mardi 22 avril 2014

le sac de Farine de Kadija Leclere

Identité entre deux rives

Un nouveau film marocain est à l’affiche ; il dit à sa manière la diversité d’un cinéma aux ressources multiples. Le sac de farine de Khadija Leclere est une production maroco-belge ; en fait il est belge et marocain comme la cinéaste qui l’a réalisé : « je suis d’ici et de là-bas, dit-elle, et je refuse de trancher, c’est compliqué certes mais c’est ma richesse ». Khadija Leclere a décidé d’ailleurs d’en faire une source d’inspiration, cette identité éclatée signe l’identité de ses films portés par une errance, une quête pas encore assouvie. Les cinéphiles marocains l’on découvert à travers ses deux premiers courts métrages Sarah et Pelote de laine. Sarah est le récit d’un retour inachevé ; une jeune femme débarque à Tanger pour un rendez-vous avec une mère ; celle-ci est malade et la rencontre est un écher mais le film est un joli succès avec notamment une très belle scène d’ouverture qui aborde Tanger de la mer comme un horizon d’espoir. Il peut être revu a posteriori comme le synopsis en filigrane de ce qui sera le scénario du premier long métrage Le sac de farine ; celui-ci fonctionne beaucoup sur le registre de l’intertextualité : la référence au court métrage se fera par le prénom de Sarah des deux personnages ; en fait le même rôle dramatique celui d’une enfant arrachée à son environnement et qui tente de se reconstituer une vie comme un puzzle avec des fragments issus d’une déchirure originelle.
Le sac de farine s’ouvre sous le signe de la confession ; une fillette dà peine 8 ans tente de dévoiler quelque chose au prêtre ; celui-ci gentil mais apparemment agacé car Sarah transforme ce rite en jeu enfantin ; elle vient tout le temps raconter des scènes ; cela relève de la fabulation ; mais le dispositif scénique est révélateur : Sarah est porteuse d’un récit, d’une fable tragique qui ne tardera pas à se déclencher et que le confessionnal ne peut accueillir. Trop étroit. Seul l’écran du cinéma peut l’abriter et l’exprimer. Sarah est donc envoyée en classe chez les sœurs ; pas pour longtemps, elle est convoquée au bureau où l’attend quelqu’un qui se présente comme son père. Elle vient l’inviter à passer un week-end à Paris. En fait, on vient d’assister à un kidnapping. Le père enlève sa fille pour l’emmener au Maroc où d’après lui, elle recevra la bonne éducation parmi les siens. Choc de culture, drame de l’histoire dont les conséquences sont subies par les enfants. La scène de la séparation avec le milieu où elle fait son apprentissage donne lieu à une très belle prestation de la jeune Rania Mellouli dans le rôle de Sarah/enfant.
Une belle scène visuelle de transition et la jeune Sarah se réveille dans un village perdu du Maroc profond. L’approche esthétique change ; au style sobre et retenu de l’ouverture succède une mise en scène ample, tantôt épique, tantôt mélodramatique. Les couleurs, l’échelle des plans sont convoquées pour accompagner-annoncer la montée de la tension dramatique. Le récit est marqué par la petite histoire de Sarah qui ne tarde pas à rencontrer la grande histoire avec les événements liées aux émeutes de l’hiver 1984. Les tricots tissés par Sarah et ses amies virent au rouge ; à un certain moment on les voit flotter aux devantures des boutiques comme les fanions d’une révolte dont l’essentiel nous est rendu via la radio…Mais une autre révolte, passive et taciturne, se prépare ailleurs : Sarah n’a qu’un seul rêve retrouver son pays d’adoption. Des tentatives,  avortées,  de mariage ne réussiront pas à la retenir ; un amour éphémère non plus !
Le choix de la comédienne fétiche de Abdel Kechiche, Hafsia Herzi, accentue cette impression de décalage, une sorte d’E.T circule en permanence dans les dédales de ce village qui renvoient à la complexité de la construction identitaire et dessinent en filigrane, comme les mailles d’un filage de laine, l’issue fatale d’une altérité imposée.
Mohammed Bakrim


Aucun commentaire:

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...