jeudi 20 décembre 2012

le journal de dubai


Le voyage fut long, très long. J’ai quitté chez moi à 9h30, le lundi pour atterrir finalement dans ma chambre d’hôtel – le Jumeirah beach- à 4h du matin du lendemain. Le trajet en soit ne fut pas très pénible. L’avion a décollé avec un léger retard, c’est un Boeing immense,  l’un des derniers 777. Beaucoup de monde mais les sièges à côté de moi resteront inoccupés. Je vais m’apercevoir beaucoup plus tard que ce sera une bonne chose pour… mes jambes.
Je m’occupe un temps à admirer le ciel marocain et surtout les cimes enneigées du moyen atlas...et puis c’est la vitesse de croisière et la nuit ; j’imagine la méditerranée en dessous, toujours chargée de récits tragiques et, ici et là, de lueurs de lumières. Je somnole un peu ; puis je me résigne à consulter les programmes de divertissement offerts par la vidéo de bord. Je clique sur le menu cinéma ; je trouve non sans plaisir un film marocain dans la liste proposée. Il s’agit de Mains rudes de Mohamed Asli ; ce n’est pas son meilleur. Je revois la belle séquence d’ouverture, très cinématographique et qui s’arrête pour moi avec la scène de l’arrivée de Bastaoui et son collier de beignets. Après, ce sera un téléfilm plein de stéréotypes en termes d‘images ; et très conservateur en termes culturels. Je zappe vers les spécialistes du divertissement : je commence avec le film égyptien 6 7 8, sur le harcèlement sexuel dont sont victimes les femmes dans les moyens de transport publics ; je retrouve les mêmes points forts classiques du cinéma du Nil : scénario bien structuré, cast de choix et moralisme gratuit. J’enchaine avec deux films américains, Seeking justice avec Nicholas Cage et the Hunter avec William Defoe. Cela me mènera sans m’en rendre compte jusqu’ au terrain d’atterrissage de l’aéroport de Dubaï. Il est 2h du matin locales, 22h à Casablanca ! Bonjour le décalage horaire.
L’accueil est personnalisé. Type VIP. Je suis dans le même avion avec l’équipe du film de Zéro, Nour-Eddine Lakhmari en tête, accompagné de ses acteurs Si Mohamed Majd et le jeune et prometteur Anas Bouab. L’aéroport est immense comme est vaste l’autoroute rapide qui mène à l’hôtel. Pourquoi des petits pays en termes de superficie, s’adonnent à  des projets gigantesques, pharaoniques : des tours, des hôtels… tout est grand alors que chez nous avec un espace plus grand nos autoroutes sont étroites, nos aérogares exigus. Il faut chercher l’explication, peut-être du côté de la psychanalyse et de l’anthropologie culturelle ; je suis convaincu que le pétrole n’explique pas tout. Je suis frappé par le calme et la sérénité des gens sur place. Pour moi qui viens d’une ville bruyante, c’est mon premier dépaysement. Quand  je dis les gens, je parle de rares autochtones rencontrés car tout le personnel est asiatique. Depuis l’aéroport, tous les services sont demandés en anglais.
La première nuit, je la passe non pas dans une chambre mais dans un vrai appartement. Je demande à changer ; c’est trop vaste ! Les baies vitrées de ma nouvelle chambre donnent sur le Golfe et sur l’incontournables Bourj Alaarb que l’on voit de partout.
Ma première journée se passe à découvrir les sites du festival et à rencontrer mes amis : des Libanais, notamment le cher Hauvick qui passe d’un festival à un autre à travers la planète comme on tourne les pages d’un magazine de cinéma…des Egyptiens, des Tunisiens, des Camerounais, des Algériens et des Marocains aussi. Il y a, en effet, une importante présence marocaine, des cinéastes (il y a au moins trois films en compétition) des professionnels de la production et de la distribution ; des cinéastes de la diaspora…Une remarque qui ne veut rien dire peut-être : j’ai constaté que les festivals du Golfe (Dubaï, Abu Dhabi, Doha) aiment beaucoup inviter les cinéastes d’origine marocaine installés dans différents pays du monde ; cela apparaît aussi au niveau des palmarès…Bizarre,
Pour accéder aux salles de projection, le badge ne suffit pas ; il faut aller prendre son billet à l’avance. Un journaliste dûment accrédité doit en permanence aller réserver ses billets au risque de rater des films importants. Si l’on prend son billet et on « oublie » de se présenter à la projection choisie, on reçoit un message de rappel et d’avertissement. Si cela se répète, l’accréditation est tout simplement bloquée. C’est presque du contrôle scolaire mais je trouve que c’est une forme de rigueur pertinente qui conviendrait a nos festivals où les gens se prennent pour des invités de centres de vacances et viennent dans les salles un peu par hasard sans aucun effort. Pour la première séance du film Zéro,  impossible de trouver son billet. J’avais presque envie, ayant déjà vu le film, de dire merci à la jeune indienne qui me signala l’information ; c’est toujours un plaisir de voir l’engouement du public pour un cinéma différent. Cet intérêt se répétera aussi pour la deuxième projection : apparemment ici aussi Lakhmari a son public.
Mon film de la journée est un film égyptien atypique, Moondog ; il signe le retour de Khairi Bichara au cinéma après une longue éclipse. Je suis allé le voir avec un réel plaisir ; Bichara  est une figure historique de ce que la critique avait présenté comme le nouveau cinéma dans les années 70 ; son film Collier et bracelets avait beaucoup circulé dans les ciné- clubs. Ici,  il renouvelle complètement de registre, embrasse la nouvelle technologie de prise d’images et offre ce que je qualifierai, faute de mieux, d’un ciné-journal de ses années américaines, mettant en scène des membres de sa famille et où il s’imagine être incarné dans un chien. Les images sont belles et la bande musique est tout simplement sublime ; mon amie, la productrice marocaine Lamia Chraibi, me précise que c’est le fils de Bichara qui a composé la musique du film. Chapeau !
Devant le gigantisme ambiant, la débauche de moyens....IMPRESSIONNANT est le mot que ne cesse de répéter le touriste qui sommeille au fond du cinéphile. J’apprends de la part d’un collègue libanais, vieux routier de la critique, longtemps installé à Londres et New-York et qui a finalement choisi Dubaï comme destination de résidence, que la capitale émiratie est classée 78 sur 200 comme ville agréable à vivre ; et elle est première ville arabe,  suivie d’Abu Dhabi. Un peu jaloux, je ne cherche même pas à savoir le classement de ma ville chérie, Casanégra... heu… pardon, Casablanca. Au petit déjeuner, mon ami algérien est plus sceptique : au moins ici, dit-il, on voit où va l’argent du pétrole ! Il sait de quoi il parle. Dubaï est une vraie leçon de choses pour nous maghrébins...Au cinéma, c’est une autre histoire. Dubaï est équipée en salles multiplexes ancrées dans de gigantesques centres commerciaux. Pour une population dix fois moins que la population du Maroc les Emirats comptent 299 écrans, dix fois plus que nous ! Les conditions de projections sont plus que correctes ; la qualité de l’image et du son est impeccable mais les odeurs de nourritures fastfood polluent l’atmosphère. Le public est bon enfant. Dans le catalogue officiel du festival, je suis surpris de voir  de curieuses précisions qui suivent chaque fiche du film ;  pour Zéro, par exemple, je lis (kalimat nabia. 3ary. Jinss, et il n’est pas le seul à être présenté ainsi) et il est interdit au moins de ...18 ans.  Un film porno le serait-il alors pour les moins de 40 ans?????? Mais attention, ces précautions de sagesse n’indiquent en rien une forme de censure, c’est juste une information pour les familles, sinon les films sont présentés dans leur intégrité comme ce très beau film portugais Tabou avec de belles scènes érotiques reçues dans la plus grande sérénité.

Sortant peu à peu des dommages collatéraux du décalage horaire, mon rythme de vision de films a atteint son rythme de croisière : je suis passé rapidement d’un film à trois films par jour...la programmation est importante (plus de 150 films), très éclectique et répond a des soucis multiples : les nouveautés internationales ; les compétitions arabes, afro-asiatiques et le cinéma émergent du Golfe et surtout le cinéma hindi omni présent, of course, la communauté du sous-continent indien est majoritaire au sein des populations immigrées.
Le cinéma marocain est présent avec force ; avec des surprises, agréables, comme ce documentaire, Femmes sans identité, qui nous vient de Finlande signé par le jeune Mohamed Laaboudi (il est de nationalité australienne, immigré en Finlande !!!!) ; le documentaire suit sur deux ans, avec délicatesse et empathie le destin tragique d’une jeune mère célibataire acculée, par l’intolérance et la bureaucratie, à vendre son corps. Le film restitue avec humanité, les gestes d’une mère désabusée et d’une femme écrasée. Femmes sans identité, retenez bien ce titre: il fera beaucoup de bruit. J’espère qu’il sera retenu pour la prochaine édition du festival national du film. Hakim Belabbes continue son rythme régulier de présenter un nouveau film et une nouvelle démarche ; nouvelle mais tout en gardant le cap d’un nouveau cinéma qui transcende les frontières des genres et des modes de production. Dans ce sens, son nouveau film, Vaine tentative de définir l’amour, est un délice comme un biscuit léger et tonique. Cette forme presque ludique de faire du cinéma en interrogeant sans cesse les outils du cinéma aborde ici des questions stratégiques en termes de construction de scénario, de direction d’acteurs, de rapports au réel, et de positionnement par rapport à l’imaginaire d’une société ; le prétexte cette fois est la légende d’Isli et de Tislit. Cette belle histoire de dépit amoureux qui donna lieu a des flots de larmes donnant naissance à deux lacs situés au milieu de hautes montagnes ; le film est un hommage à cet espace et aux hommes (et femmes) qui l’habitent. Quant au récit lui-même, il se construit devant nous en amont avec la recherche du sujet : cette histoire de conflit tribal empêchant un mariage entre jeunes amoureux a-t-elle eu vraiment lieu? La population interrogée est sceptique. On pense alors à John Ford de Liberty Valance qui dit entre la légende et les faits, gardez la légende. Hakim choisit de la mettre en scène ou plutôt de la mettre en épreuve en demandant à ses acteurs (les deux sont de magnifiques trouvailles) de la mettre en scène. Exercice délicat qui aboutit à l’impasse et à une forme d’autocritique: le téléphone que le cinéaste reçoit de sa comédienne à la fin du film dans le film est un vrai bilan en forme de miroir sonore !
Je sors d’un beau film algérien Yemma de Jamila Sahraoui, véritable tragédie antique ayant pour décor les Aurès de l’est algérien où une mère est confrontée au dilemme tragique de deux fils partagés par la guerre civile...je sors de ce film pour rattraper le débat de Lakhmari dans une salle à côté. La salle est comble pour cette deuxième présentation du film. Lakhmari, Majd et Bouab sont félicités et le débat revient sur l’éternelle question du rapport du cinéma et du réel. Un marocain résident à Dubaï, se soucie de l’image du Maroc véhiculée par ce genre de films. On sent que la télévision est passée par là ayant phagocyté le regard et formaté les modes de représentation. Lakhmari et ses comédiens se défendent bien. De toutes les façons, tout le monde relève  l’originalité,  la diversité du cinéma marocain et surtout sa liberté de ton. Ceci dit beaucoup de boulot nous attend: et le monde lui n’attend pas.

Dîner chez Paul. Non, ce n’est ni à Rabat, ni à Casa ; mais c’est au sein de cet immense mall émirati, véritable ville dans la ville, que je tombe enfin sur ce coin relativement francophone. Une aubaine pour moi dont l’anglais est juste utilitaire ; trouver des indications en français  sur la carte me soulage un peu ; mais c’est en anglais qu’il faut s’adresser au personnel....coréen. Comme partout, l’anglais est de rigueur. Il faut, en effet, souligner  cet aspect plus que positif de la tolérance linguistique qui caractérise les rapports humains à Dubaï. L’anglais est dominant : la présentation des films, les débats qui suivent les projections, les sous-titres des films...tout est en anglais. Quand je pense à la guerre civile linguistique permanente que nous vivons au Maghreb, je comprends en partie pourquoi nous sommes en retard et pour quoi ils se sont développés (pour reprendre la célèbre formule d’un des théoriciens de la Nahda  arabe). Peut-être que la proximité avec l’Inde y est pour quelque chose ; le pays et la nation qui a reconnu ses centaines de langues nationales et leur donne une place de choix dans l’espace public. Cette ouverture d’esprit en matière de langue est un aspect sur le rapport à l’autre notamment à l’expertise internationale qui est convoquée ici sans complexe. Le festival de Dubaï est dirigée par une tête pensante locale, notamment l’incontournable Massoud Amrallah Al Ali, le directeur artistique du festival ; l’homme qui voit 700 films par an. Personnage affable et d’une grande modestie que l’on croise partout et qui n’hésite pas à venir par exemple saluer un jeune cinéaste marocain pour le féliciter pour les qualités humaines de son film, avec des détails qui indiquent qu’il a effectivement vu le film ! Cette direction locale fait appel à des experts de nationalités différentes ; les conseillers du festival appartiennent aux quatre coins de la planète et le personnel actif est majoritairement libanais, égyptiens, syriens ...les Marocains arrivent et font leur percée...il y a une sorte d’imprégnation par le pragmatisme de la culture anglo-saxonne qui fait qu’on se situe plus du côté du résultat que de l’idéologie ... Un mode de gestion à méditer quand on sait que la compétition est appelée à être encore plus ardue entre les nations, les pays, les festivals. Bien sûr il ne s’agit pas d’être dupe, encore mois de faire preuve de naïveté ou encore de jouer à Alice au pays des merveilles.  Tout choix de gestion est porté par un choix de société voire de civilisation. Et là il ya beaucoup à dire mais ce n’est pas le sujet. Celui-ci étant comment parvenir à mettre de notre côté toutes les chances et toutes les expériences susceptibles de parvenir à notre propre modèle: efficace, tolérant et  humaniste. Est-ce d’ailleurs le message en filigrane du beau film japonais, The land of hope. C’est peut-être le premier film nippon post Fukushima. Il aborde la tragédie du Tsunami dans une approche intime, minimaliste. On sait que le Japon a été un grand  producteur de films catastrophes. C’est un cinéma qui a abordé toutes les tragédies imaginables : invasion, tremblement de terre, immersion...The land of hope est aux antipodes de cette approche, il filme les déchirures d’une famille de paysans éleveurs dont la ferme est située à la limite de la zone d’évacuation atteinte par les radiations émanant de l’accident nucléaire engendré par le tsunami. Un  vieux couple, leur enfant ainé dont la femme attend un bébé ; tout cela filmé avec humanité, peu de moyens, la catastrophe reste en hors champ et la déchirure omniprésente. Très beau dans son pessimisme même.
Dans cette boulimie de films, j n’oublie pas le court métrage. Oublié est, en effet,  un risque qui meuble l’horizon de ce format cinématographique surtout au sein de festivals gigantesques où il est écrasé par de méga évènements. J’assiste donc à un  module où se trouvent des films que j’avais vu à Tanger, notamment le  beau Valse avec Ismahane de Samia Charkioui et La route devant moi de Mahe (France). Ce sont les deux films qui se démarquent du lot de cinq films que j’ai vus ce soir-là. Le reste étant très approximatif ou très idéologique comme le film syrien. Par contre je découvre tard dans la soirée un film présenté au nom du Maroc, Casablanca mon amour de John Slaterry. C’est un film hybride, un vrai bricolage d’images ; se réclamant de la démarche du free cinema british mais le résultat est très décevant. Il est porté par l’intention de revisiter l’image du Maroc via son rapport à l’imaginaire hollywoodien. Il suit, pour ce faire, deux jeunes à travers le Maroc sous prétexte que l’un d’eux va retrouver son oncle. Quand il arrive, c’est  trop tard ! Cela peut être aussi la conclusion du film : pleins de contresens et de contre-vérités, il joue à fond la carte de l’ambiguïté ; utilisant le point de vue des deux personnages pour leur faire dire ce que le film ne veut pas ou n’ose pas dire (exemple : les propos sur le festival de Marrakech) ; le titre du film, très accrocheur, a ramené un important public de la communauté marocaine de Dubaï. Beaucoup d’entre eux se sont sentis piégés. Ils n’ont pas aimé le film et l’ont fait savoir avec virulence au réalisateur qui n’a pas daigné leur répondre. Comme dirait Mahmoud Darwich, il y a des amours dont on aimerait bien se passer.
C’est l’heure du bilan et du palmarès. Comme, je l’avais suggéré supra, c’est un film marocain de la diaspora qui a été distingué. Khoya (My Brodher) de Kamal Mahouti a obtenu, en effet, le prix du meilleur réalisateur arabe. Kamal Mahouti revient de loin. Ce projet qui lui tient à cœur remonte très loin. C’est le premier travail de ce cinéphile avant tout qui dirige un sympathique festival dans la région parisienne. Khouya est une double réflexion culturelle et cinématographique sur la question de l’identité. Un jeune peintre, issu de l’immigration marocaine, traumatisé par la perte d’un frère, tente de restituer sa mémoire et son moi à travers un conflit latent et apparent avec le père. La symbolique est très forte, parfois au premier degré. Le film reflète dans son écriture même cette dualité et cette perte. Le coût en termes de cohérence narrative et esthétique est patent. Le jury a été sensible à l’intention. Le Prix de la critique  internationale, Fipresci, est allé à Yemma de la cinéaste Jamila Sahraoui. C’est très cohérent, le film séduit par la qualité de ses images et la structure tragique de son scénario. L’Arabie Séoudite, dans un film coproduit avec les Emirats et l’Allemagne remporte le Prix du meilleur film arabe, Oujda, signé par Haifae Almansour, une touche sensible et un récit qui renvoie à l’univers d’une certaine esthétique du film d’enfant iranien.
La carte cinématographique du monde arabe n’est plus ce qu’elle était. La multipolarisation est née. Le monopole égyptien vole en éclats. Au Maghreb, au Moyen orient, au Golfe…la diversité creuse son sillon. Le retour, en somme, à une certaine logique de la géographie et de la culture.



Albachado de Hassan Aourid

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