mardi 6 septembre 2016

société surveillée, société totalitaire


La société de délation

« Ayez des espions partout ! » Sun Tzu (L’Art de la guerre)


Un reportage, plus proche plutôt de la publi-rédaction, du jt de la première chaîne et un spot promotionnel du comité  national des accidents de la circulation routière nous  disent, en filigrane, les prémices  de la nouvelle société qui se dessine dans les  confins de la mutation numérique. Le premier nous rapporte non sans une dose de fierté la description de l’entrée en vigueur du nouveau gadget dont se sont équipés les éléments de la gendarmerie royale chargés du contrôle de la circulation sur les grands axes routiers. Il s’agit d’une mini-caméra portée par l’agent et qui filme toute opération menée par celui-ci à l’égard d’un éventuel contrevenant. Le commentaire du journaliste comme les déclarations des gendarmes et de quelques citoyens choisis à une station de péage ont tous été unanimes pour vanter les mérites de cet « œil » qui vient contrôler les uns et les autres. Les protéger nous explique-t-on. Les uns, les usagers de tout abus possible et les représentants de l’autorité de toute « agression ou violence » -sic- émanant des citoyens. En termes de publicité, on ne peut faire  mieux ! D’autant plus que côté casting pour le choix des deux agents de la loi, la représentante de la gent féminine était imposante par sa beauté et son charisme. Un charme qui a fait certainement oublier au journaliste de prendre de la distance par rapport à son sujet et de se poser d’autres questions notamment vis à vis de l’intrusion de cet œil dans la vie des gens et la question centrale du droit à l’image (mon image est une donnée personnelle : sa conservation, son utilisation ou sa diffusion dépendent de moi).
Le spot du comité de prévention des accidents de la circulation est lui plus explicite encore dans sa logique de surveillance : il invite tout simplement les citoyens à la délation pure et simple. On voit en effet des voyageurs dans un bus. Il fait beau ; les gens sont beaux comme dans un conte. Le méchant c’est le chauffeur. Ayant apparemment commencé à conduire avec imprudence, l’un des voyageurs appelle un numéro pour rapporter le méfait. Et comme dans un joli conte pour enfants, le message est arrivé entre de bonnes mains…puisque rapidement une équipe du contrôle routier a intercepté le conducteur fautif et l’infraction a été confirmée par le « mouchard » dont sont équipés les véhicules. Un plan révélateur vient clore ce récit en superposant l’image des deux « mouchards » : l’humain et le technique.
Moralité des deux séquences : pour arriver à bon port, il faut que quelqu’un rapporte. Là une caméra, ici un téléphone. La sécurité, oui mais à quel prix ?
Ces deux exemples (je peux en rapporter une multitude) sont les indices révélateurs d’une dérive sociétale dangereuse portant atteinte à l’intégrité des individus. Nous entrons petit à petit dans ce que des sociologues appellent désormais « la société de surveillance ». Une société obsédée par le contrôle et ne cesse de développer des mécanismes de surveillance avec une confiance aveugle dans les gadgets que met à sa disposition la révolution numérique. La recrudescence de ces formes multiples de contrôle et de surveillance fait de chaque citoyen un suspect potentiel. L’espace public est devenu une sorte de western où chaque « cowboy » est muni d’un téléphone, d’une caméra…prêt à dégainer pour transformer tout acte de la sphère privée en acte public. Dans des sociétés où le sur-moi civique est embryonnaire voire inexistante, ce paradigme techno-sécuritaire devient un déni des valeurs fondatrices que sont la liberté et la sécurité de chaque individu. Un sentiment totalitaire en résulte. La littérature et le cinéma ont déjà anticipé cette société livrée à la surveillance et à la délation, à l’œil omniprésent de big brother. Je renvoie ici à deux titres mythiques : 1984 de G. Orwell et Minority report de Steven Spielberg.

Comme nous sommes à la veille d’un scrutin législatif important, les citoyens soucieux de leur liberté et  de leur intimité devraient se mobiliser pour inciter les futurs parlementaires à éditer des lois qui protègent le droit à l’image, le droit à l’anonymat et à la vie privée. En leur rappelant ce conseil de Benjamin Franklin : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre. Et finit par perdre les deux ».

vendredi 2 septembre 2016

Livres de Abdallah Laroui

Leçon de choses
« Apparemment tout change sauf cette ambigüité »
A.L



« Lecteur paresseux, s’abstenir » ! Voilà bien  un avertissement à adresser aux lecteurs  et à mettre en exergue des deux nouveaux ouvrages du professeur Abdallah Laroui : « Le nationalisme marocain » et « Istibana ». Les deux livres non seulement prolongent un projet historique et philosophie qui a déjà fait ses preuves mais s’inscrivent dans une démarche nouvelle dans le parcours du professeur Laroui, incontestablement le plus grand intellectuel marocain vivant. Démarche nouvelle d’abord sur le plan éditorial et inédite dans la mesure où ce sont deux livres publiés quasi simultanément, l’un en arabe et l’autre en français mais tous les deux portés par la même interrogation autour de ce qui fait le nationalisme marocain. Le premier, Le nationalisme marocain porte les questions de l’auteur à deux grandes figures du nationalisme marocain, Abderrahim Bouabid et Allal El fassi, le deuxième transfert le même questionnaire (d’où le titre en arabe Istibana) vers l’auteur lui-même dans une sorte d’auto-interview. Un effet miroir instaurant un dialogue au-delà des générations, des postures et des contingences. De fait, ce miroir est tendu vers l’ensemble de la société marocaine, ses élites particulièrement et ce n’est pas du tout un miroir qui triche. Loin de tout narcissisme, de toute complaisance…il renvoie une image qui invite à réfléchir autour d’interrogations fondatrices.
On entre aisément dans les deux livres ; on les lit avec délectation…mais c’est une première couche d’impressions. Ce sont en fait des gisements qui évoluent en fonction de la relecture et des outils que l’on y met pour une recherche fructueuse. Ils font appel à un lecteur complice ; impliqué ; car les informations distillées le sont souvent par allusion, clin d’œil. Une lecture fondée sur un prérequis quasiment de nature encyclopédique. Un savoir partagé entre l’auteuret son lecteur. La première interrogation qui s’impose à la première lecture est : de quoi s’agit-il ?  Dans quel  genre on peut cataloguer les deux ouvrages ? Des essais autobiographiques ? Des essais d’histoire ?
Je m’étais déjà confronté à ce genre de questionnement face à un autre texte de Laroui, tout autant énigmatique « l’homme du souvenir », texte « dramatique » en arabe, présenté en couverture comme « dialogue télévisuel » et qui se laisse lire comme une pièce de théâtre et qui en fait se pose comme un texte hybride ou plutôt transgénérique.  Mais le plaisir est le même.
De quoi s’agit-il alors dans ce nouveau cas de figure ? Sur un plan éditorial, les deux ouvrages sont avares en paratextes : peu de références de contextualisation ; peu de notes infrapaginales…Laroui nous fait confiance y compris pour détecter le non-dit et les interrogations en suspens.
Le nationalisme marocain en termes de contenu, consiste en des notes prises par l’auteur lors de ses interviews avec Abderrahim Bouabid et Allal El Fassi . Interviews enrichis par des textes d’époque, tirés des archives de l’auteur notamment une lettre de Mohamed Al hajoui datée de 1933 et des extraits d’articles de robert Montagne et de l’orientaliste Evariste Lévi-Provençal. Pour Istibana, Abdallah Laroui nous donne cette indication «  j’ai pris la peine de répondre à mon tour, aujourd’hui, aux questions que j’avais posées à mes aînés ; j’ai jugé plus approprié de publier ces réponses à part sous le titre Istibana ». Deux livres, un même scénario. Un même enjeu : le nationalisme en général et le nationalisme marocain en particulier. Il y a l’empreinte de l’historien, du philosophe mais comme il le dit lui-même, c’est l’historien des idées qui en dernière instance a mené les commandes. Pour réfléchir : le nationalisme qui est l’idéologie naturelle de l’Etat-nation, est-il condamné à s’affaiblir pour finalement disparaître ?
Le Maroc est au cœur de ce débat : des Saadiens précurseurs d’un nationalisme vertical (nord-sud) aux nouvelles communautés virtuelles qui préconisent de nouvelles appartenances, ses atouts et ses doutes sont revisités avec distance certes mais aussi avec beaucoup d’empathie.

Mohammed Bakrim

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...