mercredi 16 avril 2014

Festival national du film Tanger 2014


Tanger, capitale du cinéma marocain



C’est le destin d’une ville mythique de porter un signifiant qui renvoie à de multiples signifiés. Tanger, ne souffre jamais de la saturation du sens, car elle est  plurielle et son horizon est ouvert. Du 7 au 15 février elle devient ainsi la capitale du cinéma marocain en accueillant une nouvelle édition du Festival national du film ; la quinzième du genre. Oui, le festival, le plus grand rendez-vous professionnel et cinéphile du cinéma marocain a choisi de s’installer à Tanger depuis sa huitième édition (décembre 2005).  Pour mémoire, nous rappelons que le festival était né en octobre 1982 à Rabat. Un geste fondateur historique que les événements ont conforté dans sa justesse et sa légitimité. Cette première édition comptait en tout et pour tout 23 films, toutes catégories confondues : longs et courts, métrages, fiction et documentaire…La naissance était portée par plusieurs ambitions : réunir la profession pour célébrer et fêter la production nationale émergente (le fonds d’aide était à ses débuts et avait dopé le nombre de tournages nationaux) et montrer les films à leur premier destinataire, le public marocain. D’où l’idée généreuse de faire circuler le festival à travers le pays (Après Rabat ce fut au tour de Casa, de Meknès…). Les exploitants et les distributeurs de l’époque n’offraient pas au public marocain l’occasion d’aller voir « ses films » ; c’est au festival de permettre aux films d’aller chez le public. Très vite, ce noble projet va buter sur deux sur deux réalités ; dès la deuxième édition (1984), la machine de production va se gripper et le festival va disparaître des écrans, pour de nombreuses années, faute…de films à montrer. Et quand les films vont commencer à revenir grâce aux modifications apportées à la formule du fonds d’aide, autour des années 90, les salles pour montrer ces films disparaissaient les unes après les autres ; en nombre et surtout en conditions minimales  de projection pour montrer les films. On peu dire alors que l’édition d’Oujda en 2003 a sonné le glas de l’itinérance. En 2005, le FNF était (re)venu à  Tanger dans le cadre de sa ronde. Il y est resté et en 2007, deux décisions majeures ont été prises par la profession : en finir avec le principe du festival itinérant et changer sa périodicité, pour qu’elle devienne annuelle. Car entre temps, le nombre de films allait en augmentant et les exploitants ne subsistent plus aujourd’hui  que grâce aux films…marocains.
Chaque année, désormais, le cinéma marocain a son heure de bilan. Pratique rarissime dans notre région et que tous les observateurs internationaux saluent à juste titre et  qui sont de plus en plus nombreux à y venir pour découvrir, échanger et éventuellement conclure des contrats.
En termes de chiffres cette année, le FNF a programmé 21 courts métrages et 22 longs métrages pour ses deux compétitions officielles.
Pour les courts métrages, les 21 films en compétition à Tanger sont issus d’une présélection opérée par une commission. Elle a visionné cette année 65 courts métrages. La liste retenue reflète un réel retour d’engouement pour ce format qui connaît ces dernières années une évolution en dents de scie. Après le départ vers d’autres formats par  la génération de l’épopée des années 90 et qui fait les beaux jours du long métrage aujourd’hui, de Nabil Ayouch à Faouzi Bensaïdi, il y a eu une sorte de traversée de déserts marqués de temps en temps par quelques ilots (Mouftakir, Lasri, Fennane, ElFadili…), le court métrage semble retrouver un nouveau souffle. Deux principales caractéristiques peuvent se dégager du cru de cette année : la forte présence des cinéastes marocains de la diaspora y compris avec des nouveaux venus à la réalisation comme Souad Amidou et la présence plus qu’honorable des lauréats des écoles de cinéma. Cette sélection reflète en outre une grande diversité générationnelle avec des parcours tout aussi diversifiés.
Pour le long métrage, il y a lieu de noter  que cette année verra la présentation huit premières œuvres et de 13 films inédits qui seront  montrés Tanger. Avec des profils très diversifiés, la dynamique générationnelle se confirme.
Deux jurys, pour le long présidé par M. Abdellah Saaf et pour le court présidé par M. Abdou Achouba,  départageront les films en compétition abritée cette année par la salle Rif, devenue le siège e la cinémathèque de Tanger. La cérémonie d’ouverture sera marquée  par l’hommage rendu à Mostafa Stitou, ancien secrétaire général du CCM et cheville ouvrière de l’administration du cinéma au Maroc. La deuxième journée verra la tenue d’un important colloque sur Le livre blanc sur le cinéma au Maroc. Document né d’une commande du ministère de la communication. La rencontre de Tanger donnera lieu aux ultimes recommandations pour passer des orientations générales contenues dans le texte à un nouveau départ du cinéma marocain notamment du point de vue de sa superstructure administratif et juridique. Voir notre page spéciale, deux avis autorisés sur les caractéristiques du Livre blanc. Celui de  M. Saaf, président de la commission scientifique qui a élaboré ce document et de M. Saïl, en tant que Directeur du CCM.
 Cinéphilie : passion et aimance
…Et j’ajouterai partage. Le modèle éternel, pour moi,  est illustré par la séquence suivante : les années 40, un après midi de mai, la banlieue parisienne, une 3 CV avance dans la cour des immenses usines Renault ; sur la banquette arrière cinq lourdes bobines de film. Des militants Cgt avancent et aident le conducteur à sortir les bobines. Tout le monde se dirige vers la salle de projection. La séance va commencer ; le film c’est Le jour se lève de Marcel  Carné, l’homme qui vient partager sa passion avec la classe ouvrière,  c’est André Bazin.
Le cinéma a besoin que l’on parle de lui. Aller au cinéma, voire des films, cela ne se comprend pas sans ce désir d’en prolonger l’expérience par la parole, la conversation, l’écriture….
A un niveau modeste, le nôtre, ceux des cinéphiles qui sont issus des ciné-clubs, nous avons pratiqué le partage de cette passion d’une manière inédite, au départ dans un Maroc où la liberté de réunion et d’expression était limitée voire bâillonnée. A cela s’ajoutait les contraintes matérielles et logistiques : l’argent, les moyens de communication non seulement faisaient défaut mais était tout simplement inexistants.  Chaque samedi au soir, nous vivions dans l’angoisse de la réception des bobines pour la projection du lendemain.  Nous faisions le siège de la compagnie des transports et nous guettions tout ce qui pouvait ressembler aux fameux colis de la fédération des ciné-clubs. Sa réception n’était pas d’ailleurs la fin de notre calvaire. Combien de fois nous avions programmé un film français ou italien et nous nous retrouvions  avec un film hongrois sous-titré en allemand…et sans fiche de présentation. Mais on ne renonçait pas. L’engagement était sincère et l’engouement était nourri par une véritable passion.
Les films étaient rares mais les échanges et les discussions animées étaient une véritable école de formation. L’écoute attentive était une sorte de contrat moral qui régissait les rapports au sein de cette communauté. Les maîtres étaient respectés : Sail, Laroui, Feu Guessous (décédé vendredi), feu Blal, feu Khatibi…SI Khatibi à qui j’emprunte le concept de l’aimance pour exprimer la nature des rapports que nous avions avec les films. Une cinéphilie fondée sur l’aimance n’est pas exclusive. Le cinéphile attentif à la pépite rare n’occultait pas le spectateur du samedi soir, fan de la série B ! le film d’auteur point et la comédie populaire sont la richesse du cinéma.
Aujourd’hui la cinéphilie n’est plus ce qu’elle était. A la rareté a succédé l’abondance. L’offre est là, à domicile ou à portée de main. Le marchand de dvd du coin propose l’intégrale Fassbinder ; un autre propose L’homme à la caméra de Vertov à cinq dirhams….Inimaginable pour les gens de ma génération pour qui voir Citizen Kane relevait de l’exploit qui n’arrive qu’une fois dans la vie !
Mais c’est une cinéphile « sauvage »,  boulimique ;  née en dehors et en marge des salles de cinéma. Une cinéphilie qui ne descend de personne ; il n’y a plus de maître…une génération sans père,  sauf peut-être Google !
La boîte noire
A la mémoire  de Si Mohamed Guessouss
La complexité du monde est une donne aujourd’hui avérée au sein de sciences humaines. Edgar Morin, une figure de proue de la pensée contemporaine et qui nous a fait l’honneur de présider le jury d’une précédente édition du FNF est parti de ce constat pour élaborer et théoriser  les concepts de base de son apport majeur La pensée complexe. Une manière de modestie  intellectuelle de reconnaître les dérives de la simplification et du découpage en catégories fermée et isolée. La pensée complexe invite à relier au lieu de séparer, à intégrer dans des processus…
La complexité de la réalité sociale met donc à rude épreuve les schémas établis et interpelle les sciences sociales,  invitées à s’ouvrir sur d’autres champs, sur d’autres voies d’accès au sens. Quand, la sociologie, l’anthropologie, encore plus l’économie…rendent les armes, abdiquant devant des l’impossibilité de décrypter et de systématiser des phénomènes sociaux, intervient une issue de recours, l’interprétation et l’analyse des productions de l’imaginaire : le roman, la poésie, les contes, le dessin…et le cinéma. Lors d’un krash d’avion, moult interrogations viennent nourrir différentes hypothèses. Jusqu’à ce que la boîte noire livre des clés de compréhension. Nous formulons l’hypothèse aujourd’hui que le cinéma marocain est la boîte noire incontournable pour comprendre la société marocaine. Une société traversée de multiples mutations à différents niveaux et qui souffre du déficit d’approches analytiques. Le professeur Rahma Bourquia parle d’une « société sous-analysée ». Peut-être du point de vue des grilles de lecture académique traditionnelle, issue de la sociologie ; celle-ci, chez nous avait pâti des années de plomb et ses départements évacués du cursus universitaire. Le cinéma offre un corpus, riche et diversifié, offrant au regard observateur et attentif, tout un discours sur la société marocaine. Un discours derrière le discours, le dit et le non-dit contribuent à établir un bilan de santé d’une réalité du point de vue de son imaginaire.
Pour comprendre l’Amérique, dans son processus d’évolution historique, il n’y a pas mieux que le western…et le film noir. La configuration du programma narratif, les stéréotypes véhiculés, les figures féminines mises, en scène les lieux et les espaces construits…disent les angoisses, les interrogations qui traversent la société américaines à différents stades.
Lors de cette première décennie des années 2000, le cinéma marocain a produit des films qui ont mis en avant cette articulation entre le cinéma et l’imaginaire d’une époque. Le succès de certains films (Ali Zaoua, Marock, Casanegra, Amours voilées, Zéro…) et les débats de sociétés qu’ils ont générés s’expliquent par la rencontre entre une fiction filmique et les représentations sociales dominantes.
Et ce n’est pas un hasard que certains de ces films puisent dans les codes du film de genre avec ses personnages, ses décors et ses allusions à l’ambiance d’une époque.
Soyons alors attentif à ce que cette nouvelle édition va nous livrer comme éléments d’approches explicites et surtout implicites, du fonctionnement de la société marocaine. Quelqu’un disait : »nous sommes assurés contre les accidents, contre les maladies..Mais nous ne sommes pas assurés contre l’histoire. Et quand, l’histoire s’abat sur nous, il n’y a que le cinéma qui nous dit comment ça se passe ».

Le cinéma post Casanégra
Peut-on proposer une approche du cinéma marocain par taxonomie, c’est-à-dire selon un modèle de classification qui se construit une grille ou des critères de nature thématique ou esthétique ? Des tentatives ont été menées à des époques différentes de son histoire. Je rappelle rapidement la catégorisation proposée par le critique de cinéma tunisien Férid Boughédir à l’aube des années 80 où il avait parlé notamment de quatre principaux courants, commercial, politique, sociologique et intellectuel. A la même époque, Nour-Eddine Sail avait formulé les bases théoriques qui permettraient de relever des tendances ou des courants d’un cinéma sur la base de la dichotomie rupture singulière (grosso modo, cinéma d’auteur) ou reproduction des schémas dominants (ou cinéma commercial selon la terminologie de l’époque). Feu Mohamed Dahane avait repris la classification de Boughédir pour l’affiner et l’enrichir…
En effet, un cinéma n’existe pas seulement par les chiffres de production et les statistiques du box office. Un cinéma, c’est aussi le discours qui l’escorte ; les débats qui l’accompagnent. A ce niveau, on peut dire que la première décennie des années 2000 a vu la véritable naissance du cinéma marocain comme phénomène social et comme produit de discours. Evolution née du fait  même que ce cinéma est désormais un corpus concret et non un concept. C’est-à-dire un nombre de films suffisamment consistant pour « oser » en toute légitimité des hypothèses de classification pertinentes ou du moins plausibles. Je dirai alors que le tournant des années 2000 est celui de l’entrée de notre cinéma dans la nouvelle modernité. La grammaire des films, le style et les images autorisent à penser qu’une autre manière d’écrire le cinéma et de le concevoir est entrée en vigueur. Avec des nuances ici et là permettant un courant majeur de plus en plus et dont la figure emblématique est Casanégra. Tout un cinéma venu après, dans une série de courts métrages et dans des séquences ici et là de quelques premiers longs métrages, est traversé de clins d’œil, de citations à une esthétique estampillée film noir : la ville, la nuit, des personnages en perdition et une violence, verbale et physique…
Des approches hâtives avaient réduit Casanégra à sa seule dimension linguistique, à la nature de ses dialogues, aux échanges verbaux entre ses protagonistes… Or, Casanegra confirme tout simplement une vérité attestée par l’analyse filmique d’inspiration sémiologique : le spectateur croit entrer dans la fiction par le signifié, alors qu’en fait il entre par le signifiant. La force d’un film, ce qui fait qu’il séduit, qu’il marche à travers les générations, le temps, et l’espace c’est la force de sa mise en scène. Un signifié fort (un contenu) passe d’abord par un signifiant (la forme) éloquent, inscrit dans une logique qui touche la sensibilité des gens en leur parlant non la langue naturelle mais le langage des signes, des codes du cinéma. Casanegra puise justement dans le background visuel du récepteur, dans sa mémoire cinéphilique et culturelle pour lui proposer un film affichant clairement son appartenance au cinéma en revisitant les codes du genre.

Indices et autres signes…
Le festival est pratiquement à mi-parcours. En politique, on parle de bilan d’étape entre une échéance et une autre.  A ce propos et à ce niveau de son évolution, le FNF a accumulé des données, des indices multiples propices à une lecture…d’étape ; il peut déjà présenter un bulletin éloquent. Des chiffres bien sûr, mais aussi « des lettres » qui écrivent la nouvelle géographie du cinéma marocain. En termes de générations, en termes de mode de production et en expression de l’imaginaire dans sa triple dimension esthétique, culturelle et symbolique.
Les chiffres déjà ; ils sont un indice fondamental. En particulier pour cette édition. On sait que le cinéma marocain a connu ses dernières années, un long travail – qui continue d’ailleurs, voire la journée d’étude consacrée samedi dernier au livre blanc- de réaménagement de sa superstructure juridique et administrative. Les textes fondateurs sont lus à la lumière de nouveaux changements intervenus sur le terrain. Cette mise à niveau est légitimée, entre autres, par le contexte politique issu des élections de novembre 2011. Mais pas seulement, puisque la profession  avait accumulé un certain nombre de doléances qui devraient aboutir à une réécriture des textes de bases. Comme ce fut le cas avec la taxe sur l’exploitation cinématographique. Cela a un coût. L’administration a besoin de temps et pour le cinéma, le temps c’est de l’argent. Des retards énormes ont été enregistrés, la production a vu son rythme diminuer…et les sceptiques commençaient à douter de la possibilité même de voir l’édition 15 du festival national pouvoir réunir un nombre de films suffisants. Et bien la réponse est sur les écrans avec un rythme de six films par jour, trois longs métrages et autant de courts. Un indice que le système a acquis un certain niveau de rodage qui lui permet de supporter les secousses qui peuvent émailler son parcours. Une indication aussi que si l’avance sur recettes demeure le moteur essentiel qui porte la production cinématographique nationale, notamment pour les projets avant production, cette édition nous permet de relever l’émergence de nouveaux modes de production en marge du circuit classique de l’avance sur recettes. L’émergence en termes économiques et professionnelles avec l’implication de sociétés de production et surtout l’arrivée d’une nouvelle génération de producteurs, véritables managers nourris de la culture d’entreprise. Mais la principale conséquence réside dans la signification de ce mode de production dans sa dimension esthétique structurante du mode de production filmique. Un film comme C’est eux les chiens de Hicham Lasri instaure un mode de production à lire dans le sens quasi-marxiste du concept, à savoir que les rapports de production induisent, déterminent ( ?) des rapports de signification narratifs, esthétique et symbolique. Le film de Lasri est un manifeste qui annonce, un tournant ; une date. Il est accompagné d’ailleurs de nombreux petits frères comme l’énigmatique Solei-man. Un Ovni de Mohamed Elbadaoui qui a signé une véritable lettre d’amour à son Rif natal ;  et qui dans son écriture visuelle surfe sur le thème de la tragédie, le magnifique plan des deux cadavres offerts à la mer-mère ! Tourné  avec les moyens de bord, c'est-à-dire que le film est quasiment une auto-production. La caméra stylo dont rêvait Alexandre  Astruc est là parmi nous.
Rhétoriques de comédiens
Elles sont belles, ils sont beaux ; ils sont parmi nous, leur quotidien est le nôtre ; font le marché ; ont de la famille ; souffrent, aiment, tombent malades…et meurent. Mais leur mort est suspendue, n’est jamais définitive. Car ce sont des étoiles qui illuminent le noir de nos nuits sans rêves…et quand une étoile disparait, sa lumière se perpétue…dans l’infini ! Qu’est-ce qu’ils ont de plus que nous ?
Ils ont le don de soi…ils se donnent corps et âme, à leur passion.
Eux ce sont les comédiens. Stars ou simples figurants, ils donnent au cinéma une dimension qui relève de la mythologie. Voir les Stars d’Edgar Morin. Car le phénomène est universel et l’effet-comédien transcende les frontières géographiques et politiques pour en redessiner de nouvelles. Quand une star indienne arrive à Marrakech, la communion est tout simplement humaine, mythique.
Le festival national du film est nourri à son niveau de cette dimension. « chkoun li ja had l3am ? », qui et venu cette année ? c’est la première interpellation qui t’accueille à ton arrivée à Tanger pour le festival. Comprendre par là, quels sont les acteurs qui vont animer ses soirées hivernales et offrir au public non professionnel sa raison d’être au cinéma. Et les comédiens le lui rendent bien.
Le festival offre cependant, au-delà de cette dimension, une occasion de voir où en est l’état des lieux de « l’interprétation » marocaine. Et cette édition ne manque pas d’indices sur une mutation qui se met en place.
D’abord de nature sociologique. La carte géographique de base des comédiens s’élargit. Le cercle étroit de Rabat-Casa vole en éclat au bénéfice de l’irruption de nouveaux centres de visibilité  d’une nouvelle génération de comédiens. Nador, avec Adios Carmen, Agadir avec Tawnza, Laayoun avec Aria Delma…se révèlent comme de véritables viviers de comédiennes et de comédiens pétris de talent. Déjà Tanger avec ses figures historiques avaient donné le ton et ouvert la voie avec les films de Smihi et de Ferhati…accompagnant l’évolution du cinéma marocain ; le film Requiem tangérois est un bel hommage à Larbi Alyaakoubi, le père fondateur. Mais c’est la première fois que nous assistons à un véritable phénomène de masse. Les jeunes filles de tawnza Toufla, Titrit…sont éblouissantes de beauté et de retenue. De l’autre côté du pays de Tamazgha, les enfants de Adios Carmen et l’oncle…ont marqué fortement le public du Rif. Certes, il y a encore du travail à mener, il y a encore de la naïveté…mais comme dirait un fin observateur du cinéma marocain, ce n’est pas de la naïveté « jouée » car il y a de beaucoup de sincérité.
L’autre donné qui se dégage de la lecture de ce tableau, est la générosité. Nous avons caractérisé les comédiens par cette capacité à faire don de soi. Nous le constatons avec l’investissement de nos stars confirmées dans le court métrage par exemple. Parfois à leur risque et péril…Ils le font sans calcul du point de vue du plan de l’image. Cette générosité est souvent récompensée avec des réussites comme la prestation des Frères à l’écran Choubi et Khii. Ce fut un grand moment du festival. Merci…nous vous aimons !

Roman familial et interrogations identitaires
Le roman familial semble être le principal maître d’ouvrage du scénario marocain de cette édition 2014. Les relations verticales (enfant/père-mère) interfèrent sur les relations horizontales (au sein du couple ; frères entre eux ; amants désabusés). Certes, Freud n’est pas marocain mais son fameux concept de roman familial peut aider à comprendre ou du moins à trouver des entrées pour approcher le retour de certaines formes de conflits à un niveau micro-cosmique, celui de la famille. La question de la filiation, doublée de questionnement identitaire, est  récurrente dans de nombreux films présentés cette année à Tanger. La figure du père, absent, dominateur  ou malmené…nourrit plusieurs drames dont certains confinent à la tragédie (Solei-man par exemple).
Une scène du film C’est eux les chiens, me semble synthétiser ce premier niveau d’approche. Je l’intitule le retour d’Ulysse. Celle de l’arrivée du père absent et qui retrouve sa famille après une errance. Sa rencontre avec son fils ainé qui ne le reconnaît plus est symbolique de ce déphasage identitaire. « Tu n’es pas mon père ; voici mon père (en fait son beau-père) celui qui m’a élevé ; qui m’a aidé à grandir ». C’est Hakim qui s’adresse à « 404 » ; son père biologique, sorti en juin 1981, lui acheter un accessoire pour son vélo et des fleurs pour sa mère, ne reviendra plus. Non pas par choix, mais l’irruption de la grande histoire dans sa petite histoire familiale. Enlevé lors des événements sanglants qui ont accompagné la grève générale du 20 juin 1981. Il fera partie pendant longtemps du lot des disparus anonymes. Il reviendra au monde en plein mouvement du 20 février 2011, mais avec une seule obsession, retrouver ses enfants. Il poussera cette obsession jusqu’à aller acheter un stabilisateur des roues du vélo pour enfant…un peu pour justifier cette longue absence. En vain, car le garçon d’hier est devenu un champion cycliste et ne lui accordera aucune chance de réhabilitation.
Dans Saga, l’histoire des hommes qui ne reviennent jamais, le récit s’ouvre sur la mort. Un homme solitaire meurt dans le froid glacial…parce que, on lui a refusé une issue. C’est un père. Mais le père de qui ? Qui est qui ? est finalement l’interrogation qui clôt l’itinéraire de cette saga qui commence à la montagne et se clôt dans un lieu frontière, un entre-deux pour mieux accentuer et souligner l’ambigüité identitaire.
Dans Délivrance et Les Frères, le présent des personnages est marqué par l’omniprésence du passé illustré par des parents  agonisants, le père pour le premier, la mère pour le second. Un blocage s’installe et l’horizon est obstrué. Dans Tawanza, la sortie de l’enfermement, incarné par la mère dominatrice, ne se réalise que dans la rupture avec le risque de voir la malédiction qui a frappé les uns, se reproduire avec les suivants.
Fièvres concentre cette dualité de l’affrontement vertical par l’arrivée de l’enfant qui bouscule les schémas hypocrites et provoque un bouleversement salvateur dont le coût est élevé.
Le cinéma marocain est-il en passe de s’inventer un genre ; celui du récit de filiation. Symptôme de l’époque qui dit métaphoriquement que l’arrivée d’une génération nouvelle de cinéastes, d’une esthétique nouvelle, ne peut s’opérer sans assumer l’héritage du passé.
Plans rapprochés
Ce qui restera de Tanger ! Oui, il y aura le palmarès qui donnera des repères institutionnels de l’édition 2014 ; il y a les rencontres, l’ambiance du festival ;  l’atmosphère dans la ville…Et il y aura surtout des images. Celles qui visiteront longtemps le champ visuel du cinéphile. Gravées dans le disque dur de sa mémoire. Le cinéma est un pays supplémentaire, disait l’autre, où nous sommes accompagnés d’ombre et de lumière dans un nouveau montage des images les plus marquantes.
Je cite de mémoire, pêle-mêle, du plus proche au plus lointain. Le plan de Jihane Kamal, filmée de dos à la Dryer ; cheveux rasés, la tête légèrement penchée à gauche dans une lumière proche du noir et blanc. Jeanne- d’Arc, comme figure universelle de la victime sacrificielle. La dimension épique du film est déjà là, en filigrane.
Dans Veau d’or ; l’Atlas marocain filmé comme l’ouest américain ; la note de guitare à La Ry Cooder qui revisite le Rif à la lumière du cinéma de Ford et Wenders. Puis ce magnifique plan de l’arrivée de Majd et Abdou Mesnaoui au souk. Un double mouvement d’appareil pour recadrer les personnages dans l’espace digne du Sergio Leone de Il était une fois dans l’ouest. Lagzouli est unique dans son approche de l’espace des origines renforcée par des choix musicaux typiques…le petit peuple filmé avec dignité. Le cinéma réhabilité.
D’un plan, l’autre. Le plan rapproché sur le visage Amal Elatrach alias Rquia dans le court métrage Leur nuit. Cadré à partir de la vitre de la voiture, du point de vue du conducteur. Le visage sombre, porteur d’une tristesse originelle, s’illumine brièvement suite à un échange romantique avec le propriétaire de la voiture. La grâce est là, il suffit d’un geste, d’un mot gentil…pour que le visage la mette en scène. La force du comédien est de la ressortir ; celle du cinéaste est de la capter comme une lueur éphémère…dans la nuit de l’hiver.
Court métrage toujours. Qanis de Reda Mustapha ; le père abandonné, est ravi de retrouver sa fille devenue photographe professionnelle, revenue tenter une recomposition d’une famille éclatée. Comment va-t-il exprimer sa joie intérieure qu’il est incapable de verbaliser ? C’est le rôle de la mise en scène de le prendre en charge, en images. D’abord des petits gestes, une attente. Comme par exemple quand il lui prend la valise, non sans fierté. Et puis ce geste sublime quand il lui prend le parapluie, pour lui permettre de prendre des photos sous la pluie. Impossible d’être père et de ne pas avoir la larme à l’œil. D’ailleurs, la jeune fille s’en rend compte implicitement, touchée par l’émotion qui enveloppe ce moment. Elle retourne alors l’objectif de la caméra vers son père pour le prendre en photo. Scellant définitivement les retrouvailles.
Les plans silencieux de Hassan Badida dans C’est eux les chiens. Après une absence/disparition ; après une errance dans la ville, il retrouve enfin, la maison de ce qu’il pense être encore sa famille. Il hésite. Comment dire cela d’une manière cinématographique ? On bloque le dispositif, initial, celui du reportage télé et son « bruit » ; la caméra adopte une posture pudique ; multipliant les angles d’approche et les distances vis-vis du personnage comme pour signifier la confusion intérieure…


Aucun commentaire:

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...