lundi 29 décembre 2008

casanegra de nourdine lakhmari

Dramaturgie urbaine

Casanegra est le deuxième long métrage de Noureddine Lakhmari. Originaire de Safi, la ville, entre autres, de Osfour et de Reggab, il fait partie de la génération des cinéastes de la diaspora, il vit en partie au Norvège, qui ont fait une entrée remarquée au sein du paysage cinématographique local à l'occasion du festival national du film à Tanger en 1995 qui avait officialisé l'ouverture sur les jeunes cinéastes marocains issus de l'émigration. Lakhmari y avait fait sensation notamment avec son film Brèves notes, primé à Tanger…Impressions confirmées avec Dans les griffes de la nuit, et surtout avec Le livreur de journaux. Des courts métrages qui avaient placé la barre très haut et avait posé sur leur auteur une pression, surtout de la part de certains médias enthousiastes dans l'attente de ses films suivants. Le Dernier spectacle, court métrage tourné au Maroc était une sorte de préparation de retour au bercail et de la découverte du système de production marocain. Un long métrage suivra, Le regard (2004). Film qui a déçu par rapport à l'énorme horizon d'attente instauré avec les courts mais qui néanmoins s'inscrivait en toute logique dans le débat entamé par de nombreux films marocains sur la question de la mémoire. Thématique abordée ici dans une perspective de rapport à l'autre: notre histoire étant constitutive aussi de sa mémoire; la reconstitution de celle-ci étant une entreprise partagée y compris dans la douleur du souvenir. Mais le film ne correspondait pas encore aux attentes de nombreux spectateurs séduits par les premiers courts.
Tout semble indiquer qu'avec Casanegra c'est chose faite. Lakhmari a déjà réussi ce premier pari, celui de se réconcilier avec le club de ses fans des années 90. Ils ont retrouvé dans ce deuxième long métrage un rythme, une fougue, un désir de cinéma qui rappellent Brèves notes et le livreur de journaux. Casanegra peut en effet être abordé d'abord dans cette perspective, celle de l'évolution d'une carrière en regard avec l'accumulation intervenue, entre temps, dans le champ cinématographique marocain. Et à ce titre, le film est un indicateur éloquent. A l'image de la réception médiatique des premiers courts, le film a généré une sorte d'inflation discursive illustrée par les prix de la presse et de la critique à Tanger; par l'enthousiasme accompagnant la soirée de l'avant première à Casablanca où pas moins de trois salles ont été mobilisées pour une soirée de lancement; par un discours d'escorte dont la figure emblématique pourrait être l'intervention du directeur d'un magazine hebdomadaire parlant, à propos de Casanegra, carrément d'un "tournant" dans le parcours du cinéma marocain; même si l'idée du tournant est toujours à double sens…c'est pour dire que le film crée déjà un débat. Et il est utile de lui offrir des références théoriques. Car au sein de cette cacophonie médiatique, des aberrations sont souvent véhiculées au détriment de la nature réelle du film.
Le film s'ouvre déjà par un titre programme: casanegra. Dans l'imaginaire collectif marocain, il renvoie à l'image de Casablanca, la ville des villes, celle qui a longtemps cristallisé tous les rêves et toutes les illusions. Ville moderne, elle a assuré pendant longtemps une sorte d'ascenseur sociale pour les couches successives d'immigrés de l'intérieur. Au cinéma, Casablanca a joué comme figure d'ancrage de sujet clivé, quittant un milieu hostile et frustrant pour trouver refuge dans ce qui était appelé intimement "l'bouida" (la petite blanche): je rappelle à ce propos que le premier personnage dramatique du premier film officiel marocain, Vaincre pour vivre (1968) quitte son village natal pour réussir dans le domaine de la chanson à Casablanca… Abdelouahed, le héros "réel" de O les jours ne rêve que de Casablanca… une ville-mère/mirage qui se révélera ogresse pour Abika personnage mythique interprété par Habachi dans Les Cendre du clos, arrivant à Casablanca où il se fait subtiliser porte feuille et âme… C'est dans cette suite que peut se lire le scénario de Casanegra… Des jeunes, mais déjà vieux de soucis du film de Lakhmari. La ville n'a plus cette blancheur de l'espoir; elle est devenue casanegra, la maison noire ; elle n'est plus cet horizon vers lequel regarde les ambitieux; elle est cet enfer nocturne que la jeunesse veut déserter pour d'autres cieux qui s'appellent cette fois Malmoe ou le Norvège (clin d'œil du film à la biographie du cinéaste!). Adil et Karim (magnifique trouvaille du casting) sont les protagonistes d'une dramaturgie urbaine. Ils font partie d'un système qui les intègre et les broie. Mais ils résistent à leur manière, par le rêve; le rêve de partir vers un ailleurs…un ailleurs géographique pour Adil ou un ailleurs social et sentimental pour l'élégant Karim. Des personnages conformes au schéma narratif dominant du cinéma marocain qui repose sur le paradigme du sujet clivé, en rupture avec son espace et dont le programme consiste à passer d'une exclusion à une intégration. Casanegra est le récit de cette recherche d'intégration dans l'enfer de la violence urbaine; violence physique et symbolique. En fait Adil et Karim même s'ils évoluent dans des structures (famille, quartier, réseau…), vont se révéler très vite comme des êtres condamnés à la solitude. Car enfin de compte ce sont des romantiques qui s'ignorent ou qui se cachent (l'épisode du cheval renvoyant à celui de la tortue): ce sont des espèces écrasées par le système. D'un point de vue cinéphilique ce sont des enfants du cinéma de Martin Scorsese (Taxi Driver et After hours) et de Michael Mann (Collateral)…des êtres qui n'arrêtent pas de se mouvoir; ce n'est pas un hasard si le film s'ouvre sur leur course désespérée…métaphoriquement c'est une course sisyphienne. Une course forcée les conduisant à l'enfermement, à la claustrophobie. Car on n'échappe pas à la ville, à Casanegra: plus on fuit, plus les pièges urbains se referment sur vous…
Le film pourrait-il pour autant être taxé de "réaliste"; l'affirmer est une aberration théorique. Le film se réclame d'une esthétique aux antipodes du réalisme. C'est une écriture justement qui tente de contourner l'essoufflement du récit réaliste par des emprunts à l'esthétique de la publicité et de la production des images modernes. La ville est filmée comme un faisceau de signes qui mobilisent tous les sens (importance de la bande son), relevant du courant de l'expressionnisme qui fait de la ville non plus un décor mais un actant dynamique avec ses ombres et lumières, ses lignes et ses formes.

palmarès du festival national du film

Ayouch et Mouftakir récompensés
C'est devant une salle comble et enthousiaste que le palmarès de la dixième édition du festival national du film a été proclamé dans la soirée du samedi 20 décembre 2008 à Tanger. C'est Madame Rajae Benchemsi présidente du jury court métrage qui a ouvert la liste des prix décernés par le jury court métrage qu'elle présidait. Le film Paris sur mer de Mounir Abbar a obtenu une mention spéciale du jury , le Prix du scénario est allé à Sellam et Demetan de Amin Benamraoui; ces deux cinéastes appartenant à la diaspora marocaine en Europe. Le Grand prix du court métrage est allé à un habitué des prix nationaux Mohamed Mouftakir pour son court Le Chant funèbre.
L'excellent critique et historien du cinéma égyptien Samir Farid a ensuite dévoilé les Prix de la compétition long métrage avec le Prix de la musique à Belaid Elkkaf, compositeur de renommée internationale, un ancien du groupe amazigh Ousmane. Il a été récompensé pour la musique composée pour le film Tamazirt Oufla de Mohamed Mernich. Le prix du montage est allé à Julien Foure pour le film Kandisha de Jérôme Cohen Olivar; le prix du son à Emanuelle pour le film Casanegra de Nordine Lakhmari; le prix de l'image à Krimou Derkaoui pour le film Itto titrit de Mahmed Abbazi; le prix du second rôle masculin à Mohamed Benbrahim pour son interprétation dans le film Casanegra de N. Lakhmari; le prix du second rôle féminin est allée à Saadia Ladib pour son rôle dans Amours voilées de Aziz Salmi, le prix du premier rôle masculin est allé à Omar Lotfi pour son interprétation dans Casa negra de N. lakhmari; le prix du premier rôle féminin est allé à Houda Sedki pour son rôle titre Kharboucha de Hamid Zoughi ; le prix du scénario est allé à Aziz Salmi pour son film Amours voilées. Le prix de la première œuvre est allé au film Le temps des camarades de M. C. Tribek. Un prix spécial cinquantenaire du cinéma marocain a été crée cette année et c'est Laila Kilani qui l'a obtenu pour son film documentaire Nos lieux interdits; il est de la même valeur que le Prix du jury qui a été décerné à Moumen Smihi pour son film Le cri de jeune fille des hirondelles. Et enfin le Grand prix du festival national du fil est allé à Lola de Nabil Ayouch qui avait reçu u triomphe dans la salle Roxy lors de sa première projection dans le festival.
C'est un palmarès équilibré et intelligent envoyant plusieurs signaux non seulement à la profession cinématographique mais aussi à l'ensemble de la société marocaine dont il le met en exergue la diversité, l'ouverture d'esprit et le dynamisme culturel. Il a été, à un cas ou deux près globalement bien accueilli par le public.

samedi 6 décembre 2008

Peut-on enseigner le cinéma?

peut-on enseigner le cinéma? Une question rhétorique, cela va presque de soi car la réponse n'est jamais univoque n'est dogmatique. Orson Welles, le plus grand cinéaste, le génie du cinéma, Hitchcock…n'ont pas fait d'école de cinéma. D'autres grands cinéastes, Coppola et toute la bande de sa génération qui a donné naissance à ce que l'on appelé le Nouvel Hollywood ont été des lauréats d'université notamment la fameuse UCLA. Pour le cas marocain, la même logique. Les pionniers du cinéma marocain sont des lauréats de la prestigieuse institution parisienne, IDHEC. D'autres sont venus à la réalisation par des chemins multiples qui à partir de la photo, qui encore à partir du théâtre, qui encore de la cinéphile laissant de côté leur métier d'origine (la pharmacie, la douane…) pour embrasser celui du cinéma. Il n'y a pas de carcan académique, heureusement par ailleurs…
Cependant, la question de la formation aux métiers du cinéma revient avec acuité aujourd'hui au Maroc. D'abord parce que le cinéma occupe désormais une place de choix dans l'expression artistique de l'imaginaire collectif de la société marocaine contemporaine. Ce sont les films marocains en effet qui abordent de manière diversifiée plus que les autres formes avérées de la production imaginaire les grands thèmes de société, les grands sujets qui traversent l'espace public. De ce fait, le cinéma est devenu plus qu'un référent culturel, un horizon professionnel pour la jeunesse marocaine. Ensuite, parce que cette demande d'expression pose en des termes nouveaux la question de la formation aux métiers du cinéma. Elle est devenue une question récurrente de toutes les rencontres professionnelles.
Le hasard a voulu en outre que cette question de formation soit abordée dans deux rencontres organisées en marge du festival de Marrakech. D'abord lors du cours inaugural prononcé par M. Nour-Eddine Sail à l'invitation de la faculté des lettres relevant de l'université Cadi Ayad de Marrakech à l'occasion du démarrage du nouveau département, Etudes cinématographiques et audiovisuelles; une nouvelle licence instaurée dans le cadre de la réforme universitaire destinée à former des critiques de cinéma (!), des scénaristes et …des cinéastes. Le sujet a en outre été abordé pratiquement lendemain dans le cadre de la master class animée au sein de l'école des arts visuels, la désormais connue ESAV, par la cinéaste égyptienne Inas Aldaghidi. Ce fut deux moments d'une grande richesse. L'analyse académique et cinéphile de M. Saïl et l'approche professionnelle de Madame Aldaghidi se sont révélées par un heureux hasard d'une grande complémentarité. Elles convergent toutes vers ce constat, on peut enseigner les règles de l'expression cinématographique mais on ne forme pas un réalisateur par un diplôme. Inas Aldaghid a passé dix ans comme premier assistant réalisateur pour confronter ses connaissances théoriques à la réalité du terrain: on a beau avoir dans sa tête une idée du plan qu'on veut filmer encore faut-il savoir pratiquement où placer le chariot, les rails du travelling pour obtenir l'effet escompté. Pour sa part, M. Saïl a invité les jeunes étudiants à puiser dans le patrimoine cinématographique, à se nourrir d'images et d'abord chez les maîtres, ceux qui ont su "transformer le désordre du monde en ordre narratif" : Ford, Bunuel, Fellini, Renoir…les invitant en quelque sorte à se confronter à ce que Nietzsche appelle "l'étrangeté" qui caractérise toute véritable œuvre d'art. La voie royale de tout acte de transmission.

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...