Le
jeu de miroir du cinéma marocain
C’est
la fée du PAM ! (comprendre le paysage audiovisuel marocain!) ; Nadia Larguet. Elle n’ pas de baguette étoilée mais sa touche
suffit à…mettre de la magie dans le réel ; à transformer l’essai pour en
faire une performance. Comme, par exemple, faire de ce qui aurait pu être une
avant première de plus dans le calendrier, un vrai événement ; peut-être
l’un des plus marquants de cette saison.
Elle
a fait ses preuves comme animatrice et productrice de télévision, du temps où
la télévision faisait dans le sens. Elle a défrayé la chronique quand elle a
mis à la Une d’un magazine féminin sa grossesse nue…cette fois on la découvre
en vraie professionnelle de cinéma avec le court métrage Black screen qu’elle a
écrit, imaginé, porté de bout en bout. Pour ce faire, elle s’est entourée des
meilleurs ; ceux qui vont saisir la dimension du projet. La production a
été ainsi confiée à Youssef Britel, le professionnalisme n’a pas d’âge, et la
réalisation à Nour-Eddine Lakhmari.
Oui
la présentation du court métrage Black screen, l’autre soir à Casablanca, a été
l’occasion de traduire dans le cérémonial de l’avant-première, la philosophie
qui a porté le film dans sa double écriture scénaristique et filmique : à
savoir rendre hommage au cinéma marocain, aux gens du cinéma ; au cinéma
tout court. Tapis rouge déroulé, organisation pointue, présentation sobre et
intelligente, un public nombreux et attentif… cadeau-souvenir de qualité offert
à tous les invités…bref la touche Nadia a rayonné sur ce rituel réhabilité à
cette occasion comme pour être à la hauteur de ce monument de cinéma qu’est la
salle de cinéma Rif, réhabilitée depuis peu et redevenue le lieu indiqué pour
célébrer le septième art.
Le
film, en effet, est une illustration du concept khatibien de l’aimance. Le
scénario est écrit dans l’expression de l’amour du cinéma. Le genre,
documentaire ou fiction, ne signifie plus rien puisque la forme finale choisie
par Nour-Eddine Lakhmari restitue justement cette dimension cinéma : dans
le recours au noir et blanc, le choix des cadres et le montage final. Le film
peut être perçu, si l’on tient à une étiquette, comme un documentaire sur le
cinéma marocain aujourd’hui ; on peut affiner en disant qu’il s’agit d’un
documentaire de création puisque les protagonistes qui interviennent, ils
appartiennent tous à toutes les catégories et à tous les métiers de la
profession du cinéma, le font au deuxième degré ; ils partent de leur
statut réel, jeune réalisateur, producteur, cinéaste confirmé, comédienne… pour
développer un discours décalé ; reprenant les clichés qui circulent sur le
cinéma pour les mettre en dérision ou tout simplement pour les sortir des
« ragots » des coulisses et les mettre dans la bouche des premiers
concernés. Cela donne une tonalité d’ensemble qui confine au jeu de miroir ou à
l’exercice psychanalytique de l’hypnose : le décor avec la présence
récurrente du divan de l’analyste, la lumière, le cadrage…situent cette atmosphère.
Le non-dit est ainsi mis en scène. Un exercice opportun qui intervient pour
signifier que le cinéma marocain a atteint une
forme de maturité pour s’offrir le luxe de « l’analyse ». Pour
Nadia Larguet, « Cela fait un moment que cette idée de court me trottait
dans la tête !! Elle ne date pas d’hier mais de 2008 ! Donc après quelques
temps, le moment m’a paru opportun de concrétiser l’envie que j’avais de faire
parler cette joyeuse petite famille du cinéma marocain, mais sous le mode du
second degré. Et c’est en fait Luca Coassin (Chef opérateur) qui m’a donné le
déclic de ressortir mon projet du tiroir et de m’y remettre. ».
Le
film bénéficie d’un cast de choix où nous retrouvons les grands noms du cinéma
marocain dans ses différents secteurs d’activités avec cependant des séquences qui relèvent d’emblée de
l’anthologie : Larbi Yacoubi, Souheil Benbarka et Mustapha Derkaoui. La
présence des ces figures historiques est en soi un cadeau dédié à la mémoire du
cinéma. Chaque participant se voit d’ailleurs inscrit dans l’héritage
cinéphilique avec la référence à un titre culte du cinéma universel :
Larbi Yacoubi c’est Laurence d‘Arabie, Latéfa Ahrrare c’est La femme libre,
Mohamed Khouyi, c’est Riches et célèbres ou encore Fatym Layachi, L’effrontée…
Les
portraits en plans fixes se suivent offrant l’occasion à chaque protagoniste de
placer une réplique ou une réflexion autour de sa pratique comme le jeune
réalisateur Ayoub Elaiassi, alias Le lauréat dans le film, qui fait de la dérision
autour de la fameuse carte professionnelle qu’il vient enfin de décrocher et se
demande si « un plan tourné sans carte est différent du même plan tourné
avec la carté de réalisateur ». Mohamed Layadi, l’exploitant de cinéma,
« L’emmerdeur » qui nous apprend que le centre du cinéma mondial ce
n’est ni Cannes ni Berlin…mais Deb Ghallef…Abdellah Taia, « L’homme qui
tua la peur » dialogue indirectement et par le seul fait du montage
avec « Pierrot le fou », Ahmed Boulane…d’où l’une des difficultés du
film, en amont déjà, c’est : « Faire comprendre aux intéressés ce qu’était le second degré !
Nous sommes malheureusement dans une société où les gens prennent tellement de
paramètres en compte que finalement il n’y a plus beaucoup de place à la
création libre », précise Nadia Larguet. Le cinéma est là cependant pour
combler les limites des mots…
Le
film s’offre alors une très belle chute en trois temps ; d’abord avec
l’apparition du cinéaste africain (né en Guinée, travaille au Sénégal) Mama
Keita, référencié « Ailleurs l’herbe
est plus verte », qui vient élargir le champ du miroir à l’état du cinéma
sub-saharien et qui remet au cinéma marocain son rôle de pionnier
continental ; puis Krimou Dekaoui qui
vient chercher son frère Mustapha, « Les deux cavaliers » pour
sortir du champ « allons-nous » lui dit-il. Vient, enfin, le maître
de cérémonie ; la guest-star, Nour-Eddine Saïl, alias L’homme tranquille, qu’on
voit signer un document, peut-être le script final, comme pour assumer tout ce
qui a précédé. La caméra élargit la perspective nous offrant une très belle
scène finale avec un personnage quasiment shakespearien quittant la scène, en
l’occurrence un plateau de tournage. Tout cela n’était que du cinéma. La porte
se ferme. Générique de fin.
« C’est
le cinéma marocain dans tous ses états ! Le psy ne pouvant bien sûr être joué
que par Nour-Eddine Saïl. Et comme vous l’avez vu, il ne dit rien car il n’y a
rien à dire !!! Pour le titre je voulais rendre hommage à sa célèbre émission
«Ecran noir» sur la RTM de l’époque. J’ai envoyé ma proposition de titre et
c’est en fait Nour-Eddine Lakhmari qui a pensé le traduire en anglais ! Ce qui
donne un petit côté international ..! », conclut Nadia Larguet.
Signalons
qu’un magnifique catalogue a été édité à l’occasion de la sortie du film avec
notamment toutes les informations sur les équipes techniques et artistiques et
surtout une magnifique iconographie signée Abderrahmane Alami Ouali, Andal
Hassini, Alexandre Leglise, Khalil Nemmaoui.
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