mardi 15 avril 2014

Qanis de Réda Mustafa



Les thèmes familiaux m’inspirent le plus
C’est l’un des coups de cœur de la dernière édition du festival national du film dans la catégorie court métrage, Qanis de Réda Mustafa. Jeune cinéaste marocain, installé en en Farnce, Réda Mustafa n’en est pas à sa première expérience ; il était déjà venu à Tanger pour le court métrage méditerranéen. Avec Qanis, il atteint une forme de maturité dans l’approche et le traitement. Le film a non seulement séduit le public mais il l’a ému ; il a aussi attiré l’attention du jury qui lui a accordé une mention spéciale, même si de l’avis de nombreux connaisseurs, Qanis méritait bel et bien de figurer dans l’une des trois places du podium.
Les ingrédients sont simples et éloquents. C’est l’histoire d’une rencontre entre un père et sa fille. Mokhtar, magnifique interprétation de Lounes Tazairet est veilleur de nuit dans un entrepôt. Il vit seul ; une très belle scène d’exposition en ouverture nous décrit son univers ; ses seuls compagnons sont une petite télévision et…Qanis, celui-là même qui va donner son titre au film et qui n’est autre que le chien. C’est lui aussi qui apparait en premier ; une métaphore d’un destin brisé, d’une vie de famille perdue. Pour sa ronde, il l’appelle mais ne daigne pas le suivre. Mokhtar est seul dans la nuit. Il y a bien sûr son patron et néanmoins ami/confident. A sa rencontre, on apprend que sa fille qu’il n’a pas vu depuis des années, lui annonce son arrivée et veut le rencontrer à Paris. C’est Kahena, un clin d’œil à la grande figure féminine amazighe et effectivement Sofia Manousha a su donner à ce personnage rebelle et en même temps tendre, une dimension dramatique très forte. Les scènes successives qui dessinent l’évolution de son rapport au père perdu et retrouvé sont très belles. La caméra de Réda a su capter ses différents moments sans verser dans le mélodrame ni la surcharge symbolique : des plans justes qui nous parlent en lieu et place des personnages ; on ne parle pas beaucoup dans ce film où une économie de la langue est compensée par l’éloquence du langage ; comme lors de cette sortie nocturne à l’ombre de la Tour Eiffel quand Kahena prend des photos de son exposition et le père est là,  heureux dans ce rôle retrouvé mais qui n’est jamais garanti. Qu’il faut toujours conquérir sinon reconstruire. Entretien avec Réda Mustafa.

Peux-tu nous situer Qanis dans ton parcours professionnel et cinéphile ?

Qanis est mon 4ème  court métrage, il vient clore une période de 7 ans de travail sur mes projets de courts métrages de fiction.
J’ai tout de suite été attiré par le cinéma. Dès le collègeje savais que je voulais faire des films. Au lycée j’ai commencé, accompagné de deux de mes amis par des petits courts métrages. J’ai surtout suivit une formation intensive de cinéphile. J’ai vu de tout et j’ai fait en sorte de ne rien louper au cinéma. Je me suis aussi beaucoup nourri de vieux films. Ceux que j’ai étudié par la suite à l’université. Le lycée fut le début de mon apprentissage de « cinéphile total ». J’y ai appris à aimer tout le cinéma. C’est là aussi que nous avions bâti notre groupe Decheko films, qui est une association qui nous a permis de réaliser nos courts métrages pendant nos études.
Dck films notre société est issus ce collectif. Depuis le début j’ai eu la chance de travailler avec les mêmes amis et collègues tel que : Franck Bazille, David Hadjadj, Mathieu Rasoli, Yassine Azzouz, Frederic Lecamus, Michel Adamik, Isham Zahzar...
Lors des mes études de cinéma à l’université de Saint Denis, j’ai découvert ceux que je considère encore aujourd’hui comme les piliers de ma formation (Antonioni, Truffaut, Spielberg, Clouzot, Altman, Melville, Tarantino, Haneke, Tarkosvsky, Coppola, Paul Thomas Anderson, Gray, Scott, Gianoli, Beauvois, Audiard, Kechiche, les frères Cohen, Bruno Dumont, Nuri Bigle Ceylan, Kitano, Jeff Nichols et Alexander Payne plus récemment …) Ils représentent ce qui m’inspire le plus et surtout ils me permettent de redécouvrir le cinéma à chaque film.
Plus tard notre collectif étant plus structuré et les études à l’université et au Conservatoire libre du cinéma, terminées, j’ai continué ma formation chaque année au festival de Cannes, où je n’ai cessé d’apprendre grâce à ce que je considère comme le tout meilleur cinéma mondial. Découvrir des films en festival est pour moi le meilleur apprentissage qui soit.
J’ai mené à bien la réalisation de notre premier court métrage en 2006:  La botte de guerre, primé en festival à l’étranger et diffusé en télé. Ce qui nous a donc permis de continuer avec mon second court : La petite Lilia,  primé lui aussi. La suite fut un échec. En 2010 je signe mon premier long métrage, mais il n’a pas pu se faire ; deux ans plus tard tout est à recommencer. Après avoir tourné en Héritage pendant cette période que j’ai présenté à Tanger en 2011, j’ai eu l’idée d’un projet de long métrage, qui fut la genèse de Qanis. J’ai commencé à écrire l’histoire de Mokhtar pour mon ami comédien Lounes Tazairt. Je dois vous dire que toute mon inspiration et ma volonté de refaire un court métrage date de l’édition du festival méditerranéen 2011 de Tanger, vous étiez alors président du jury et tous les films du palmarès me bouleversent et me remotivent. Aussi les rencontres avec des amies furent importantes, Halima Ouardiri et son film « Mokhtar », Uda Benyamina et son film « Sur la route du paradis », Serhat Karaaslan avec son film Bicyclette, (NDLR : film turc qui a obtenu le Grand prix à Tanger) ; j’ai rencontré aussi, Chaimae Ben Acha sublime actrice du film Traitors et Malak, qui m’a inspiré le rôle de Kahina. Pour diverses raisons nous n’avons malheureusement pas pu travailler ensemble. De retour en France l’histoire et le scénario furent écrits et presque prêts. Il n’y avait que Sofiia Manousha, qui fut déjà la fille de Lounes Tazairt dans un film de Jacques Bral qui pouvait correspondre à Kahina.
Je me devais de faire Qanis, sans ce court j’avais l’impression que je n’avais pas fini complètement ma formation.

Comment s’est effectuée l’écriture de Qanis : quel est le point de départ ? Et comment tu as mis en place le dispositif filmique correspondant à l’évolution du drame ?

J’ai longtemps construit la version longue avant de penser au court métrage. Mais l’histoire étant différente il a fallu que je refonte le scénario pour qu’il puisse aussi marcher en court métrage. Le point de départ reste Mokhtar, un homme abîmé, meurtri par son passé qui voit sa fille resurgir dans sa vie. Cet homme qui se traîne à l’image de son fidèle compagnon, son double : Qanis son chien.
Je rêvais et devais aussi, pour ce que je veux faire dans le cinéma, anticiper un peu et parler d’une relation père-fille. Même si elle ne devait être non évidente. Les thèmes familiaux restent ceux qui m’inspirent le plus.
Concernant la construction narrative et la mise en scène du film j’ai voulu être le plus proche possible de la neutralité. Ne pas apporter de jugement, ne pas tout expliquer, respecter les personnages, leurs moments ensemble, leurs secrets et leurs non-dits, leurs silences, leurs humeurs.
J’ai voulu donner au film deux styles filmiques et deux rythmes. La partie du film où Mokhtar est seul est un style très frontal, avec de longues actions et des plans séquence qui dessinent le constat d’un homme qui subit la vie. Lorsque que Kahina arrive dans l’histoire, le mouvement et le montage reprennent le dessus de plus en plus, jusqu’à la séquence des ponts parisiens. Où j’ai tenté de montrer que leur relation avait une chance de marcher.  Je voulais que la focalisation cependant n’appartiennent à aucuns d’entre eux, elle devait rester omnisciente.
Je crois que le dernier plan séquence dans le hall d’hôtel est le plan que j’ai écrit la premier. Je savais assez tôt que j’utiliserai ce genre de plan. Ce mouvement en  travelling-avant dévoile la vérité, celle que l’on comprend, celle que l’on redoute, celle qui déclenche la fatalité, et qui avorte cette union brièvement reconstituée. Mais je devais aussi y introduire de la dualité du personnage de Kahina. Le geste qu’elle a pour son père quand elle pose sa tête sur son épaule représentait pour moi tous les enjeux du film.

Kahina n’est pas là pour le faire souffrir par vengeance, elle est là parce qu’elle souffre encore de la séparation paternelle. Elle a peur de ces sentiments envers l’homme qu’elle déteste le plus.

J’ai voulu retranscrire des aspects psychologiques des personnages à travers le découpage. Apporter une récurrence filmique, une rigueur dans les choix des axes et des cadres. Que tout soit cette fois complètement maîtrisé. Comme ces plans récurrents en travelling avant dans leur dos, la caméra reste derrière eux, comme un boulet que l’on traine, mais aussi comme une sensation que d’aller de l’avant est possible lorsque la caméra passe devant eux et les unis pendant la séquence des photos sur les ponts parisiens.
Le mélange de plan caméra à l’épaule et de plans fluides est un procédé que j’utilise assez souvent dans mes courts pour exprimer l’ambiguïté de mes personnages. Ils n’ont pas les réponses. Ils sont constamment en quête de leur vérité. Alors il fallait vraiment que je reste malgré tout dans une mise en scène assez sobre, sans jugement, muni d’une caméra qui les accompagne dans leur drame, qui témoigne du dernier moment de l’ancienne vie de Mokhtar en plein purgatoire : La séquence de l’enterrement du chien en forêt. Malgré la peine qu’il éprouve de la perte de son compagnon, il s’octroie le droit de chercher la rédemption, sa vérité.

Le casting est une des forces majeures du film ? Comment tu as mené le travail avec tes comédiens principaux ?
Oui, je le pense vraiment.
 J’ai aussi au fur et à mesure des courts métrages appris que je ne peux pas mettre en scène une histoire en la racontant avec un mauvais choix d’acteurs. Mokhtar et Kahina sont la source du film. Gilles l’ami de Mokhtar le confident est déclencheur de l’intrigue. Et Qanis le chien qu’il fallait bien choisir aussi car il est lourd de sens.
Lounes Tazairt possède un visage très expressif, il peut donc m’offrir la chance d’exprimer de l’émotion brute à travers son faciès. Tout en retenu et en silence. Lounes me donne envie de ne faire que des gros plans, comme le dernier plan du film. J’aurai voulu le laisser encore plus longtemps. C’est tellement riche, il est à mes yeux, avec son visage, la dramaturgie incarnée. Sa voix est aussi comme un baromètre pour moi, elle  m’indique tout de suite si ce que je lui écris sonne faux, alors je corrige car sa voix a une force ; c’est sa sensibilité. 
Kahina devait être une jeune fille forte, une artiste, une rebelle! Mais je pense que le fait d’avoir travaillé avec Sofia m’a emmené autre part, grâce à elle j’ai compris que Kahina avait d’autres facettes plus enfouies. Elle n’est pas si sûre d’elle, elle a peur, elle ressent tout simplement trop de choses et cela devient complexe. Et justement grâce à Sofiia, le personnage est devenu très ambiguë. On ne sait pas ce qu’elle recherche vraiment, je voulais qu’on les recherche en même temps qu’elle. Sofia est une superbe actrice aussi, une énergie débordante qu’il fallait contenir pour camper Kahina. Elle a donné une vraie dimension à la fille de Mokhtar.
Dans notre configuration de production je ne peux malheureusement pas solliciter les acteurs et actrices longtemps en amont. Je discute énormément avec eux. Pour Qanis qui était mon film le plus précis, nous pouvions parler de tout concernant leurs personnages et leurs motivations jusqu'à même leur décrire ce que j’allais filmer et comment j’allais le faire.  Nous n’avons pas beaucoup répété, seulement 2 ou 3 répétitions en situation ont suffit, pour eux et pour vérifier ma mise en scène. Mais le gros du travail en amont s’est basé sur nos discussions.
Mohammed Bakrim



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