vendredi 28 novembre 2014

Avance sur recettes Maroc

Commission !
La commission de l’avance sur recettes vient de rendre public les résultats de ses délibérations. Elle signe en même temps l’ultime session de son mandat. Un mandat exceptionnel puisqu’il a été prolongé d’une année au-delà de la durée statutaire.  La commission a siégé en effet pendant trois ans alors que les textes stipulent une durée de deux ans. Une mesure d’exception qui relève des prérogatives du ministre de la communication qui est l’instance de tutelle. Un précédent a été vécu avec le prolongement de la présidence de M. Laabi et non pas de l’ensemble des membres de la commission.
Quel bilan donc peut-on tirer de la première expérience de la commission d’avance sur recettes sous la nouvelle ère ? C’est en effet la première commission nommée sous un gouvernement dirigé par une majorité islamiste issue du scrutin de 2011. Le hasard a voulu que l’ancienne commission, nommée par M. Khalid Naciri,   son mandat se termine avec l’arrivée du nouveau gouvernement.  C’est la première caractéristique qui va marquer les travaux  de la commission qui sera nommée avec beaucoup de retard (le temps que le nouveau gouvernement s’installe !) ; elle n’avait entamé ses travaux qu’au printemps 2012. Des travaux qui seront également secoués par le décès de son premier président, l’économiste de gauche, Feu le professeur Driss Benali. Son successeur, Abdelkrim Berrechid a fait sa réputation en tant que dramaturge. La composition de la commission a été remodelée pour inclure un membre issu des provinces du sud. Son texte a été également revu en introduisant notamment la pratique des audiences des porteurs de projets : chaque société de production postulant à l’avance sur recette délègue des représentants qui viennent soutenir un oral devant les membres de la commission. La pratique montrera très vite la vacuité de ses complications procédurales.
A l’heure du bilan, nous dirons d’emblée que cette commission ne figurera pas au hitparade de l’histoire de l’aide publique au cinéma. Son action a été marquée par des hésitations, un manque flagrant d’expérience et une absence de cohérence. Un discours d’escorte maladroit et  démagogique a accompagné son installation.  D’emblée certains de ses membres se sont livrés à des déclarations en déphasage avec la nature de la commission et en contradiction avec ses textes fondateurs. Certains ont proclamé que la commission « n’est pas un guichet de bienfaisance » ; d’autres ont appelé à « défende un  cinéma qui participe à la promotion de l’image du Maroc » ; d’autres encore ont affirmé que la commission « doit privilégier les nouveaux et jeunes projets ». Des déclarations d’intention qui vont très vite être « corrigées » par la réalité du fonctionnement de la commission mais qui ont semé pendant un laps de temps des questionnements angoissants au sein de la profession.  

Le fait que le mandat de la commission soit prolongé d’une année est un indicateur de malaise. Il sera encore d’actualité aujourd’hui à l’heure où le ministre est attendu pour trancher dans la nomination au plus vite de la nouvelle commission.  Choisir les membres qui la composent n’est pas un exercice aisé d’autant plus qu’il s’agit d’un dosage qui prend en compte « l’esprit du temps » : comment et où trouver un casting qui réponde aux critères explicites et surtout implicites qui entrent dans le choix des membres.  A l’occasion des fameuses assises et du non moins fameux livre blanc nous avons préconisé une autre approche concernant les modalités de fonctionnement de la commission et surtout sur la base d’un choix stratégique, à savoir le désengagement du ministère de la communication de l’ensemble de la procédure ; que la vie du cinéma ne dépende plus de l’agenda politique. 

vendredi 21 novembre 2014

Adios Carmen: quelle version dans les salles?

Assaru Amazigh
Asaru amaziv
Faut-il traduire le titre, écrit en amazigh, de cette chronique ? En principe non. Conformément à la Constitution 2011, la langue amazighe est la langue des marocains.  Tout marocain est supposé aujourd’hui pratiquer les langues nationales du pays ; ce n’est pas une obligation mais c’est une richesse en plus. Le débat aujourd’hui arrive au cinéma. Lors de l’ouverture de la séquence cinéma de l’événement Le Maroc contemporain abrité par l’Institut du monde arabe de Paris, j’ai eu l’occasion d’en débattre avec le cinéaste Mohamed Amin Benamraoui dont le joli film Adios Carmen était au programme de la soirée ; le film qui a eu un accueil très chaleureux  de la part du nombreux public de la grande salle de l’IMA, est comme on le sait, un film amazigh. Les dialogues étant principalement en rifain. Lors de cet échange avec le jeune cinéaste, tout heureux de m’apprendre que son film venait d’obtenir le grand prix du festival de Dakhla où il a « battu » une nouvelle fois le film palestinien, Omar, nous avons abordé la question de la sortie du film sur les écrans du Royaume. Il est temps en effet. Après ses différents succès dans différents festivals, locaux et internationaux, le film devrait être prêt à affronter la logique commerciale, celle du guichet. La question ne devrait pas tarder à trouver une issue, le film a trouvé un distributeur enthousiaste mais il y a un débat : faut-il le sortir en VO ou en version doublé en parler marocain ?
La distributrice, anime d’un souci commercial légitime, plaide pour une sortie en version doublée en arabe marocain alors que le cinéaste, lui, a le souci de la dimension culturelle du film : le parler des gens est partie prenante de leur vécu que le film restitue. Magnifique débat qui nous change des querelles stupides sur la qualité, la quantité, l’art propre…la dynamique du cinéma finit par  soulever des questions concrètes et par rencontrer les grandes questions du paysage culturel dont l’une des expressions est le marché linguistique.   Les enjeux en effet sont multiples : commerciaux – tout film rêve du plus grand succès possible – mais aussi artistiques, culturels, c’est-à-dire politiques. « Un film c’est aussi quelque part un engagement, une prise de position, me dit Benamraoui. C’est vrai mon métier c’est le cinéma ; et mon souci premier est de réussir mes films mais le film c’est aussi un acte pour témoigner sur une culture, en l’occurrence la mienne ; la culture amazighe qui a justement souffert pendant longtemps de sa marginalisation dans l’espace public et dans les formes artistiques modernes ».

Le cinéaste amazigh ne rejette pas complètement l’argument commercial de la distributrice mais il cherche à l’inscrire dans sa logique à lui, celle d’un auteur conséquent avec ses choix fondamentaux « si le film dans sa version originale fait dans les 20 000 spectateurs, j’en serai déjà ravi ». Ce serait en effet une première. Le doublage c’est la solution facile ; de toutes les manières Adios Carmern met le cinéma marocain face à sa propre réalité ; ce qui devrait inciter les différents intervenants dans le secteur à élargir leur perception de la chose cinématographique, à inscrire la diversité et la variété du cinéma dans leur projet. La question de la Vo des films y compris des films marocains se pose désormais en de nouveaux termes. 

samedi 1 novembre 2014

Gone girl de David Fincher à Casablanca

Dans la tête d’une femme

Les cinéphiles  sont  les premiers touchés par la crise des salles de cinéma et le caractère très formaté de la distribution…ces dernières semaines de fut pratiquement la disette ! Alors quand il y a un film qui se démarque de la tendance dominante, ils jubilent. A l’instar de l’arrivée enfin du nouveau film de David Fincher, Gone Girl, à l’affiche sur les écrans marocains dans sa version française. La VO n’étant programmée qu’une seule séance le lendemain de sa sortie. Dommage. Nous y reviendrons.
Une sortie qui est donc un événement dans un paysage inerte. David Fincher fait partie en effet des cinéastes qui réunissent autour d’eux des admirateurs si ce n’est des adeptes. Il a forgé au fur et à mesure de sa filmographie, une démarche et un rapport au cinéma qui ont très tôt séduit par la cohérence du propos, l’originalité de l’approche esthétique et la création d’un univers aux signes et aux motifs récurrents ; avec des personnages vaincus car emportés dans un élan qu’ils finissent par ne plus contrôler. Il est venu lui-même au cinéma par la voie royale de la cinéphile ayant commencé très jeune à bricoler des films sur la trace des cinéastes du « nouvel Hollywood » notamment son maître, son modèle Georges Lucas. C’est dire qu’il fut d’abord  un fan des effets spéciaux intégrant le laboratoire que Lucas avait construit dans ce sens. Doué en la matière, on fit appel à Fincher à l’âge de 29 ans pour réaliser le troisième opus de la saga Alien. Il fit ses armes à la bonne école avant de passer à créer un univers propre où nous retrouvons certaines caractéristiques ; celles par exemple de recourir à l’adaptation de romans célèbres ou d’établir un vrai partenariat stratégique avec des comédiens confirmés à l’instar de Brad Pitt qu’il dirigea dans trois films. Les adeptes de Fincher première mouture sont partagés entre la tendance « Fight club » et la tendance « Seven » ; deux films majeurs d’une filmographie qui va encore proposer d’autres films (je cite notamment L’étrange histoire de Benjamin Button et the social network), autant de  variations dans le style tout en restant fidèle à un univers nourri de faux semblants et de simulacres.
Son nouveau film, Gone girl est une adaptation du roman « Apparences » véritable best seller de Gillian Flyn que nous retrouvons dans le scénario. Comment passer d’un livre de plus de 400 pages à un film de 2H 29 ? L’équation semble bien fonctionner et le film tenir son spectateur en haleine par la force de sa structure, la gestion de sa progression dramatique illustrée par une organisation en blocs narratifs jouant sur le temps et l’espace via la figure centrale du montage. Tout démarre par une question énigme : le jour du cinquième anniversaire son mariage Nick (Ben Affleck) s’interroge sur ce qui se passe vraiment dans la tête de sa femme, Amy (Rosamund Pike). C’est le beau plan de la tête de la femme qui ouvre le film ; le même plan que nous retrouvons à la fin avec la même interrogation. Entre temps, le récit nous aura transportés dans un voyage hallucinant au sein d’un couple américain d’aujourd’hui, bon chic bon genre…et pourtant. Cela va se révéler une véritable autopsie, et Fincher n’hésitera pas à disséquer. Autopsie d’un microcosme social, le couple qui ne manque pas de renvoyer à l’état d’une société. Le lien est tout à fait légitime quand on voit le rôle du masque social que doivent revêtir les protagonistes pour rester en concordance avec leur environnement, sous le contrôle des médias, omniprésents. Une lecture politique de ce qui se présente comme un banal thriller est rendue encore plus plausible par le choix de la date du jour de la disparition de la femme ; un 5 juillet, le lendemain du D day américain. En s’interrogeant sur les impasses du vivre ensemble réduit à un simulacre au sein du couple, Fincher et sa scénariste nous invitent à réfléchir sur le lien social à l’échelle d’une nation, ramené à des manipulations médiatiques au prix d’un mensonge. Le couple comme figure métonymique d’une Nation.
Le film est construit autour d’une fausse disparition. Pour se venger de son mari qu’elle a surpris un soir dans les bras d’une jeune fille, Amy va concocter un plan diabolique où sa disparition va être perçue comme un meurtre suffisant à renvoyer son mari à la chaise électrique (le récit se passe dans le Missouri où la peine capitale est encore pratiquée). Ce schéma va se compliquer, son mari ayant relevé l’astuce. La femme va alors opérer une volte-face hallucinante où elle met en scène son retour, se présentant comme victime d’un kidnapping de la part d’un ancien amant que le film présente dans l’une de ses séquences les plus fortes (sublime interprétation de Rosamund Pike).

La construction du récit puise dans les techniques les plus affinées de la dramaturgie avec une progression en cinq actes dont la gestion temporelle mobilise toute l’attention du spectateur. La narration est menée à partir de plusieurs points de vue : celui de l’épouse au passé, celui du mari au présent avec l’intersection des deux récits dans la séquence ultime de la reconstitution du couple sur la base du mensonge. Le tissu narratif est truffé d’indices et de signes à décrypter sans cesse, et dans ce sens le film fonctionne sur le plan du rythme, dans sa première partie comme Zodiac et dans sa deuxième partie, quand il verse dans l’horreur, comme Seven. De quoi faire redoubler le plaisir de l’œil cinéphile.

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...