samedi 31 août 2019

de la critique cinématographique








– Comment se porte la critique cinématographique au Maroc ?
  La critique cinématographique, au sens professionnel,  n’existe pas au Maroc ; il y a simplement des cinéphiles qui exercent une fonction critique.
Pourquoi, elle n’arrive pas à se développer chez nous?
 La critique naît d’un double besoin celui de la profession et celui des médias. Au Maroc ce besoin ne s’est jamais fait sentir
- Quelle est la véritable mission d’un critique et quel est son objectif ?
 L’objectif de la critique est triple : informer, analyser et évaluer ! En dehors de cela, c’est de la littérature.
 –Est ce qu’on peut dire qu’aujourd’hui le public est plus cinéphile et donc plus exigeant, puisqu’il a plus facilement accès aux films ?
 Le public est plutôt cinéphage que cinéphile. La cinéphilie a disparu de l’espace public ; les films sont reçus par fragments (voir l’affaire Much moved) la youtubisation des images est aux antipodes de la cinéphilie.
- Pensez-vous que la critique a une influence sur la réussite ou non d’un film au Maroc?
 L’apport de la critique est plus du côté de la légitimité artistique que de l’influence sur le guichet : Said Naciri et Abdellah Ferkouss n’ont pas besoin de mes articles pour exister (moi-même je vais voir leur film en tant que spectateur du samedi soir)…
 – - Qu’est ce qui a déclenché chez vous l’envie de faire de la critique de cinéma?
 L’envie de prolonger le plaisir et de le partager ; je suis imprégné de la culture du partage et de la transmission
 -  Aujourd’hui vous avez un blog (assaiss-tifaouine.blogspot.com). Pensez-vous qu’Internet pourrait contribuer à mieux développer la critique de cinéma ?
Internet est une auberge espagnole où il y a de tout…pour s’y retrouver il faut un bagage préalable. Les rares sites cinéphiles et bien écrits sont noyés dans une toile opaque où la promotion et la manipulation avancent souvent masquées.
Extrait d'un entretien réalisé par Kenza Alaoui


vendredi 23 août 2019

Kill Bill volume 2 de Quentin Tarantino



Maîtres et disciples


 La vengeance comme contrat cinématographique. C’est ainsi que l’on pourrait résumer le nouveau film de Quentin Tarantino, Kill Bill volume2. À la base de son écriture nous retrouvons en effet un des trente six axes dramatiques classiques, la vengeance. Comme c’est donné comme programme dès le titre, il s’agit de tuer Bill. Dans le premier opus, ce dernier n’est que furtivement signalé. Cette fois,  il s’agit bel et bien de l’atteindre, d’en finir. C’est le contrat initial qu’il s’agit d’honorer à l’occasion de ce second volume. Mais dire  que ce n’est là qu’un simple prétexte est un euphémisme. Les véritables enjeux du film se situent ailleurs. Kill Bill est un pur exercice de cinéma ; une variation filmique des jeux vidéos avec un ancrage renforcé dans l’héritage cinématographique et musical. C’est un spectacle total dans la mesure où il mobilise une somme de connaissances fondées essentiellement sur une culture commune, censée être partagée par l’émetteur et le récepteur : on entre dans le film par la cinéphilie mais aussi par la référence appuyée à toute une pratique sonore dont en premier lieu beaucoup de musiques de films. C’est donc un film du plaisir : le double plaisir de suivre une histoire mais aussi le plaisir de jouer à la découverte et au repérage des différents clins d’œil disséminés à travers le « texte » filmique. Kill Bill est à voir comme un grand hommage à tout un cinéma populaire : film de gangsters (le terme contrat s’inscrit dans le champ sémantique ouvert par ce genre), le cinéma asiatique des arts martiaux, le western, le film noir américain et une dose de comédie romantique (le film se termine quand même par un happy end et une réconciliation avec l’idéologie dominante illustrée par le triomphe de la figure de la maternité célébrée par le bonheur de Béatrix retrouvant sa fille).
La séquence d’ouverture m’intéresse particulièrement ; elle est emblématique de cette démarche. Elle propose plusieurs pistes de lecture instaurant de la sorte un contrat de communication ouvert, multiréférencié. D’abord, du point de vue du schéma narratif, la séquence nous ramène à la situation initiale.  Elle donnera lieu à une des fonctions fondatrices de la logique du récit. Nous assisterons en effet à   l’accomplissement du méfait (le crime) qui va tout déclencher : un lieu, en l’occurrence une église ; la répétition de la cérémonie de mariage. La mariée qui se présente toute seule, il n’y a personne de sa famille. Le public est constitué d’amies, de son fiancé, du prêtre et d’un énigmatique musicien. La mariée est déjà enceinte. A un certain moment, elle quitte la cérémonie ; elle sort prendre un peu d’air. Elle découvre Bill. Le père de l’enfant qu’elle porte. Elle le présente à ses amis, mais lui a déjà un programme en tête. Arrive en effet son équipe de tueurs qui font un massacre. Un panoramique vertical nous fait suivre ce qui se passe en off. En principe, la mariée est laissée aussi pour morte. Nous, spectateurs, nous savons qu’il n’en est rien puisque nous avons déjà vu le Kill Bill volume1 où nous assistions à la résurgence de la mariée en suivant sa douloureuse sortie du coma et la mise en application de son contrat de vengeance en procédant par élimination des membres de l’équipe des tueurs. L’image sépia signifie déjà une temporalité spécifique, ce n’est pas le présent de la narration. C’est comme un rêve ou une réminiscence. Nous sommes déjà dans la stricte logique du cinéma. Doublement si j’ose dire, par le recours à ce procédé chromatique de dire le passé mais aussi par  tout le dispositif de mise en scène notamment à travers les mouvements d’appareil, le traitement de l’espace et les angles de prise de vue. La conjugaison de ces éléments du langage de l’image nous plonge dans une ambiance de genre, celle du western. L’ouverture de Kill Bill volume2 est un clin d’œil explicite au western spaghetti et davantage à sa figure la plus éloquente Sergio Leone. Nous sommes un peu dans l’ambiance de Il était une fois dans l’ouest : l’église que nous découvrons dans un paysage désertique à l’instar de la gare de Sergio Leone, la mise en scène du massacre ; la caméra qui alterne les plans larges et les plans serrés sur les visages, surtout les yeux et tout le travail de la bande son : la musique tenant lieu d’attribut narratif ; par exemple avant de découvrir Bill (David Carradine) à la porte de l’église, nous l’entendons d’abord jouer de la flûte. Traitement qui rappelle le motif de l’harmonica qui précède toujours les apparitions de l’Indien (Charles Bronson) dans Il était une fois dans l’Ouest.
Cette séquence nous enseigne aussi sur la conception qui préside à la progression dramatique chez Tarantino : la scène démarre sur un rythme lent ; avec beaucoup de dialogues, donnant l’impression d’une forme de digression esthétique (certaines scènes flirtent avec du romantisme pur). Une sorte de tactique narrative qui vise à « endormir » le récepteur, puis très rapidement l’action prend le dessus. Cela n’est pas sans rappeler le montage des scènes dans Pulp fiction : la palabre qui précède la liquidation ou encore  Jackie Brown et sa temporalité quasi réaliste (correspondance entre le temps de l’action et le temps de la narration) qui ne laisse aucunement augurer de ce qui va advenir. Une action violente qui joue sur  la chorégraphie, la vitesse et l’élégance. Je peux citer dans ce sens, la scène de la confrontation des deux blondes : elle peut prétendre à l’anthologie. Elle est tout simplement magnifique réunissant deux très belles comédiennes Uma Thurman et Hannah Darryl. Un duel fantastique dont nous regrettons l’issue car la disparition de l’une ou de l’autre est une perte en termes de valeur ajoutée. Le bénéfice étant de sublimer la confrontation en la livrant presque brutalement avec l’absence cette fois de tout apport musical, la bande son se contentant d’amplifier les bruits in, ceux de l’affrontement. Beatrix triomphe, c’était écrit dans la logique du développement de l’action. Mais à quel prix. Le film de Tarantino instaure avec le personnage de Béatrix et son double rapport à Bill (son boss et son ex.) et  à Mai Pei (le maître asiatique) une réflexion sur l’éducation et l’apprentissage. Le parcours de Béatrix est finalement un récit initiatique qui retrace le cheminement qui guide le disciple vers son maître. Le personnage de Uma Thurman est le modèle positif du cursus réussi contrairement au personnage d’Hannah Darryl qui porte au visage les stigmates de son échec d’apprentissage : elle était déjà élève de Mai Pei qui lui a arraché un œil pour la punir ; mais elle a réussi à le tuer commettant ainsi l’irréparable. C’est anti-pédagogique en somme. Les maîtres répudient les disciples quand ils les jugent indignes ou déloyaux. Béatrix, elle, a établi d’autres rapports avec son maître, fondés au départ sur l’humilité et l’endurance. Elle pourra ainsi gagner la confiance du maître, accéder à la maîtrise de la force, à la sagesse et au secret ultime (le maître va lui divulguer le secret de l’arme absolue, l’explosion du cœur en cinq touches). Un legs qui lui permettra d’échapper à la mort avec la scène terrible où elle sera enterrée vivante : la caméra l’accompagne dans le cercueil donnant lieu à un développement s’inspirant des normes du film d’horreur. Legs qui lui permettra enfin de tuer Bill, lors du duel final. Le dépassement du maître se réalise ici positivement comme accomplissement de soi. Le contrat de Béatrix, son programme narratif, n’est-il alors qu’un avatar de la rébellion œdipienne ? Tarantino se libère du père symbolique, de son sur-moi esthétique et répudie ses maîtres (il les cite comme dans un rituel de passage), triomphe comme Wagner qui éconduit le Faust moribond et se réalise enfin élu et reconnu. Émancipé, il devient lui-même un maître : voir l'actualité du jour

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Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...