vendredi 26 août 2016

kamal kamal par bakrim

Le cinéaste  venu du pays du Raï
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La fédération nationale des  ciné-clubs rend un hommage ce week end, à l’occasion de la nouvelle édition de son université  d’été,  au cinéaste Kamal Kamal. Un hommage marqué notamment par la projection de son film Sotto  voce et par un débat animé par le critique Youssef Ait hammou.
Kamal Kamal présente en effet une expérience qui interpelle les critiques et offre un cas d’école, au sein du paysage cinématographique marocain, original qui pourrait intéresser/inspirer les cinéphiles. C’est en effet un parcours spécifique : Kamal Kamal est un autodidacte venu au cinéma par la cinéphilie et par…la musique. Originaire de l’oriental, région de l’entre-deux, de la frontière et qui a vu son histoire influencée par le croisement des cultures forgeant un socle diversifié, enrichi de la diversité des sons, des images et des signes venus notamment de l’orient (l’influence ottomane) et du nord (l’héritage des exilés andalous). Kamal Kamal a vu sa jeunesse marquée  par l’explosion du phénomène Raï, parfaite symbiose de cette diversité culturelle caractéristique de  ce que l’on pourrait qualifier « le grand Oranais » qui va, au-delà des frontières factices, de Fès à Tlemcen. Ce background culturel est essentiel et non exclusif  pour comprendre le cinéma de Kamal Kamal. Cependant, et contrairement à une tendance dominante dans les écrits qui ont abordé ses films, ce cinéma ne se réduit pas à la seule dimension musicale. Certes, celle-ci est omniprésente mais en faire la seule entrée pour lire ses films est une dérive provoquée par les éléments autobiographiques. Je constate pour ma part qu’il propose un travail autour de la musique qui dépasse le traditionnel élément composant  la bande son. La musique chez Kamal Kamal ne se réduit pas à un appoint du récit mais elle est constitutive de la dramaturgie. Sa filmographie est relativement réduite, trois longs métrages, mais imposante car chaque film ouvre une nouvelle piste de travail, une nouvelle approche esthétique et thématique avec cependant des éléments récurrents qui donnent à cette trilogie une forme de cohérence et qui autorisent à parler d’un auteur (il écrit lui-même ses scénarii), porteur d’une certaine idée du cinéma.
Dans ce sens, on peut relever quelques caractéristiques sur cette voie. C’est un cinéma qui s’inscrit dans une cartographie fictionnelle atypique. En quelque sorte il dessine une géographie cinématographique renouvelée  et emprunte des chemins loin des sentiers battus par le cinéma narratif marocain dominant ; un cinéma autocentré à Casablanca et quelques lieux devenus des stéréotypes. Ici, l’imaginaire s’ouvre sur d’autres figures topographiques qui entrent dans un échange métonymique avec les histoires qu’elles racontent. Les lieux revisités dans les films de Kamal Kamal sont d’abord inspirés par la diégèse, par la fiction loin de tout ancrage référentiel direct. Le tribunal, l’hôpital, la prison de Taïf Nizar (son premier long métrage 2001) sont traités comme un huis clos métaphysique malgré quelques références rapides à Casablanca. Impression d’extraterritorialité renforcée par le recours à l’arabe classique dans les dialogues du film.  Le récit de La symphonie marocaine (2005) se déroule à la marge sans références précises. Même Sotto Voce (2013) qui choisit de préciser d’emblée qu’il s’agit d’un lieu et d’un moments historiques, autour de la fameuse ligne Maurice insaturée par la France à la frontière de l’est marocain, vire rapidement, par des choix esthétiques au niveau des couleurs, du cadrage à une abstraction spatiale pour recentrer le drame loin de tout déterminisme historique.
L’autre caractéristique de ce cinéma, conséquence de ce premier choix, est que les personnages de Kamal kamal sont d’abord des types et non des archétypes ; ils sont là non comme modèle sociologique (dominant chez les cinéastes que j’appelle le groupe de Casablanca)  mais comme profil psychologique. Un système de personnages qui se situe donc aux antipodes du réalisme et du mélodrame ambiants. Des personnages romantiques, dotés d’une riche vie intérieure : le juge de Taïf Nizar  tourmenté et harcelé par le doute; le militant  de La symphonie marocaine, revenu de batailles porteur de cicatrices morales, le personnage narrateur de Sotto voce habité de fantômes du passé.
Si la musique donne à ses films leur consistance, formatant carrément leur structure (frontalement pour La symphonie et Sotto voce ; au niveau de la bande son pour Taif Nizar) mon hypothèse est qu’ils finissent cependant par développer un discours constitutif de thématiques fortes invitant à une lecture politique. C’est ainsi que Taïf Nizar fait confronter ses personnages à la question de la vérité avec en toile de fond un débat sur la peine capitale ; La symphonie marocaine est le récit de la recomposition d’une communauté soudée par un projet et animée par un leader charismatique ; et Sotto voce aborde la question du rapport de la mémoire et de l’histoire.
L’ombre d’un doute
Si ses deux derniers films ont eu un large écho public et critique, Sotto voce sacré meilleur film marocain à Tanger et meilleur film africain à Khouribga… Son premier, Taïf Nizar, mérite d’être réhabilité sinon une seconde chance sur la base notamment d’une réécriture de ses dialogues en parler marocain. C’est d’autant plus pertinent que la thématique de la peine de mort, centrale dans le film, revient dans le débat public. Le film a été sélectionné par le Conseil national des droits humains pour figurer dans le coffret consacré aux films des années de plomb. Taïf Nizar aborde en effet cette dimension de notre histoire contemporaine à partir d’un angle particulier ; contrairement à la majorité des films de cette tendance qui abordent le sujet du point de vue des victimes, Taïf Nizar, lui, choisit de  mettre au centre de son récit deux personnages appartenant aux équipes de geôliers ; changés de faire « chanter » les prisonniers politiques, de leur arracher des aveux. Ahmed Sebbar, protagoniste principal du récit est présenté comme victime d’un système. Tortionnaire indirect (il était secrétaire chargé de noter les aveux), il sera accusé, condamné et exécuté pour un crime sur lequel plane des doutes (sa famille massacrée atrocement). C’est donc un retour sur les années de plomb à partir d’un point de vue insolite qui vient élargir la panoplie du scénario de cette triste époque. Mais pour le film de Kamal Kamal, l’affaire Ahmed Sebbar n’est qu’un prétexte pour poser des questions fondamentales, relatives à la question de la vérité, de la justice. Le film sorti en 2002 est quasiment prémonitoire en précédant, par les questions qu’il pose, la création de l’Instance Equité et réconciliation en 2004. Si le titre du film en français Le spectre de Nizar renforce la dimension d’ambigüité (le seul Nizar cité dans le film est le poète Nizar Kebbani) voire de fantastique, il me semble que L’ombre d’un doute conviendrait également ; outre le clin d’œil cinéphile, il permet d’expliciter et d’exprimer la structure dramatique. Il y a en effet des doutes qui planent sur les faits qui articulent la progression du récit et qui contribuent à créer une ambiance hitchcockienne. La présence d’un coffre où se cache peut-être un corps me fait penser par exemple au film La corde du maître du suspense…


  Une scène me semble emblématique de cette démarche. C’est la scène du dîner quand le juge Walid chargé du dossier d’Ahmed Sebbar,  alors que les faits concordent pour enfoncer l’accusé, invite son ministre de tutelle. Sont présents également les épouses respectives du ministre et du juge, le jeune conseiller Samir et deux employés de la maison. La scène arrive à la 16ème minutes et durent près de cinq minutes. L’importance de la scène est annoncée au préalable par le maître d’hôtel Mahmoud et serviteur fidèle du juge annonce à son assistante : « c’est un dîner crucial dont dépend peut-être la vie d’un homme, alors préparons les meilleures conditions possibles pour que ces gens prennent la bonne décision ». la scène est parfaitement menée, saluons au passage le travail de Krimou Derkaoui à l’image et de feu Meziane au montage. La disposition des invités respectent la hiérarchie : le ministre au centre, les deux épouses de part et d’autre puis le juge te son jeune collaborateur qui lui fait face. Mais en fait cette architecture au-delà de sa dimension protocolaire va fonctionner comme un dispositif scénique permettant le jeu des regards.  La scène au sens propre puisque elle respecte le principe des trois unités : unité du lieu, unité du temps, unité de l’action,  va connaître trois formes de discours. Le premier discours verbal, explicite, qui est le prétexte du dîner consiste en un échange presque banal sur le justice, la peine de mort… un deuxième discours en filigrane, un jeu de regard subtil que la caméra capte grâce à un montage de plans éloquents : gros plans successifs sur Amina (l’épouse du juge), suivi de celui de Samir (l’amant ???) et puis deux regards celui du juge et enfin celui en contre plongée de Mahmoud le maître de cérémonie à qui rien n’échappe. Un autre doute vient s’ajouter à celui initial sur l’innocence d’Ahmed Sebbar. Mais la scène est porteuse d’un troisième discours celui qui passe par ce que le théoricien américain Edward t. Hall appelle « le langage silencieux ». Et c’est le corps féminin qui va entrer en scène exprimant des sentiments de frustration et de refoulement. Au moment où la discussion s’enlise avec des opinions divergentes sur la justice et la peine de mort, la caméra capte les réactions d’Amina qui finit par casser ce cérémonial figé. Elle va donner libre cours à l’expression de son corps  qui devient du coup agent narratif donnant au film une dimension esthétique indéniable. Comme Amina ne parle pas beaucoup, son corps devient une sorte de voix off qui donne au film sa chair. 

vendredi 19 août 2016

Mon hommage à Mohamed Khan

Mohamed Khan
Rupture et continuité dans le cinéma égyptien




Avec Mohamed Khan à Tétouan en 1988
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Il y a quelques semaines  (déjà !), le cinéma égyptien perdait l’une de ses figures les plus emblématiques, le réalisateur Mohamed Khan. Emblématique dans le sens où Khan a incarné – avec d’autres de ses collègues-  par ses films et par les choix esthétiques qui les portaient les mutations profondes qui ont marqué définitivement le cinéma égyptien dès le début des années 1980. Ce pakistanais par l’origine de son père et qui n’a finalement obtenu la nationalité égyptienne que quelques années (2014) à peine avant son décès a su brillamment transposer cette « égyptianité » qui a constitué la force du cinéma égyptien de la grande époque, illustré par des titres mythiques et des cinéastes illustres.
Qu’est-ce qui a caractérisé le cinéma de Khan et comment il a su exprimer le changement  esthétique et culturel qu’il va enclencher au sein du cinéma égyptien.  Certains critiques égyptiens ont taxé ce mouvement, amorcé dès la fin des années 1970,  de « nouvelle vague » et de « nouveau réalisme » en se référant aux films de Khairi Bichara, Daoud Abd Sayed, Atef Tayeb, Ashraf Fahmi, Said Marzouk et bien sûr de Mohamed Khan, l’un des plus prolifiques de cette génération. Il me semble pour ma part qu’il s’agit davantage d’un mouvemet porté par des ruptures et beaucoup de continuité. Au lieu d’une nouvelle vague, il s’agit plutôt d’un renouvellement du cinéma dominant. En termes de continuité, Khan a su prolonger et fructifier les principales caractéristiques du grand cinéma égyptien, celui de Chahine, Abou Seif, Taoufik Salah. A savoir la prépondérance du scénario et le système des stars. Mohamed Khan ne se récalme pas du cinéma d’auteur au sens européen du mot ou comme on l’entend au Maroc avec les Ferahati, Bensaïdi… Les films de Mohamed Khan proviennent d’abord de scripts professionnels écrits par des maîtres des scénarii égyptiens. Comme par exemple Bachir Dick que l’on retrouve derrière de nombreux films réalisés par les cinéastes de cette génération. De grandes stars, un scénario inscrit dans une continuité dramatique et littéraire cela renvoie à la grande tradition de l’âge d’or du cinéma égyptien. La rupture, je la situe pour ma part dans le rapport à l’espace. Le cinéma des années 1950 et 1960, celui du réalisme à la Salah Abou Seif et Taoufik Salah reste un cinéma de studio avec un dispositif quasi hollywoodien, incarné par un lieu emblématique, la place, Al Hara, là où convergent les ingrédients du drame. Avec le cinéma de Mohamed Khan, l’espace cinématographique va devenir plus éclaté et la caméra va investir la rue d’une manière organique. J’ai eu l’occasion de discuter avec Mohamed Khan à Tétouan en 1988, en lui faisant cette remarque sur l’omniprésence de la rue, et des extérieurs urbains dans ses films, il m’avait répondu avec son célèbre humour que les techniciens l’appellent en Egypte « Mohamed chaouari3, Mohamed street », tellement il aimait tourner dans des espaces réels. Dans l’ouverture de son film culte « Porté disparu » (1984), une note précède le générique et précise « si les événements et les personnages sont fictifs, les lieux sont authentiques ». Cela résume toute sa démarche. Une conception du cinéma qui vient en quelque sorte répondre aux mutations sociologiques de l’Egypte de Sadat : l’ouverture sur l’économie du marché a complètement métamorphosé le paysage urbain. Le nouveau cinéma égyptien a ainsi perdu le repère spatial qui a constitué  le paradigme narratif fondateur de tout un cinéma du réalisme social, à savoir Alhara. A cela s’ajoute l’émergence de nouvelles couches sociales que le cinéma de Mohamed Khan a su très bien capter et dramatiser. Dans La femme d’un homme important (1987), il signe la fin du romantisme et l’entrée dans l’âge de la cupidité et du capitalisme sauvage. Toujours dans Porté disparu, le fonctionnaire, incarné par son acteur fétiche, l’excellent Yahya Alfakharani, traverse quotidiennement un paysage urbain  en ruine. La caméra de Khan s’attarde sur des images de délabrement généralisé doublées de celles de l’invasion de signes de ruralités avec notamment la récurrence du plan du troupeau de chèvres…. Le  personnage confronté à la crise du logement dans cette ville monstre, obstacle à son mariage, est acculé à revenir la campagne. Une métaphore du nouveau scénario égyptien. Les dramaturges doivent désormais rechercher d’autres sources d’inspiration face à la faillite d’un modèle urbain porté par la petite bourgeoisie que Naguib Mahfouz à transposer dans ses romans et ses scénarii.



Je peux ainsi dire que le cinéma de Mohamed Khan est le cinéma du scénario post-Naguib Mahfouz. Avec ses changements de décors, il passe de la grande maison trdaitionnelle  à l’appartement exigu des nouveaux quartiers périphériques. Il passe des héros confrontés à l’histoire, à l’anti-héros qui se débat dans la crise existentielle. En somme, on passe d’un cinéma destiné au grand écran à celui formaté pour la télévision et la vidéo. Dans ce sens, Mohamed Kahn fut l’incarnation éloquente de l’esprit (de l’imaginaire) de son temps.

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...