jeudi 28 avril 2011

Les ailes de l'amour


C’est le troisième long métrage de Abdelhai Laraki. Les ailes de l’amour, en salle à partir de cette semaine, vient en effet après Mouna Saber, premier long métrage (2001) inscrit dans la logique d’une époque marquée par le récit de la quête à travers l’espace de la mémoire ; Ce premier film raconte l’histoire d’une jeune fille qui revient au pays sur les traces de son père disparu lors des années de plomb. Le film se clôt d’ailleurs autour du lieu emblématique dit Derb Moulay Cherif. Mouna Saber s’inscrivait en toute légitimité dans ce qui allait devenir un genre en soi au sein de la cinématographie marocaine, celui du devoir de mémoire. Laraki passe ensuite avec Parfum de femme (2006) à un autre registre, celui du film d’action sur fond de trafic de drogue, de combines politiques et de déchirement personnel : l’histoire a pour cadre le nord du pays, tout un programme.
Après un passage à la télévision où il a réalisé notamment deux séries, Laraki retrouve donc le cinéma avec Les Ailes de l’amour. Changement de cadre et de décor. Ces ailes de l’amour nous portent de la sphère publique et ses questionnements à la sphère privée et ses errements. Avec ce nouveau film, il place au cœur du récit la question de l’intime, du désir et de l’amour charnel. Cependant, la première caractéristique du film est inhérente à son scénario écrit en référence à un roman marocain, le best seller de Mohamed Nedali, Morceaux de choix, auréolé en outre du Prix Grand atlas (2005). C’est un roman dense, riche en péripéties et, surtout, portant à tous les étages de son édifice les traces de son ancrage dans un milieu socio culturel fortement codé, celui de la médina et de la ville de Marrakech. Nedali est le romancier du Haouz par excellence, nourri d’une culture variée aux confins du pays amazigh et de la capitale ocre. Laraki en s’appropriant cette oeuvre romanesque apporte un nouvel élément au débat souvent emprunt de malentendu concernant le rapport littérature et cinéma au Maroc. Les ailes de l’amour en offre une illustration ; c’est une ouverture opportune et prometteuse. Comment Le scénario a négocié cette rencontre ? A la lecture du roman et suite au visionnement du film, on peut dire qu’il s’agit plus d’une transposition que d’une adaptation classique. Le passage du récit littéraire au récit filmique s’est fait sous le signe de la liberté. La formule utilisée en l’occurrence est qu’il s’agit « d’une adaptation libre » rejoignant ainsi la thèse d’Umberto Eco en la matière « le livre est mon livre, le film est ton film », instaurant définitivement un modus vivendi entre les romanciers et les cinéastes. Comment se décline ici cette liberté du film par rapport au roman ? A mon sens, elle intervient en opérant principalement un remaniement stratégique au niveau de l’espace narratif. En ramenant son récit à la Médina de Casablanca, Laraki et son coscénariste se sont libérés de la pesanteur culturelle qui marque l’espace marrakchi. C’est une donne essentielle dans le livre. La transposer dans le cinéma aurait été une gageure principalement sur le plan de la production de l’imaginaire : un espace ça se sent, ça vit et ça respire une culture. Cette liberté revendiquée et assumée est allée à un point de faire du film carrément un huis clos où les indicateurs spatio-temporels sont secondaires par rapport à l’essentiel du récit, la vie sentimentale de Thami. De quoi s’agit-il en fait ? C’est l’histoire d’un jeune homme, issu d’un milieu traditionnel, son père est Adl (notaire religieux) ; il quitte le giron familial pour se livrer à son sport favori, la drague. De guerre lasse, son père l’aide finalement à embrasser le métier de boucher…cette occupation lui offre l’occasion pour rencontrer la gente féminine ; d’une aventure à une autre, jusqu’à ce qu’il rencontre Zineb…
Le film est, en somme le parcours d’un jeune animé d’une passion face à un ensemble de contraintes : un récit d’initiation où le héros se forge son identité et réalise son rêve. Pour se faire, il épouse la figure du rebelle. A un certain niveau de ce parcours, Thami renvoie à une figure littéraire et mythique celle du don Juan ; celui qui aime toutes les femmes et fait de chacune d’elle l’ultime but de sa vie et leur fait croire à tour de rôle qu’elles sont la passion incarnée. Le don Juan du mythe et son cousin lointain de la médina sont dans la conquête permanente, remplaçant l’absolu sacré (la religion est omniprésente dans leur environnement) par l’absolu féminin. A la diffrence près que le Don Juan historique va finir par succomber au défi qu’il s’impose face à l’absolu alors que Thami va abdiquer quand il va rencontrer le grand amour. Mais à l’instar de Don Juan c’est un amour compliqué puisqu’il s’agit d’une femme mariée (de force certes). L’accomplissement de sa passion sera au terme d’une confrontation qui aboutira aussi à l’émancipation de sa bien-aimée qui finit par le rejoindre dans sa révolte. Cette quête amoureuse s’inscrit donc indéniablement dans une logique de remise en question de l’ordre établi, des valeurs dominantes. Thami exprime à travers son rapport à la femme, ce désir de liberté que la société tente de camoufler par un appareillage normatif et idéologique. Ce ne st pas un hasard si cette révolte se fait contre un père Adl c’est-à-dire habileté par la société à dire le dogme, la voie juste…
Le film s’ouvre d’ailleurs sous le signe funéraire avec la mort du père et l’exercice du rituel de lavement du corps, moment à forte charge symbolique car il s’agira le long du récit de parvenir à un corps réconcilié avec lui-même, dans la mort pour le père, dans l’amour pour Thami…Laraki use à plusieurs reprises de l’image de la mort et du cimetière dans ses films. Mouna Saber commence par une séquence dont le point fort a lieu au cimetière…et Les ailes de l’amour se clôt par une séquence au cimetière. Là, la mort est le point de départ d’une quête autour d’une vérité absente ; ici, la mort signifie la fin d’une époque, la fin d’un monde et l’émergence d’un autre, celui illustré par le regard de Zineb défiant celui du Moqaddem. Le cimetière comme figure filmique renvoie dans un jeu intertextuel à un film que le film et le personnage de Laraki n’hésitent pas à convoquer et à ressortir de la mémoire cinéphile. Il s’agit de L’homme qui aimait les femmes (1977) de François Truffaut. Un plan du film de laraki est carrément dédié au film de Truffait et à son affiche, le plan où l’on voit des jambes de femmes sur fond de confession de Thami. Thami ou le Bertrand Morane de la Médina ? Beaucoup de points communs autorisent ce rappel notamment cette passion pour la gente féminine qui en fait le centre du monde ; Thami partagerait dans l’absolu cette vision du monde que nous en donne le personnage de Truffaut : « Les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tout sens, lui donnant son équilibre et son harmonie. »

lundi 4 avril 2011

Tanger, un bilan esthétique

la dernière édition du festival national du film a suscité quelques débats marqués notamment par une dimension polémique au moment même où les questions abordées ne manquent pas d'intérêt. c'est une édition qui a d'abord été marquée par le nombre important de films présentés: pour la première fois le festival depuis qu' il est devenu annuel a programmé 19 longs métrages; une première dans la jeune histoire du cinéma marocain. cette présence quantitative a très vite été abordée en termes de qualité. certains observateurs dès la première partie du festival ont relevé la qualité "médiocre" des films en compétition.

il est utile de revenir sur ce débat, avorté car mené dans la précipitation, en reprenant les éléments des interrogations légitimes qui ont traversé en filigrane l'espace du festival. d'autant plus qu'on dispose aujourd'hui d'un autre élément susceptible de favoriser l'analyse, à savoir le palmarès. c'est un indicateur souvent utile pour aider à tracer les grandes tendances d'une cinématographie.

je tiens à cette occasion à souligner que l'une des lacunes de notre paysage cinématographique est l'absence d'un discours d'escorte qui accompagne cette dynamique et "cette quantité" de films, souvent livrés à eux mêmes sans retour à part quelques impressions ou quelques polémiques qui sont souvent de nature extra cinématographiques. or, l'expérience internationale le monte, un cinéma n'existe pas seulement par sa dimension strictement professionnelle à travers les tournages, les sorties et les calculs du box office. un cinéma c'est aussi toute l'activité discursive qu'elle génère. à ce propos, il me semble opportun à l'occasion du festival national d'établir en toute sérénité un bilan esthétique de notre cinéma fondé tant que possible soit peu, sur une approche pensée et raisonnée. et en toute humilité car voir un film et le juger dans le cadre d'un festival est un acte à risque car marqué par le sceau du flux et du bruit environnant. ceci dit, le débat est toujours utile. (à suivre)

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...