lundi 14 avril 2014

black screen de Nour Eddine Lakhmari



Le jeu de miroir du cinéma marocain
C’est la fée du PAM ! (comprendre le paysage audiovisuel marocain!) ; Nadia Larguet. Elle n’ pas de baguette étoilée mais sa touche suffit à…mettre de la magie dans le réel ; à transformer l’essai pour en faire une performance. Comme, par exemple, faire de ce qui aurait pu être une avant première de plus dans le calendrier, un vrai événement ; peut-être l’un des plus marquants de cette saison.
Elle a fait ses preuves comme animatrice et productrice de télévision, du temps où la télévision faisait dans le sens. Elle a défrayé la chronique quand elle a mis à la Une d’un magazine féminin sa grossesse nue…cette fois on la découvre en vraie professionnelle de cinéma avec le court métrage Black screen qu’elle a écrit, imaginé, porté de bout en bout. Pour ce faire, elle s’est entourée des meilleurs ; ceux qui vont saisir la dimension du projet. La production a été ainsi confiée à Youssef Britel, le professionnalisme n’a pas d’âge, et la réalisation à Nour-Eddine Lakhmari.
Oui la présentation du court métrage Black screen, l’autre soir à Casablanca, a été l’occasion de traduire dans le cérémonial de l’avant-première, la philosophie qui a porté le film dans sa double écriture scénaristique et filmique : à savoir rendre hommage au cinéma marocain, aux gens du cinéma ; au cinéma tout court. Tapis rouge déroulé, organisation pointue, présentation sobre et intelligente, un public nombreux et attentif… cadeau-souvenir de qualité offert à tous les invités…bref la touche Nadia a rayonné sur ce rituel réhabilité à cette occasion comme pour être à la hauteur de ce monument de cinéma qu’est la salle de cinéma Rif, réhabilitée depuis peu et redevenue le lieu indiqué pour célébrer le septième art.
Le film, en effet, est une illustration du concept khatibien de l’aimance. Le scénario est écrit dans l’expression de l’amour du cinéma. Le genre, documentaire ou fiction, ne signifie plus rien puisque la forme finale choisie par Nour-Eddine Lakhmari restitue justement cette dimension cinéma : dans le recours au noir et blanc, le choix des cadres et le montage final. Le film peut être perçu, si l’on tient à une étiquette, comme un documentaire sur le cinéma marocain aujourd’hui ; on peut affiner en disant qu’il s’agit d’un documentaire de création puisque les protagonistes qui interviennent, ils appartiennent tous à toutes les catégories et à tous les métiers de la profession du cinéma, le font au deuxième degré ; ils partent de leur statut réel, jeune réalisateur, producteur, cinéaste confirmé, comédienne… pour développer un discours décalé ; reprenant les clichés qui circulent sur le cinéma pour les mettre en dérision ou tout simplement pour les sortir des « ragots » des coulisses et les mettre dans la bouche des premiers concernés. Cela donne une tonalité d’ensemble qui confine au jeu de miroir ou à l’exercice psychanalytique de l’hypnose : le décor avec la présence récurrente du divan de l’analyste, la lumière, le cadrage…situent cette atmosphère. Le non-dit est ainsi mis en scène. Un exercice opportun qui intervient pour signifier que le cinéma marocain a atteint une  forme de maturité pour s’offrir le luxe de « l’analyse ». Pour Nadia Larguet, « Cela fait un moment que cette idée de court me trottait dans la tête !! Elle ne date pas d’hier mais de 2008 ! Donc après quelques temps, le moment m’a paru opportun de concrétiser l’envie que j’avais de faire parler cette joyeuse petite famille du cinéma marocain, mais sous le mode du second degré. Et c’est en fait Luca Coassin (Chef opérateur) qui m’a donné le déclic de ressortir mon projet du tiroir et de m’y remettre. ».
Le film bénéficie d’un cast de choix où nous retrouvons les grands noms du cinéma marocain dans ses différents secteurs d’activités avec cependant  des séquences qui relèvent d’emblée de l’anthologie : Larbi Yacoubi, Souheil Benbarka et Mustapha Derkaoui. La présence des ces figures historiques est en soi un cadeau dédié à la mémoire du cinéma. Chaque participant se voit d’ailleurs inscrit dans l’héritage cinéphilique avec la référence à un titre culte du cinéma universel : Larbi Yacoubi c’est Laurence d‘Arabie, Latéfa Ahrrare c’est La femme libre, Mohamed Khouyi, c’est Riches et célèbres ou encore Fatym Layachi, L’effrontée…
Les portraits en plans fixes se suivent offrant l’occasion à chaque protagoniste de placer une réplique ou une réflexion autour de sa pratique comme le jeune réalisateur Ayoub Elaiassi, alias Le lauréat dans le film, qui fait de la dérision autour de la fameuse carte professionnelle qu’il vient enfin de décrocher et se demande si « un plan tourné sans carte est différent du même plan tourné avec la carté de réalisateur ». Mohamed Layadi, l’exploitant de cinéma, « L’emmerdeur » qui nous apprend que le centre du cinéma mondial ce n’est ni Cannes ni Berlin…mais Deb Ghallef…Abdellah Taia, « L’homme qui tua la peur » dialogue indirectement et par le seul fait du montage avec «  Pierrot le fou », Ahmed Boulane…d’où l’une des difficultés du film, en amont déjà, c’est : «  Faire comprendre  aux intéressés ce qu’était le second degré ! Nous sommes malheureusement dans une société où les gens prennent tellement de paramètres en compte que finalement il n’y a plus beaucoup de place à la création libre », précise Nadia Larguet. Le cinéma est là cependant pour combler les limites des mots…
Le film s’offre alors une très belle chute en trois temps ; d’abord avec l’apparition du cinéaste africain (né en Guinée, travaille au Sénégal) Mama Keita, référencié  « Ailleurs l’herbe est plus verte », qui vient élargir le champ du miroir à l’état du cinéma sub-saharien et qui remet au cinéma marocain son rôle de pionnier continental ; puis Krimou Dekaoui qui  vient chercher son frère Mustapha, « Les deux cavaliers » pour sortir du champ « allons-nous » lui dit-il. Vient, enfin, le maître de cérémonie ; la guest-star, Nour-Eddine Saïl, alias L’homme tranquille, qu’on voit signer un document, peut-être le script final, comme pour assumer tout ce qui a précédé. La caméra élargit la perspective nous offrant une très belle scène finale avec un personnage quasiment shakespearien quittant la scène, en l’occurrence un plateau de tournage. Tout cela n’était que du cinéma. La porte se ferme. Générique de fin.
« C’est le cinéma marocain dans tous ses états ! Le psy ne pouvant bien sûr être joué que par Nour-Eddine Saïl. Et comme vous l’avez vu, il ne dit rien car il n’y a rien à dire !!! Pour le titre je voulais rendre hommage à sa célèbre émission «Ecran noir» sur la RTM de l’époque. J’ai envoyé ma proposition de titre et c’est en fait Nour-Eddine Lakhmari qui a pensé le traduire en anglais ! Ce qui donne un petit côté international ..! », conclut Nadia Larguet.
Signalons qu’un magnifique catalogue a été édité à l’occasion de la sortie du film avec notamment toutes les informations sur les équipes techniques et artistiques et surtout une magnifique iconographie signée Abderrahmane Alami Ouali, Andal Hassini, Alexandre Leglise, Khalil Nemmaoui.





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