Identité entre deux
rives
Un nouveau film marocain est à
l’affiche ; il dit à sa manière la diversité d’un cinéma aux ressources
multiples. Le sac de farine de Khadija Leclere est une production
maroco-belge ; en fait il est belge et marocain comme la cinéaste qui l’a
réalisé : « je suis d’ici et de là-bas, dit-elle, et je refuse
de trancher, c’est compliqué certes mais c’est ma richesse ». Khadija Leclere
a décidé d’ailleurs d’en faire une source d’inspiration, cette identité éclatée
signe l’identité de ses films portés par une errance, une quête pas encore
assouvie. Les cinéphiles marocains l’on découvert à travers ses deux premiers
courts métrages Sarah et Pelote de laine. Sarah est le récit d’un retour
inachevé ; une jeune femme débarque à Tanger pour un rendez-vous avec une
mère ; celle-ci est malade et la rencontre est un écher mais le film est
un joli succès avec notamment une très belle scène d’ouverture qui aborde
Tanger de la mer comme un horizon d’espoir. Il peut être revu a posteriori
comme le synopsis en filigrane de ce qui sera le scénario du premier long
métrage Le sac de farine ; celui-ci fonctionne beaucoup sur le registre de
l’intertextualité : la référence au court métrage se fera par le prénom de
Sarah des deux personnages ; en fait le même rôle dramatique celui d’une
enfant arrachée à son environnement et qui tente de se reconstituer une vie
comme un puzzle avec des fragments issus d’une déchirure originelle.
Le sac de farine s’ouvre sous le
signe de la confession ; une fillette dà peine 8 ans tente de dévoiler
quelque chose au prêtre ; celui-ci gentil mais apparemment agacé car Sarah
transforme ce rite en jeu enfantin ; elle vient tout le temps raconter des
scènes ; cela relève de la fabulation ; mais le dispositif scénique
est révélateur : Sarah est porteuse d’un récit, d’une fable tragique qui
ne tardera pas à se déclencher et que le confessionnal ne peut accueillir. Trop
étroit. Seul l’écran du cinéma peut l’abriter et l’exprimer. Sarah est donc
envoyée en classe chez les sœurs ; pas pour longtemps, elle est convoquée
au bureau où l’attend quelqu’un qui se présente comme son père. Elle vient
l’inviter à passer un week-end à Paris. En fait, on vient d’assister à un
kidnapping. Le père enlève sa fille pour l’emmener au Maroc où d’après lui,
elle recevra la bonne éducation parmi les siens. Choc de culture, drame de
l’histoire dont les conséquences sont subies par les enfants. La scène de la
séparation avec le milieu où elle fait son apprentissage donne lieu à une très
belle prestation de la jeune Rania Mellouli dans le rôle de Sarah/enfant.
Une belle scène visuelle de
transition et la jeune Sarah se réveille dans un village perdu du Maroc
profond. L’approche esthétique change ; au style sobre et retenu de
l’ouverture succède une mise en scène ample, tantôt épique, tantôt
mélodramatique. Les couleurs, l’échelle des plans sont convoquées pour
accompagner-annoncer la montée de la tension dramatique. Le récit est marqué
par la petite histoire de Sarah qui ne tarde pas à rencontrer la grande
histoire avec les événements liées aux émeutes de l’hiver 1984. Les tricots
tissés par Sarah et ses amies virent au rouge ; à un certain moment on les
voit flotter aux devantures des boutiques comme les fanions d’une révolte dont
l’essentiel nous est rendu via la radio…Mais une autre révolte, passive et
taciturne, se prépare ailleurs : Sarah n’a qu’un seul rêve retrouver son
pays d’adoption. Des tentatives,
avortées, de mariage ne réussiront
pas à la retenir ; un amour éphémère non plus !
Le choix de la comédienne fétiche
de Abdel Kechiche, Hafsia Herzi, accentue cette impression de décalage, une
sorte d’E.T circule en permanence dans les dédales de ce village qui renvoient
à la complexité de la construction identitaire et dessinent en filigrane, comme
les mailles d’un filage de laine, l’issue fatale d’une altérité imposée.
Mohammed Bakrim
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