau livre, Abdellah Laroui faisait le lien entre le sentiment de désespoir que lui inspiraient la réalité et sa lecture d’Ibn Khaldoun : «mon esprit, écrivait-il,  était confronté à une problématique, le conflit entre une rationalité, indispensable au bon fonctionnement de l’Etat, et la montée d’un mysticisme, individuel et collectif, qui signalait un désespoir général  et le penchant de chacun à s’isoler du monde… ». Sauf que le mysticisme aujourd’hui a pris d’autres formes…et d’autres manières d’appréhender le monde.
Au cœur de la démarche khaldounienne, il ya sa lecture cyclique de la société, du pouvoir et partant de toute civilisation…lecture qui peut aider à comprendre le présent  du monde arabe. Tout pouvoir, toute civilisation sont appelés inéluctablement à dégénérer. Obnubilés par une certaine vision du progrès et une croyance quasi aveugle dans des lois de l’évolution linéaire, nous nous réveillons aujourd’hui en sursaut devant ces piétinements, ces retards, ces replis. Du coup, les mélancoliques parmi nous (les plus lucides ?) ne peuvent que suivre cette autre loi khaldounienne et se demander à quoi bon ? Puisque tout progrès n’est qu’illusoire, n’est qu’une parenthèse en attendant le retour de la barbarie ?
Hamit Bozarslan est un penseur qui réfléchit sur les conflits contemporains, ceux du Moyen-Orient notamment, dans une perspective khaldounienne. Il part de ce postulat : le plus grand penseur de l’islam s’avère aussi être celui qui en décrit le déclin, le processus de fragmentation, voire son basculement dans la « dé-civilisation » avec un froid désespoir. On sait que la théorie de l’alternance du pouvoir a été théorisée par l’intellectuel maghrébin autour de deux notions-clés : la 3assabia et la da3oua ;autrement dit la solidarité et l’idéologie. Pour qu’un groupe (une ou une alliance de classes sociales) réussisse et remplace un autre sur le déclin, il lui faut une solidarité tribale, territoriale… et être porté par une idéologie qui cimente, quasiment au sens de l’hégémonie de Gramsci, le nouveau groupe au pouvoir…avant que lui-même ne connaisse le même processus. Mais la question qui nous hante aujourd’hui est comment expliquer qu’une force, incarnation de la barbarie, puisse arriver à une telle «solidarité» avec des centaines de milliers de jeunes musulmans qui ont rejoint Daechau détriment d’un islam qui a concrétisé dans son histoire une civilisation au summum du raffinement et de tolérance? Comment expliquer qu’une communauté appelée à « être la meilleure de toutes les autres » a engendré en son sein des formes inouïes de monstruosité ?
L’actualité de ces dernières semaines est alimentée par les épisodes d’un feuilleton interminable : celui dit de la libération de Mossoul. Une guerre produite et mise en scène par plusieurs partenaires. Et plusieurs sponsors. Or le destin de cette ville chargée d’histoire s’inscrit justement dans le schéma khaldounien. Les cités sont les emblèmes de pouvoir, de sa renaissance et de sa dégénérescence. Or, personne aujourd’hui ne cherche à rappeler comment Mossoul est tombée aux mains de Daech : c’était le 10 juin 2014, Mossoul une ville de 1300 000 habitants avec 86 000 soldats d’une armée suréquipée par les Américains, et près d’un demi-milliard de dollars dans ses banques est tombée comme un fruit mûr aux mains d’à peine 2000 djihadistes ! Les cités (Tombouctou, Nesrata, Kidal…) tombent parce que l’urbanité, censée les nourrir de culture et du sens de résistance, a été perdue dans la corruption et l’incompétence des pouvoirs.
Oui, comme le rappelle HamitBozslan, Ibn Khaldoun était admiratif des vainqueurs  mais sans pitié pour les vaincus.
Mohammed Bakrim

Albachado de Hassan Aourid

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