mercredi 23 juillet 2014

Mon voyage à Yaoundé


 Le Maroc star des Ecrans noirs
bakrim à Yaoundé (Photo DOS)


L’ambiance commence déjà à « l’escale de départ », en  l’occurrence Casablanca-Mohammed V ; en effet, les vols de nuit, inaugurés et immortalisés par Antoine de Saint-Exupéry, à la destination de la partie sud de notre continent, semblent très prisés. Beaucoup de monde dans le hall d’embarquement, à l’heure de la rupture du jeûne. La compagnie nationale tient là un créneau très porteur. La première impression est que ce pari stratégique et pas seulement commercial est en tarin d’être tenu. Le vol Casa-Bangui qui nous déposera à Douala, étape intermédiaire avant un autre vol vers Yaoundé a été mené de main de maître.
La correspondance vers la capitale camerounaise me permet déjà de faire connaissance avec une partie de la délégation nigériane. Le Nigéria, en effet,  étant avec le Maroc les deux cinématographies invitées de la 18ème édition des Ecrans noirs de Yaoundé. Ma voisine de ce vol d’une trentaine de minutes qui relie la capitale économique du Cameroun à sa capitale politique, est une caméra-woman d’une équipe de télévision nigériane, venue couvrir le festival. Elle me présente ses collègues ; des jeunes, échantillon de la génération universelle du numérique. On ne parle pas cinéphilie, mais technique de prise de vue et performance du matériel. C’est une nouvelle époque. La rencontre prévue autour de l’expérience marocaine et nigériane est venue justement témoigner de cette métamorphose qui dessine une autre configuration de la culture des images.
Yaoundé, le matin très tôt. Les formalités sont évacuées rapidement avec la complicité de la représentante du festival venue accueillir la délégation marocaine composée de sept membres professionnels du cinéma. Hassan Benjelloun et Daoud Aoulad Syad sont des familiers. Ils étaient déjà avec venus avec leurs films auparavant. L’accueil est fraternel et chaleureux.
Extérieur jour : une atmosphère verdâtre ; il y a eu de la pluie, point de soleil le climat est lourd sans être pesant. La forêt est là et de gigantesques camions rappellent la richesse du pays ; d’immenses troncs d’arbres  sont transportés vers de multiples destinations. La route grouille de monde pour un samedi matin. Pour parcourir la vingtaine de kilomètres qui séparent l’aéroport du centre ville, il faut avoir de l’ingéniosité et beaucoup de sang froid. La vie des ses différents désordres envahit la chassée. Et les images défilant devant nous et qui confinent au cliché rappelle d’autres villes, d’autres banlieues du sud, livres à elles-mêmes. Il y a des villes mais point d’urbanité. Yaoundé apparaît enfin. On monte et on descend. « Normal, me dira plus trad. notre accompagnatrice, Yaoundé est la ville des sept collines ». L’hôtel chois pour loger les invités est situé dans la cité politique là où il y a la plupart des ministères ; l’hôtel lui-même est destiné à accueillir les députés à l’occasion de différentes sessions parlementaires. La proximité de la forêt et d’un immense lac naturel donne au lieu une atmosphère brumeuse d’un film asiatique.
La journée se passe à régler différentes formalités d’installation et de familiarisation avec les lieux (…et de régler la question incontournable du voyageur moderne celle de la connexion : c’est désormais la question rituelle que l’on pose au réceptionniste de l’hôtel dès qu’il nous livre le numéro de chambre !).
Le festival Ecrans noirs connaît une audience de plus en plus importante. Une nouvelle illustration est fournie cette année avec l’organisation d’une cérémonie d’ouverture dans les règles, la première dans la jeune histoire du festival : tapis rouge, montée des marches, invités  VIP  et belles silhouettes féminines… Elle sera marquée notamment par la projection du film marocain, A la recherche du mari de ma femme, une comédie de M.A Tazi datant de 1993 mais qui a bien résisté au temps y compris loin de ses bases fassies : les déambulations de L’haj interprété par Bachir Skirej ont séduit le nombreux public très chic qui a envahi l’immense salle de projection du palais des congrès.  Salle peu indiquée pour une projection de cinéma, mais la conjugaison des efforts maroco-camerounais (un jeune technicien du CCM est venu spécialement donner un coup de main à ses collègues camerounais et superviser la projection des films marocains) a permis la réussite de la soirée avec un accueil très chaleureux pour le film. Nouvelle preuve qu’une œuvre ancrée dans le local est la voie royale de l’universalité !

jeudi 10 juillet 2014

les années 70 du cinéma marocain

la décennie des auteurs
Mostafa Derkaoui dans Quelques événements...(1974)

Au terme des années 60, le bilan du paysage cinématographique est contrasté ; une activité commerciale florissante avec un nombre d’entrées en augmentation régulière ; une production nationale portée par le court métrage dans sa version documentaire institutionnelle et une tentative avortée de produire de la fiction sur le modèle dominant. Un bilan chiffré tourne autour d’une soixantaine de courts et moyens métrages et trois longs métrages de fiction. Outre les deux films de 1968, Vaincre pour vivre de Tazi et Mesnaoui, Quand mûrissent es dates de Bennani et Ramdani, Latif Lahlou a signé en effet en 1969, son premier long métrage, Soleil de printemps avec en vedette, Amidou qui vient d’entamer une brillante carrière internationale de comédien avec Claude Lelouch.  Le film se situe dans le sillage des choix entamés par le cinéaste dans ses documentaires et docu-fiction, celui de capter une réalité, cette fois celle de la nouvelle petite fonctionnaire urbaine (un petit fonctionnaire dans l’enfer émergent de Casablanca). Entre néoréalisme et mélodrame, le film dessine en filigrane une des voies majeures de la cinématographie marocaine en devenir.
A l’orée des années 70, le cinéma marocain va s’engager sur une nouvelle piste. L’Etat, trouvant son moyen d’expression favori dans le nouveau media envahissant, la télévision, va se désengager de plus en plus de la production cinématographique. La télévision devenue l’enfant chérie de l’Etat, le cinéma redevient ce « fils maudit » annoncé par le titre prémonitoire de Ousfour. A posteriori aujourd’hui, on peu dire que ce fut une chance historique pour notre cinéma, celle de naître en alrge de l’Etat, voire « contre » l’Etat. Le cinéma marocain va forger ses choix essentiels en toute indépendance et ne sera jamais une variante d’un service officiel, à l’instar de certains pays qui vont tabler sur un cinéma porté par l’Etat…option qui se révélera sans horizon sur le moyen terme.
C’est ainsi que dès 1970, une voie royale s’entrevit devant le cinéma marocain avec une production indépendante qui fera date et marquera les années suivantes, Wechma de Hamid Bennani. Un film porté dan son mode de production, comme dans ses choix esthétiques et artistiques par l’idéologie de l’époque. Celle d’une économie collective, d’une culture ancrée dans son environnement et aspirant à des formes d’émancipation et d’épanouissement.
Wechma sera ainsi le titre générique d’une époque et de toute une manière de faire le cinéma. Il sera même pris par beaucoup de cinéphiles comme la référence première à la naissance du cinéma marocain. Il correspond, en effet, à un paramètre   déterminant des années 70, celui de l’activité cinéphile centrée atour de la dynamique fédération nationale des ciné-clubs qui assurera « le service après vente » et la promotion de ce qu’il convient d'appeler en toute légitimité le cinéma d’auteur marocain, tendance fondatrice de ce cinéma et dont les titres majeurs ont été produits réalisés dans les années 70. Une décennie qui verra en tout et pour tout la production de 16 longs métrages. Deux cinéastes vont se détacher par leur régularité en réalisant près de la moitié de ce chiffre. Il s’agit d’Abdellah Mesbahi avec 4 films et Souheil Benbarka avec 3 films.  Neuf autres cinéastes réaliseront leur premier long métrage lors de cette décennie avec le cas particulier de Ousfour qui avec Le trésor infernal réalise son premier film dans des normes professionnelles.
Très vite, une dominante se dégage, celle d’un cinéma porté par des auteurs désireux de témoigner à la fois sur une réalité, dans ses multiples dimensions, et sur leur outil d’expression. Face à ce noyau, Mesbahi va lancer un courant animé de velléités franchement commerciales et s’inspirant du modèle égyptien. Le titre emblématique de cette démarche est Silence sens interdit (1973) avec un chanteur, Abdelahdi Belkhayat, dans le rôle principal. Un montage de chansons célèbres, servi par un récit au premier degré et d’une grande naïveté dans le jeu et les situations. Le film de Ousfour, Le trésor infernal (1970) s’inscrit dans cette optique, celle d’un cinéma commercial et populaire. Ce sera un courant minoritaire au sein de la production de cette décennie. Au sein de la tendance qualifiée de cinéma d’auteur, on peut relever cependant des nuances.
On peut ainsi dégager au sein du cinéma d’auteur marocain des années 70, les variantes suivantes.
Un cinéma politique tenté par l’universel, illustré par les films de Souheil Benbarka : Mille et une mains (1972), La guerre du pétrole n’aura pas lieu (1974) ; le film aura d’ailleurs des ennuis avec les autorités et ne connaîtra pas une sortie normale.
Un cinéma de la déconstruction, travaillant de prime à bord le langage cinématographique lui-même, inscrit dans une opposition affichée au schéma narratif dominant…Un cinéma dont la figure de proue est Mostafa Derkaoui avec De quelques événements sans signification (1974).
Un cinéma inscrit dans la quête culturelle et puisant dans l’héritage mythologique et symbolique avec des sous variantes illustrées par les films de Bennani, Smihi, et Bouanani. Wechma de Bennani (1970) enrichit cet ancrage culturel local par une inspiration largement psychanalytique ; Chegui de Moumen Smihi (1974) revendique une filiation au récit littéraire classique nourri de références et de motifs symboliques ; Mirage de Bouanani (1979) reprend la démarche du conte populaire avec un héros livré à une errance dans les labyrinthes d’une mémoire sans repère.
Un cinéma du réel porté par un regard anthropologique : O les jours de Ahmed Maanouni (1978).
Des films sont produits également dans cette perspective, je cite le cas notamment de Cendres du clos (1977) mais dont le destin particulier mérite un traitement à part.







mardi 8 juillet 2014

les années 60 du cinéma marocain

Impasse d’un cinéma officiel
Vaincre pour vivre, M. Tazi et A. Mesnaoui, 1968

Une production prolifique en matières de courts métrages, avec des tendances diverses, et les premières tentatives de production « officielle » pour le long métrage de fiction : tels pourraient être le titre générique de la décennie des années 60 du siècle précédent. Mais avant de prolonger cet aspect du paysage cinématographique des origines, il est utile, dans le cadre de cette approche descriptive, de rappeler quel était le rapport des Marocains avec le cinéma à travers le prise de l’exploitation. Et les chiffres sont éloquents…
Entre 1958 et 1969, qui est le syntagme temporel de cette première décennie, le nombre de spectateurs est passé de 18 176 972 entrées à 26 620 796 entrées ; c’est-à-dire qu’à la fin des années 60 le cinéma attirait trois plus le nombre de la population marocaine, de l’époque, ou en d’autres termes, 26 fois le nombre d’entrée aujourd’hui. La courbe des entrées va connaître un mouvement ascendant, sauf en deux dates qui connaîtront sinon un repli du mois un tassement ; c’est le cas de l’année 1965 et de l’année 1967 : et ce n’est pas un hasard. L’année 1965 a été marquée par les émeutes de mars et l’année 1967 a été l’année de la guerre dite des « six jours » entre arabes et israéliens au moyen orient !
Pour le parc des salles de cinéma, en 1958, le Maroc comptait 156 salles de cinéma et en 1969, il en comptait 239. Avec, pour la seule ville de Casablanca une cinquantaine de salles, c’est-à-dire plus que le nombre d’écrans dont dispose le parc d’exploitation aujourd’hui.
C’est dans ce contexte où le cinéma était une composante de l’urbanité que des jeunes marocains ont décidé d’embrasser une carrière de cinéma, sur la base d’études dans les écoles les plus prisées du monde occidental. Une fois, les premières promotions rentrées au pays, cela s’est répercuté sur la qualité de la production. Celle-ci quoique relevant d’une commande étatique, leur offrait le moyen de mettre à l’épreuve leurs avoir faire ; un savoir faire souvent porté par une vision du monde, nombre de cinéastes était en effet membres ou compagnons de route du parti communiste marocain et par  une ambition artistique, celle d’ancrer le langage cinématographique dans une démarche de réappropriation critique et nourrie des éléments de la culture nationale et populaire. 
Une indication majeure dans ce sens, le dossier consacré au cinéma marocain par la revue Souffles. Revue de recherche culturelle et artistique, fondée par des écrivains et des peintres engagés sur la voie de la modernité, s’intéresse en effet au cinéma dès son numéro 2 en 1966.  Il faut souligner que la revue comptait déjà parmi ses collaborateurs, un cinéaste poète, Ahmed Bouanani. Il est très présent dans le dossier qui se compose notamment, d’un document historique, c’est le mémorandum adressé à S.M le Roi en date du premier juillet 1965 ; du texte du rapport envoyé au ministre de l’information le 20 juillet 1965 ;  d’une table ronde, animée par le directeur de la revue Abdellatif Laabi avec la participation, de Ahmed Bouanani, de Abdellah Zerouali, M.A Tazi, M. Sekkat, Driss Karim…le dossier est complété par un index des cinéastes marocains où nous avons compté19 entrées, c’est-à-dire 19 cinéastes présentés d’une manière succincte.
Cette période donnera à la jeune cinématographie marocaine, une filmographie qui apparaît aujourd’hui comme l’âge d’or d’un format le court métrage et d’un genre, le documentaire.
On peut rapidement citer des films qui ont marqué ces années et qui constituent des repères dans la mémoire cinéphile. Dans la tendance socio-ethnographique on peut citer Sine Agafaye de Latif Lahlou (1967) ; pour le documentaire de création, le poème visuel de Moahmed Afifi, retour en Agadir (1967), Six et douze de Rechiche, Bouanani, Tazi…on ne peut omettre dans ce rapide panorama, les premières tentatives de fiction signée Larbi Bennani, Abdelaziz Ramdani et Ahmed Mesnaoui ; c’est le cas de Nuits andalouses (1963) de Larbi Bennani qui connaîtra une brillante carrière internationale, porté par les autorités de l’époque comme symbole d’un cinéma qui exprime une culture.
L’Etat va effectivement va mener une tentative de donner un coup d’accélérateur à un cinéma inscrit dans le sillage de la grande consommation en produisant des longs métrages. Sous la houlette du ministre de l’information de l’époque, un festival de cinéma méditerranéen a été programmé pour l’année 1968. Pour être présent avec des films dans les normes et les standards internationaux, le CCM va s’atteler à la production de deux longs métrages de fiction : Quand mûrissent les dates de A. Ramdani et L. Bennani et Vaincre pour vivre de A. Mesnaoui et M. Tazi. En termes de tournage, Quand mûrissent les dates fut le premier film marocain à être produit dans les normes professionnelles ; mais en termes de sortie c’est Vaincre pour vivre qui lui damera le pion et sera à juste titre le premier long métrage marocain de fiction. C’est une question technique qui explique cette situation, tourné en premier mais en couleurs, Quand mûrissent les dates fut envoyé en Europe pour son développement alors que Vaincre pour vivre tourné en noir et blanc fut terminé sur place et parvint ainsi à sortir le premier.
C’est donc en 1968 que Vaincre pour vivre ouvre la voie à la production cinématographique de long métrage. Né d’une volonté officielle de marquer la présence du pays, il ne fut dans son approche artistique animé d’aucune ambition spécifique. Il est écrit dans la perspective d’offrir un modèle local du mélodrame en vogue dans les salles commerciales : le récit reprend le schéma canonique du héros issu d’un milieu modeste animé du désir de devenir musicien ; il est appelé à affronter des obstacles à commencer par le père, à quitter le giron familial vers la grande ville, pour finalement rencontrer la femme de sa vie (riche forcément) et la gloire. Pour ce faire, on invita un chanteur, Abdelouhab Doukkali pour incarner le personnage de Karim, le premier jeune héros de notre cinématographie moderne.

Cette voie imposée d’en haut, ne fera pas long feu. La première velléité d’un cinéma commercial né dans le giron de l’Etat connaîtra un cuisant échec, public et critique. Le cinéma marocain, notamment à partir des années 70, optera pour d’autres choix qui feront sa spécificité et signeront sa marque sur la base de son indépendance quitte à forcer plus tard un soutien public. 

Brève histoire du cinéma marocain

Les années 60 : l’Etat producteur
Une bouchée de pain, Larbi Bennani, 1960
La situation du paysage cinématographique marocain, à l’orée des années 60, présente plusieurs atouts. Nous avons déjà soulevé l’immense héritage constitué par la filmographie dite coloniale et qui devrait en toute légitimité figurer dans le patrimoine cinématographique national, héritage auquel nous avons adjoint toute la filmographie réalisée par des cinéastes français qui ont continué d’exercer plusieurs années après le départ officiel de l’administration française, avec une figure emblématique qui mérite d’être réhabilitée, celle de Jean Fléchet.
Outre donc cette dimension positive née de l’histoire « l’industrie cinématographique » marocaine disposait de plusieurs autres facteurs favorables à une réelle activité cinématographique. Je cite notamment :
L’existence d’une infrastructure réelle et expérimentée à la fois administrative avec un outil d’intervention étatique efficace qu’est le Centre cinématographie marocain (CCM) en exercice déjà depuis les années 40, et une infrastructure technique avec les Studios Soussi.
Le Maroc disposait en outre, sur le plan des ressources humaines, d’abord d’un immense vivier de comédiens, issus de la fameuse troupe de la jeunesse et des sports. Comédiens pétris de talents qui ont fait leurs preuves sur les planches ou dans le théâtre radiophonique et qui ont gouté au cinéma avec les nombreux films-sketches réalisés dans le tournant des années 54 à 57 par le courant du cinéma que nous avions qualifié de cinéma post colonial (Je peux citer des films comme Le poulet, Pauvre Assou, Le trésor caché…). Un cinéma qui a permis au cinéma de se populariser dans le « bled profond » grâce à la caravane cinématographique et à des films adaptés de contes populaires et portés par des comédiens bénéficiant déjà d’une popularité à l’instar de Bachir Laalej, Salim Berrada, Hammadi Ammor, Khadija Jamal…De véritables vedettes nationales que rejoindront très vite des jeunes loups comme Larbi Doghmi, Hassan Skali, Tayeb Seddeki…qui mettra la main au métier en participant également à la mise en scène. Ahmed Tayeb Laalej contribuera également à l’adaptation de scénarii et à l’écriture des dialogues.
Ressources humaines, ensuite avec l’arrivée de jeunes marocains formés dans des écoles de cinéma (en particulier et en premier lieu l’IDHEC à Paris) : c’est le cas de Larbi Bennani lauréat de l’IDHEC en 1954, Mohamed Afifi lauréat de 1957 ; Latif, Lahlou ; Mohamed Lotfi ; Abdelaziz Ramdani…Ces premiers professionnels rejoindront le CCM et constitueront la première vague de cinéastes marocains et signeront leurs premiers films : Notre amie l’école (1956) de Larbi Benchekroun, il n’a pas fait l’IDHEC mais il a été formé à Rome et à paris ; De chair et d’acier (1958) de Mohamed Afifi ; La nuit des bêtes (1960) de Abdelaziz Ramdani ; Pour une bouchée de pain (1960) de Larbi Bennani…Ce sont des films, format cour, produits par le CCM, en général avec la collaboration d’institution étatique : le ministère de la santé, le ministère de l’éducation nationale ou des établissements publics comme les offices de mise en valeur agricole ; l’Office de la pêche…Le nouvel Etat avait besoin d’une image nationale pour promouvoir sa politique (il n’y avait pas de télévision à l’époque) , mais aussi comme vecteur de promotion des valeurs d’appartenance nationale et de citoyenneté. Les films étaient donc des productions de commande, mais les jeunes cinéastes en faisaient également un moyen d’expression artistique.
Enregistrer, témoigner, découvrir…ce programme va se décliner à travers la profusion de documentaires produits à cette époque. D’où ma conclusion principale : cette décennie 1958-1969 sera perçue a posteriori comme l’âge d’or du documentaire marocain. Sur cette période, on peut comptabiliser, à partir des documents publiés par le CCM, 69 films. Ce sont en général des courts métrages dont la durée peut atteindre parfois 45 minutes avec une dominante du genre documentaire. Beaucoup de films relevaient également de ce que l’on pourrait qualifier de docu-fiction. Dans le film Pour Une bouchée de pain de Larbi Bennani 1960), produit en collaboration avec le ministère de la santé et le secrétariat au commerce et à l’industrie,, la visée était d’encourager les Marocains à consommer du poisson, notamment les sardines dont le Maroc était un grand exportateur à l’époque ; on passe alors par le procédé de la fiction sur la base d’une historiette qui met en scène un pauvre citoyen (Tayeb Seddiki) que sa femme (Fatéma Regragui)  incite, en lui jetant un panier au visage, à sortir chercher une bouchée de pain. Une fois dehors, il se retrouve devant une campagne officielle de promotion de ‘’la sardine, véritable richesse nationale’’ ; la fiction est neutralisée au bénéfice de la visée didactique (le film nous montre les différentes étapes qui marquent cette industrie florissante dans certains ports du royaume). On est dans la posture « le cinéma, école du soir », pour reprendre un concept forgé dans les années 60 par le cinéaste sénégalais Ousmane Sembene.
C’est une tendance phare de la production cinématographique des années 60. Les films inscrits dans un processus institutionnel avaient pour objectif de faire connaître, d’inciter et de promouvoir. On peut cependant dégager trois grandes tendances dans le documentaire de cette époque :
Un cinéma de vulgarisation institutionnelle, relevant de la promotion d’un service et ou d’une action du jeune Etat.
Un cinéma de tendance ethnographique visant à réhabiliter l’histoire du pays, son architecture et sa culture.
Un cinéma relevant du documentaire de création, prenant son appui sur le réel pour interroger l’outil d’expression lui-même.


mercredi 2 juillet 2014

Ousfour et la génération des pionniers


Notre amie l'école (1956) Larbi Benchekroun


Le fils maudit de Mohamed Ousfour voit le jour officiellement en 1958. C’est le film qui peut être approché comme l’aboutissement technique d’une longue période pratiquement artisanale où la passion de Ousfour pour le cinéma n’était assouvie qu’en tournant et en montrant ses bouts de pellicules qu’il filmait, montait et projetait tout seul. Cet autodidacte, issu des plaines de Abda, arrivé à Casablanca dans le sillage des grandes immigrations des années trente et quarante…va découvrir le cinéma grâce à ses contacts avec les milieux européens. Dans son livre, consacré à ce cinéaste original, Ahmed Fertat rapporte des faits saillants d’une biographie marquée par la passion du cinéma. C’est le Casablanca  des quartiers européens de l’époque coloniale qui ouvrit à Ousfour cette caverne magique qu’il tenta de dompter et de redéployer auprès des siens. On apprend ainsi qu’il a été vendeur de journaux, apprentis dans plusieurs métiers. A 15 ans il déniche une petite caméra qui lui permit de « filmer » des aventures dans une forêt de la banlieue casablancaise (la série des sketches Le fils de la jungle). En 1946, il entame un tournant dans sa carrière en participant à des productions internationales tournées au Maroc (Henry Hataway, Orson Welles…) où il fit preuve d’ingéniosité en, matière de trucages et d’effets spéciaux… avec les moyens de bord. Il continue à tourner des sketches qu’il montre dans des salles de fortunes. En 1956, il put enfin acquérir une caméra 16 mm qui lui a permis de tourner, de monter son film phare Le fils maudit (qu’il doubla des années plus tard).
En fait c’est un moyen métrage d’une quarantaine de minutes ; le récit cette fois est d’inspiration réaliste ; c’est un mélodrame sur les la mauvaise éducation qui se transforme en malédiction qui s’abat sur une famille dont le père alcoolique voit le fils devenir « une enfant maudit ». De belles trouvailles émaillent ce récit sur le plan visuel. Devenu criminel, le fils est présenté devant les tribunaux où il est condamné à mort ; l’exécution est filmée d’une manière artisanale mais donnant lieu à une mise en image originale,  jouant notamment  sur la figure de l’ombre. 
Le film obtiendra son visa de sortie en 1958 mais Ousfour va désormais s’investir dans le côté technique mettant son savoir faire acquis d’une manière autonome au service de différentes productions ; travaillant notamment comme preneur d’images avec de nombreux cinéastes marocains. Ahmed Bouanani lui rendra un vibrant hommage dans ce sens. Il faudra attendre 1970, pour le voir revenir à la réalisation, avec son premier vrai long métrage, Le trésor infernal (un film de 72 minutes cette fois).
 Entre temps, le paysage cinématographique marocain connaîtra d’autres nouveautés  structurantes avec l’année 1958 (et les suivantes) ; celle-ci voit l’entrée en lice de la première génération des cinéastes marocains ayant une formation académique et professionnelle spécialisé dans le cinéma.
Il y a ainsi Larbi Benchekroun (1930 – 1984) auteur dès 1956 du premier film marocain dans des normes professionnelles (Notre amie l’école, 1956). Il a suivi une formation à Rome et différents stages de perfectionnement à Paris. Rentré au Maroc, il est l’auteur d’une douzaine de films documentaires et/ou docufiction : un exercice très en vogue à l’époque consiste à dramatiser un sujet à connotation sociale dans le but d’assurer au message une réception idéale. Je cite en  outre des noms comme Larbi Bennai, lauréat de l’Idhec en 1954. Il sera présent avec l’équipe du CCM qui va filmer les festivités officielles et populaires du retour de feu Mohammed V. il s’investit beaucoup dans la formation et la gestion administrative au sein du CCM ; il fera partie des cinéastes qui vont marquer cette décennies avec de nombreux documentaires , des fictions notamment Nuits andalouses de 1963 qui recevra un accueil chaleureux de la part des plus hautes autorités du pays de l’époque et représentera le Maroc dans des festivals et des manifestations dédiées à la culture marocaine.
Mohamed Afifi, un autre lauréat de l’Idhec promotion de l’année 1957. Il rejoint le CCM où il s’occupe en particulier du département des actualités filmées qui va être, en  l’absence de la télévision à l’époque, la véritable mémoire visuelle du pays, accumulant des images qui sont aujourd’hui un véritable patrimoine. Afifi va réaliser des documentaires, s’occuper pendant une période  du théâtre de Casablanca avant de s’investir dans la distribution et des activités privées…Latif Lahlou, Mohamed Lotfi rejoindront ce premier groupe vers la fin des années 50 (lauréats de l’IDHEC en 1959). Les années qui suivent verront au fur et à mesure l’arrivée de nouveaux cinéastes, lauréats de l’école parisienne.
Ils rejoignent presque automatiquement le CCM ; ils n’ont pas le choix en l’absence d’un contexte professionnel privé. Le Maroc était un pays de grande consommation de cinéma. Activité urbaine par excellence, elle fournissait aux nouvelles couches sociales un divertissement et une ouverture sur le monde. Le Maroc comptait près de 200 salles de cinéma et les chiffres de fréquentation connaissaient une courbe ascendante
L’Etat par contre avait besoin de cadres professionnels pour véhiculer une image, d’abord celle officielle des activités du personnel public…et une image didactique contribuant au discours identitaire nationaliste de cette période de transition. Nous sommes au début des années 60, l’Etat se donne aussi pour rôle de former des citoyens, de les initier aux taches du monde moderne et de leur faire découvrir leur pays dans le temps, en revisitant le riche patrimoine issu d’une civilisation séculaire et plurielle dans la perspective de conforter la thèse développée par les nationalistes à savoir que le colonialisme ne fut qu’une parenthèse qu’il s’agit de fermer pour reprendre la flambeau (sic) mais aussi présenter le pays comme espace géographique avec la diversité des paysages et des sites
Les jeunes cinéastes, cadres d’un organisme public, le CCM, vont s’atteler à cette tâche, mettant leur caméra, les techniques du montage apprises au service de cette entreprise qui s’exprime à travers des commandes.



Jean Flécher et le cinéma post colonial

Brahim ou le collier de beignets


L’histoire du cinéma au Maroc peut-être abordée d’un point de vue méthodologique de deux approches : l’histoire du cinéma au Maroc, c’est-à-dire comment se situe le rapport du Maroc à une invention qui a marqué la fin du 19ème siècle ou encore l’histoire du cinéma marocain proprement dit ; celle-ci est plus courte que celle-là. La première épouse carrément la naissance du cinéma mondial et elle a abouti au Maroc à ce qu’il a été convenu « le cinéma colonial », voir, à ce propos notre article précédent.
Cependant pour le cinéma marocain et son histoire il y a débat. On a, par exemple, décidé en 2008 de célébrer le cinquantenaire du cinéma marocain, faisant de 1958, un repère de référence.
1958 est une année qui peut constituer, en effet,  une date de référence dans le tracé chronologique du cinéma marocain. Elle voit, par exemple, la nomination du premier marocain à la tête du CCM, Ahmed Belhachmi qui succède au français Henri Menjaud, cinéaste qui avait signé entre autres, Mogador (1951). Et c’est l’année qui voit la sortie du film de Mohamed Ousfour, Le fils maudit, considéré et fêté en 2008 comme le premier film réalisé par un Marocain.
Ahmed Belhachmi (né en 1927) est un lauréat de l’IDHEC (1949-1951) et considéré à ce titre comme le premier marocain quia rejoint la prestigieuse école parisienne (la 7ème promotion). Ce fin lettré, très friand de théâtre pour lequel il a beaucoup écrit sous un pseudonyme, a travaillé dans l’administration, a côtoyé de grands cinéastes ; il a été l’assistant de P.P. Pasoloini dans Œdipe Roi. Sa filmographie se réduit à un film qu’il a écrit et réalisé, un long métrage de fiction, Le violon, interprété par Mohamed Said Afifi considéré comme le premier long métrage marocain (1959), hélas disparu dans des circonstances indéterminées ; on parle de copie détruite dans les anciens locaux des Studios   Souissi de Rabat.
C’est l’année qui voit aussi la projection du film Le fils de Mohamed Ousfour, moyen métrage de cet autodidacte qui est considéré aujourd’hui par la profession (voir la filmographie générale éditée par le CCM) comme le premier film marocain. Soit. Mais il y a une question qui mérite d’être posée ; si « le cinéma colonial » a démarré en 1919 avec Mektoub et il a en principe cessé d’exister juridiquement avec l’indépendance du Maroc fin 1955 début 1956 et si le cinéma marocain est né officiellement en 1958 avec Ousfour, comment va-t-on définir le cinéma qui a été produit et en grande quantités entre 1955 et 1958 ? Je propose de le définir par « cinéma post colonial ».
J’entends par cinéma « post-colonial » tous les films réalisés par des cinéastes français qui ont continué à exercer et à travailler au Maroc, plusieurs années après l’indépendance. Ce cinéma aussi, comme le cinéma colonial, a ses titres majeurs et ses cinéastes emblématiques. Il s’agit par exemple de Henri Jacques, Michel Clarence, Serge Debecque, Richard Chenay et principalement de Jean Fléchet. Lauréat de l’IDHEC en 1952, il arrive au Maroc où il travaille dans des productions diversifiées jusqu’au début des années 60 quand il rentre en France, pour finalement « se spécialiser » dans les cinémas des régions et des hameaux. Sa filmographie marocaine se distingue fondamentalement de l’esthétique du film colonial ; Jean Fléchet, dans ses fictions notamment, adopte  une approche foncièrement culturaliste, adaptant des récits et des sketches autochtones, dirigeant pour les mettre en images des comédiens marocains. Parmi ses productions qui ont rencontré un grand succès populaire, grâce notamment aux services de la caravane cinématographique, je cite Le poulet (1954) avec Bachir Laalej, Salim Berrada, Tayeb Seddiki…Pauvre Assou (1954), Le trésor caché (1954)…un travail qu’il prolonge y compris après la fin officielle du protectorat. Il signe ainsi un des films majeurs de cette période, Brahim ou le collier de beignets….où nous retrouvons les ingrédients qui ont marqué ses précédentes fictions, en se basant sur le travail au niveau du scénario et des dialogues sur l’apport d’auteurs marocains mais aussi en l’inscrivant dans l’idéologie de l’époque, celle d’une nation qui aspire à reconstituer son identité et à chercher son décollage. L’ensemble est servi par une image d’inspiration néoréaliste, une bonne direction d’acteurs dont feu Hassan Skalli qui marque le film d’une empreinte indélébile.
Brahim ou le collier de beignets de Jean Fléchet est une production du CCM de 1957, d’une durée de 45 minutes. Il a eu un destin exceptionnel puisqu’il fut le premier film à représenter le Maroc dans une manifestation cinématographique internationale d’envergure. Le hasard y est pour beaucoup, le ministère de l’information ayant reçu du Festival de Berlin une invitation à la participation du Royaume au prestigieux festival. Il se trouve alors que Fléchet était non seulement disponible mais avait un scénario prêt ; il l’adapta aux nouvelles circonstances, car il fallait faire vite. Le film fut alors réalisé et a eu une participation plus qu’honorable à Berlin…Avec un bon accueil public et critique…sauf une réaction mitigée de la part de l’ambassadeur de France qui a boycotté la réception officielle qui a fait suite à la projection du film…une manière de signifier qu’il n’appréciait pas le fait ne parle nulle part de « la mission civilisatrice » de la France au Maroc. Un argument supplémentaire qui plaide en faveur de la réhabilitation de ce beau film et à l’intégrer à la filmographie marocaine,  à l’instar de tout un patrimoine cinématographique de cette époque.


le cinéma colonial: André Zwobada

la symphonie berbère

…Et pour longtemps, l’histoire du cinéma au Maroc, se définira comme l’histoire des tournages internationaux qu’il va accueillir et abriter. Une date importante dans ce sens : 1919 avec le tournage du premier long métrage au Maroc, Mektoub de J. Pinchon et D. Quintin. C’est une date charnière non seulement parce que c’est le premier film de long métrage tourné au Maroc mais Mektoub va ouvrir la voie à ce qui deviendra un genre cinématographique, le film colonial.
On peut parler, d’un véritable corpus, objet d’étude par excellence. D’abord par sa consistance. De 1919 à 1957 on peut compter plus de 50 films inscrits dans cette optique. Si l’on ouvre l’angle d’approche à l’ensemble des films tournés au Maroc, on arrive facilement à plus de 70 films : si Le fils du soleil ou Itto appartiennent au « genre » ; Othello d’Orson Welles fait partie du lot des films tournés au Maroc ! Il y a, en outre, tout un cinéma colonial espagnol dans le nord et dans le sud du Maroc qui n’est pas comptabilisé ici.
Une des conséquences structurantes  de cette embellie est la création d’un organisme public chargé de mettre de l’ordre dans cette activité et surtout apporter de l’aide administrative et logistique ; il s’agit du Centre Cinématographique Marocain qui verra le jour en effet en janvier 1944. Mais, au-delà de cette mission administrative, le CCM passera à la production dès 1947 avec un court métrage documentaire, Aux portes du monde saharien de Robert Varlay
 Deux tendances se dégagent de cette production « coloniale » multiforme : des films  qui « tournent » au Maroc comme décor, plateau à ciel ouvert où le Marocain est cantonné dans de la figuration, muet, presque sans image; et des films qui s’imprègnent de l’imaginaire local pour raconter des histoires impliquant des indigènes avec des acteurs locaux (l’actrice Itto Benlahcen dans Noces de sable).
C’est en outre, un cinéma qui a ses cinéastes emblématiques : Marie Epstein, Julien Duvivier… et surtout André Zwobada ; un genre qui a produit des titres mythiques, Itto de Marie Epstein et Jean-Benoît Lévy (1934), La septième porte d’André Zwobada (1947) ou encore Noces de sable d’André Zwobada (1948) conte romantique dans un pays imaginaire sur un commentaire de Jean Cocteau…
André Zwobada (1910-1994), producteur (il produira en 1966, le premier film d’Afrique noire, la Noire de …de Sembene Ousmane !), a travaillé comme assistant réalisateur et comme acteur avec Jean Renoir…arrivé au Maroc, il contribue activement à la production locale avec des longs métrages de fiction mais aussi des documentaires. Je cite en particulier La symphonie berbère (1947) ; une production du CCM. Le film dit éloquemment, l’esthétique de l’époque. Après un court générique présentant le film comme une coproduction maroco-française, trois plans en ouverture donnent le ton et ce qui sera l’atmosphère du film ils permettent de signifier le lieu et d’annoncer le programme : d’abord, la Koutoubia majestueuse, ensuite le Haut Atlas comme horizon et le troisième plan s’arrête devant la Moumounia prestigieux palace de la ville ocre. On est dans la carte postale, image idylique renforcée par le commentaire en voix off. Des protagonistes font leur apparition ; un jeune couple européen, suivi d’un responsable de l’hôtel. Les premiers marocains sont en costume traditionnel de garçons de l’hôtel. Ils portent les bagages pendant que le maître d’hôtel offre un bouquet de fleurs à la jeune femme. On comprend qu’il s’agit d’un voyage de noces. D’une image l’autre : on est dans l’héritage romantique de la fin du XIX siècle.  La rencontre de deux mondes est renforcée par la présence de l’automobile qui va traverser la Médina sur la route de la montagne, inscrite au programme. La présence de la voiture à la place de la calèche célèbre pour découvrir la ville de Marrakech instaure un rapport de forces culturel qui va être décliné le long du parcours. Comme le souligne le commentaire très volubile, au cœur de la médina où les autochtones sont des silhouettes mobiles, le bourriquot cède le chemin à son concurrent mécanique ; commentaire redondant avec ce que nous montre les images. La sortie de la ville sur la route de Tizi N’test, le plus haut col d’Afrique du Nord, offre l’occasion à un clin d’œil au génie civil français qui a ouvert la voie vers ces contrées reculées dans le temps et l’espace. Tellement reculées que le jeune couple se voit dans l’obligation de laisser la voiture pour terminer l’exploration à dos de mules…guidé par des « berbères ». Le mot revient à plusieurs reprises. Le film est dédié au peuple amazigh ; le regard du couple est le prétexte pour organiser une découverte d’une communauté à travers des rites et des mœurs. Trois séquences vont être présentées : le souk hebdomadaire, la chasse et la célébration d’un mariage ; le regard est tantôt sociologique avec un brin d’ethnographie ; c’est le cas du souk où la caméra montre ce que le commentaire ne dit pas ; notamment quand elle s’arrête sur les métiers exercés par des juifs, décrits à partir de signes religieux mais parfaitement intégrés ; ou encore touristique avec la scène de chasse et puis carrément folklorique avec le montage de plusieurs danses berbères relevant de plusieurs genres ; mais apparemment réunies ici pour justifier le titre du film, « Symphonie berbère ». La bande son est loin d’être synchrone avec les musiques jouées. Mais ce n’est pas là le but ; la caméra  est prépondérante ; elle est  plutôt documentaire et construit une vision à travers l’accumulation de détails, ici des pieds nus, là un regard…l’ensemble inséré dans des plans larges qui disent une harmonie séculaire.  On ne voit plus le couple. La symphonie fait oublier l’histoire (celle du couple) et tient lieu d’un nouveau récit, se réclamant, cette fois, de la grande histoire, celle d’une culture et d’un peuple orphelins d’images.


Albachado de Hassan Aourid

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