lundi 14 avril 2014

Merzak Allouach, cinéaste de la rupture


Master class Cinéma et droits de l’homme

La ville de Rabat abrite depuis le 23 mars une semaine de cinéma dédiée aux droits de l’homme. Semaine organisée par l’association Rencontres méditerranéennes du cinéma et les droits de l’homme, une structure de la société civile qui a déjà accumulé une certaine expérience en la matière avec notamment des activités phares telles Les jeudis du cinéma et droits de l’homme, La nuit du cinéma ou les rencontres méditerranéennes du cinéma et droits de l’homme. L’originalité de cette semaine qui se tient du 23 au 29 mars 2014 est qu’elle est construite autour d’un cinéaste invité avec au programme une sélection de ses films et une rencontre avec le cinéaste selon la formule en vogue actuellement, celle de master class. La finalité est explicitement didactique puisque précise le communiqué de l’ARMCDH, « la masterclass a pour objectif de susciter la vocation artistique des étudiants en leur fournissant les notions et les outils, pour les futurs professionnels, ainsi que pour les jeunes cinéphiles, en les faisant profiter des expériences des maîtres chevronnés, en matière de réalisation et du processus créatif d’un film. »
Le choix des organisateurs a porté pour l’édition 2014 sur le cinéaste algérien, Merzak Allouach. Une sélection de ses films a été programmée à la salle 7ème art et à l’Institut de formation de journalistes. On y retrouve Omar Getlato ; La baie d’Alger ; Bab Eloued ;  L’après octobre ; Le repenti ; Harragas…une rencontre, animée par le critique de cinéma Bilal Marmid viendra, samedi matin, clore ce cycle de projections ; occasion pour les étudiants, les cinéphiles rbatis et autres observateurs d’échanger avec l’un des cinéastes les plus emblématiques du nouveau cinéma maghrébin et arabe.
Merzak Allouach peut être considéré comme le cinéaste qui a accompli, avec son long métrage Omar Gatlato, la seconde rupture esthétique, la première étant, à notre avis, l’œuvre du Mohamed Bouamari et son film culte le Charbonnier, dans le parcours du cinéma algérien. Lauréat de l’institut national du cinéma en 1967, Allouach arrive dans un environnement cinématographique marqué par le culte du héros national avec la prolifération des films de reconstitution historique. Un cinéma doublement identitaire dans la mesure où les cinéastes inscrivaient leurs films dans une démarche de réappropriation du récit fondateur de la nation algérienne, occulté par le regard de l’autre et sa production. Le présent était obnubilé par le poids de la mémoire. Cette tendance dominante était cependant critiquée car ces films omettaient d’interroger ce retour à partir du langage cinématographique lui-même. Cela interviendra avec deux films marquants des années 70 : Le Charbonnier (1972) de Mohamed Bouamari et surtout Omar Gatlato (1978) de Merzak Allouach. Avec Omar, le quotidien, quasiment dans sa banalité va faire irruption, pratiquement par effraction, dans l’écran nourri de récits épiques du cinéma algérien. Ce dernier commençait d’ailleurs à donner des signes d’essoufflement après l’apogée atteint avec la Palme d’or attribuée au film de Lakhdar Hamina en 1975, Chroniques des années de braise. Omar avec ses images réalistes d’un héros de tous les jours, avec son parler algérois authentique… va sortir le public des salles de cinéma de leur hypnose et leur offrir un « effet miroir ».
L’évolution du cinéma algérien, comme du cinéaste lui-même va être marquée par les soubresauts de l’histoire…une nouvelle fois ; cette fois l’histoire immédiate. Après un épisode marqué par une touche disons de comédie sociale, Bab Eloued par exemple, Merzak Allaouach va atteindre, à notre sens, les marques de sa maturité artistique avec deux films les plus importants de cette décennie Normal (mon coup de cœur lors de sa programmation au Festival d’Oran où il a été « ignoré » par le jury) et Le repenti, indéniablement son meilleur film.
Le repenti ou le triangle tragique
Le repenti comme le suggère son titre met en scène un personnage issu de la décennie noire algérienne. Au début des années 2000, le pouvoir algérien propose aux terroristes un pacte de « concorde nationale » ; grosso modo, on dépose les armes, et on oublie tout. Ce synopsis politique va être mis à nu par le cinéma de Allouach. Le film s’ouvre sur une très belle scène de Rachid courant dans un plateau enneigé (une blancheur limite ? l’ambiguïté commence ici) ; on saura qu’il fait partie de ceux qui vont « descendre » du maquis pour rejoindre la vie civile. Rachid court vers son village où il reçoit un accueil mitigé ; d’un côté les parents et de l’autre les victimes du terrorisme. On le retrouve en ville où il est récupéré par la police qui lui trouve un travail tout en le gardant à l’œil. L’adaptation est dure. Rachid enlève sa barbe et on découvre un visage presque enfantin. Il jette des coups d’œil  furtifs vers les jeunes filles du quartier…jusqu’à ce qu’il reconnaisse, Lakhdar un pharmacien (belle prestation de Khalid Benaissa dans le rôle de l’intellectuel désabusé). Il l’appelle au téléphone, lui propose un marché. Le film ne nous dit rien d’emblée. Arrive alors l’ex épouse du pharmacien pour compléter le triangle tragique : Rachid, Lakhdar et Djamila. Djamila figure féminine qui renvoie à l’Algérie éternelle, attachée à sa fille, à la terre ; Lakhdar symbole d’une élite post indépendance qui s’est trompée sur toute la ligne et Rachid la part d’ombre, le produit d’une époque marquée par l’hypocrisie, les manipulations et les retournements...
Rachid apprend au couple qu’il sait où est enterrée leur fille enlevée il y a des années par un groupe terroriste. Il leur propose de les y conduire moyennant une grosse somme d’argent. Un huis clos terrible se forme dans la voiture qui fonce vers un destin inconnu en se dirigeant vers le lieu du crime. L’affrontement est terrible. La force du film réside dans sa réussite  à éviter un double écueil ; celui du discours en diatribes dans la bouche des uns ou des autres et celui d’éviter le mélodrame facile et démagogique. Ici tout est suggéré avec la multiplication des silences ambigus ; des ellipses et des mouvements d’appareils qui ouvrent des brèches dans la récurrence des plans serrés sur les personnages. Les images alternent en effet des plans qui serrent des visages remplis de doute avec des plans larges splendides des paysages comme pour mieux souligner le vrai crime qui s’accomplit…celui contre un pays en entier. La caméra de Allouach ne livre pas de sentences ; ses ouvertures comme ses ellipses invitent à une certaine lucidité et donc hélas à une forme de pessimisme. Un cinéma de l’ambigüité et du doute : le repenti, le terroriste, a-t-il réellement accompli le geste du repentir ? Peut-être ; ce n’est pas au cinéma de répondre. Il pose les questions et Le repenti, le film, est éloquent dans ce sens.
Mohammed Bakrim

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