vendredi 31 octobre 2014

De quelques paradoxes du cinéma marocain

De quelques paradoxes…au cinéma
Ce n’est pas le moindre paradoxe marocain. Le cinéma en effet, n’arrête pas d’en fournir. Allez, prenons un dernier exemple que nous offre l’actualité toute chaude. Il y a  un « festival » à Rabat qui se tient sous le label de cinéma d’auteur et qui ne présente cette année aucun film marocain en compétition officielle. Aucun film marocain ne mérite « le Prix Hassan 2 » ? Cela rappelle le tennis et le sport équestre mais c’est bien l’intitulé,  très marketing année 70, du festival du cinéma d’auteur de Rabat. Aucun film marocain au moment même où la cérémonie d’ouverture de cette édition a vécu une première insolite, la présence du ministre du département de tutelle (Le hasard a voulu que ce soit un film turc qui était au programme cette soirée là !). Insolite car c’est un fait rarissime. Non seulement il était présent mais a cautionné le festival en prenant la parole lors de la cérémonie d’ouverture ; ce qui n’est pas encore une fois le moindre paradoxe marocain : voilà un festival qui se dit indépendant et qui est supposé promouvoir un cinéma d’auteur indépendant  qui choisit de démarrer, fait rarissime dans la pratique cinéma marocaine, sous le signe du discours officiel. Discours ministériel qui n’a pas manqué de mettre en exergue la bonne santé actuelle du cinéma marocain…état de chose que ne reconnaît pas le festival dans sa sélection officielle puisque aucun film marocain n’a été inscrit. Allez-y comprendre quelque chose ! Pauvre cinéma d’auteur…instrumentalisé au service de pouvoirs occultes ou du moins extra-cinématographiques !
Dans la série des paradoxes, prolongeons les exemples avec les derniers chiffres publiés par le CCM sur le box office arrêté au trente septembre dernier. Saluons  encore une fois cette initiative louable de mettre à la disposition des observateurs du paysage cinématographique des données fiables sur l’état des lieux. Aujourd’hui nous avons les chiffres concernant les neuf premiers mois de l’année en cours. Ils sont porteurs de sens à plusieurs niveaux. Ils mettent en avant d’une manière flagrante un autre paradoxe ; cette visibilité institutionnelle et statistique du cinéma devient une pratique courante au moment même où le cinéma devient invisible dans l’espace social. Avant en effet de lire et de décrypter les performances réalisés au niveau du guichet par tel film ou tel autre, il faut croiser ces chiffres avec une réalité structurelle ahurissante : le cinéma au sens social du mot n’existe plus que dans neuf villes !!!!! La trentaine de salles encore en activités sont cantonnées dans un espace géographique très réduit. C’est pour dire que les chiffres obtenus par les films marocains auraient été d’une autre dimension dans un autre environnement.

Que nous disent ces chiffres ? Ils confirment une tendance installée maintenant depuis une décennie, celle de voir des films marocains monopoliser les premières places du box office. C’est le mélodrame de Ahed Bensouda, Derrière les portes fermées qui a drainé le plus grand nombre d’entrée avec un chiffre frisant les cent mille (96 399). Il est suivi d’une comédie, déjà en place depuis trois ans (Route pour Kaboul de Brahim Chkiri). En troisième place nous retrouvons celui qui aime se présenter comme « le sultan du box office », Saïd Naciri avec son excellente comédie Sara. Tiens ! Voilà un authentique auteur complet qui a échappé au sélectionneur de Rabat : Naciri écrit et réalise lui-même ses films. N’est-ce pas  la définition même d’un auteur ? En plus, il ne triche pas avec le public.

dimanche 26 octobre 2014

Fonds d'aide aux films hassani

Cinéma et régions
A l’occasion du retour de la célébration de la journée nationale du cinéma (le 16 octobre), le gouvernement a fait part de son intention de créer un nouveau fonds d’aide au cinéma, dédié cette fois aux films hassanis ! Les détails et les modalités pratiques de cette initiative ne sont pas encore connus, mais les bruits circulent déjà sur un montant de dix millions de dirhams qui sera alloué à la production de films ayant pour thème les régions et les provinces sahariennes du sud marocain, et principalement le genre documentaire. Gageons qu’une nouvelle commission sera de nouveau lancée pour y réfléchir et une autre sera nommée pour le mettre en application. L’idée en soi n’est pas nouvelle. La question nationale, en effet, a de tout le temps été le cheval de bataille de ceux qui, n’appartenant pas à la sphère professionnelle du cinéma, trouvaient à dire face à la dynamique actuelle du cinéma marocain. Au parlement, par exemple, des députés qui n’ont jamais mis les pieds dans une salle de cinéma, reprochent à ce cinéma « l’absence d’intérêt pour les problèmes nationaux » (sic) et « l’absence de films sur les pages glorieuses de notre histoire » (resic). Reproche facile, séduisant à première vue mais ne rapporte pas gros car il n’est suivi d’aucune proposition concrète, ni surtout d’aucun argumentaire puisant sa source dans la vie réelle de notre cinéma. Depuis novembre 2011, cependant, ce discours a trouvé des échos dans les institutions officielles. Dès la nomination de la commission de l’avance sur recettes, cette pression et montée  d’un cran et la structure même de la commission a été révisée pour y adjoindre un membre issu des provinces du sud. Le discours officiel continue ainsi à en faire une sorte de paravent cachant peut-être une certaine gêne par rapport au cinéma en général.
Le sujet est cependant autrement plus séreux et invite à une approche professionnelle, et  historiciste ; loin surtout des sirènes politiciennes et démagogiques. Le traitement de « la question nationale » ne devrait pas être victime de sa propre promotion. Cela relève du scénario marocain global qui puise dans l’imaginaire collectif ses thèmes et sujets de prédilection. Un film sur le sahara doit être l’émanation logique d’une inspiration dramatique et non la réponse à une commande. On passe alors, le cas échéant,  du cinéma à la propagande. Combien de sujets traitant de causes légitimes ont été desservis par des œuvres « artistiques » privilégiant le souci politique au détriment de la valeur intrinsèque de l’œuvre.
L’expérience de nos voisins de l’Est en matière de traitement cinématographique de leur histoire est édifiante à cet égard. Le film Frontieras de Farida Belyazid offre également une expérience à méditer. Présenté au départ comme un documentaire –coup de cœur, il a perdu son âme en cours de route au fur et à mesure qu’il bénéficiait de grands moyens.

Ceci dit, le projet d’initier un cinéma traitant des affaires spécifiques du Sahara gagnerait à être inscrit dans une démarche plus vaste s’inspirant de la constitution de 2011 qui préconise pour notre pays le schéma de la régionalisation avancée. Les régions sont appelées à être les partenaires privilégiés du cinéma. Pourquoi le Sahara seul et non le Souss et le Rif aussi ? Regardez le générique d’un film espagnol ou d’un film français, la région y est omniprésente. Ce sera alors une démarche globale, cohérente sans discrimination positive ou négative qui mettra la région au cœur d’un dispositif où il sera question non seulement de produire des films mais aussi de promouvoir la région  avec des mesures incitatives pour les tournages nationaux et internationaux ; des aides à la sauvegarde des salles de cinéma « historiques », à la création de multiplexes moyens (3 à 4 écrans), de salles polyvalentes de proximité. La région serait alors le moteur d’une activité cinématographique multiple. Certaines régions disposent déjà d’un noyau, les fameuses « film commissions ». Elles sont toutes indiquées à être le levier de cette régionalisation cinématographique, de Dakhla à Al Hoceima en passant par Taroudant et Khénifra.

dimanche 12 octobre 2014

Entretien avec Mohamed Mouftakir


Faire un film qui résiste à l’épreuve du temps !
Mohamed Mouftakir est l’une des révélations heureuses de la décennie ; il est arrivé à un tournant décisif de l’évolution du cinéma marocain marqué par l’émergence d’une nouvelle génération. Après une riche expérience du court métrage, entamée avec L’ombre de la mort, …Il réalise son premier long métrage de fiction Pégase (2010) qui connaît une carrière riche en récompenses nationales et internationales. Il finalise aujourd’hui son deuxième LM, L’orchestre des aveugles.
Rencontrer Mouftakir est toujours un double plaisir : humain, car Si Mohamed déborde de gentillesse et de générosité ; et un plaisir intellectuel car Mouftakir est un personnage habité par le cinéma…par le désir de ne pas (se) répéter. D’emblée, il nous avertit : « mes réponses vont être à l’image de mes films ; elles paraîtront éclatées, fragmentées, dispersées…mais il y a un fil d’Ariane, un fil ténu qui les réunit et les porte vers quelque chose ». Cela suppose donc un lecteur actif à l’instar du spectateur coopératif et dynamique de ses films.
Au lendemain de sa désignation comme président du jury du festival du court métrage méditerranéen de Tanger nous l’avons rencontré  à Casablanca (septembre 2014).
Propos recueillis par Mohammed Bakrim






« Réaliser un film a toujours été pour moi une hantise et cela n’a rien à voir avec les conditions matérielles de production. Malgré mon expérience d’une dizaine d’années en tant qu’assistant à la réalisation, poser une caméra, faire un choix…restent pour moi un cauchemar. J ai toujours peur de réaliser et encore une fois cela n a rien à voir ni avec les moyens ni avec mes capacités. C’est plus profond, en rapport avec l’écriture que je conçois  comme une interaction durable et qui ne s’arrête pas avec le mot Fin qui s’écrit sur le papier ou sur le générique.
L’écriture un processus permanent
Pour moi être cinéaste, ce n’est pas seulement diriger une équipe, dire moteur action, c’est de l’exécutif à la portée de quiconque ayant eu une initiation au métier…mais la question à se poser est : est ce que tout le monde est cinéaste ? C’est la question qui me travaille ; et du coup toute ma démarche est orientée vers ce cap, me prouver et prouver aux autres que je suis un cinéaste et non seulement un réalisateur exécutif, un technicien de la mise en scène…j aspire à être quelqu’un impliqué dans ce métier, porté et animé par un projet, sincère dans sa démarche créative et utile. Cela rejoint une hantise universelle en quelque sorte concernant la démarche artistique ; comment donner sens au monde…un sens qui n’’existe peut être pas…mais la quête demeure et qui donne à l’art une dimension existentielle, métaphysique. L’art est par essence religieux ! Ma hantise quand je veux réaliser un film se nourrit de ses interrogations : que va apporter ce film à ma vie personnelle, à ma vie en tant que artiste, en tant qu’être humain ? Que va véhiculer  ce film comme sens dans ses dimensions thématiques,  esthétiques, et symboliques. D’où l’impression que tu as relevé en soulignant que mes plans sont « surchargés », « saturés ».  Une surcharge qui dénote un désir de répondre à ces interrogations et de communiquer et partager ce désir…
Du coup cela se répercute sur mon rapport à l’écriture qui est pour moi un processus permanent… donc une souffrance permanente. Je n en sors qu’une fois le film est présenté au public…et encore car commence alors une autre angoisse, comment le film va résister à l’usure du temps. Toutes  ces questions je les ai en tête au moment même de l’écriture. Prendre en compte la présence du public avec qui j’établis un rapport de sincérité. Je ne triche pas avec le public c’est-à-dire je ne cherche pas à le mettre sur de fausses pistes ; au contraire j’en fais un compagnon de mes interrogations et de mes …dans une démarche esthétique spécifique qui lui permet de suivre sans forcément être d’accord.
Après le film se prend en charge lui-même et continue de dialoguer avec son spectateur.  C’est en quelque sorte ce qui  me motive à continuer à faire des films ; à faire du cinéma. Un film ce n’est jamais définitif. Et cela marque toute ma démarche ; je n’obéis à aucun schéma...Même avec mes comédiens qui ne sont jamais enfermés dans un cliché ou dans des rôles typés (Younes Megri dans le rôle d’un musicien populaire dans mon prochain film). Quand il n y a pas de défi à relever…quand c’est facile je me méfie ! Dans Pégase il m’est arrivé de refaire une scène pour mieux l’étoffer et lui donner de la consistance au-delà du simple fait anecdotique ou informatif qu’elle peut apporter
Un cinéaste, c’est d’abord un projet
Chaque court métrage apprend du précédent mais celui qui m’est le plus proche est Chant funèbre (2008) ; certes c’est le dernier mais c’est aussi le plus accompli, dans ce sens c’est un vrai court, dans sa durée. Au terme des mes quatre courts métrage j’ai appris d’ailleurs à faire court : le premier Danse avec la mort faisait dans les trente minutes, le dernier a une durée de 15 minutes ! D’ailleurs pour les longs j’apprends à être plus long, mon deuxième LM est plus long que le premier !
A plusieurs reprises j ai pensé à remonter mes courts mais finalement je me dis ils ne m’appartiennent plus. Par contre, l’idée de revenir au court me  séduit toujours, j’ai même en tête une histoire toute prêt à donner corps à un court, c’est l’histoire d’un comédien qui passe toute sa vie à passer des castings sans aller plus loin…mais on verra bien.
Le foisonnement actuel de jeunes réalisateurs me fait plaisir ; il y a des jeunes qui arrivent. Mais je me demande s’ils se posent une question simple mais fondamentale : pourquoi j’ai choisi de devenir cinéaste et non pas ingénieur, maçon ou professeur ?
Est-ce qu’on vient au cinéma parce qu’il y à l’avance sur recettes ou bien parce que on veut être cinéaste animé d’un désir : raconter des histoires, témoigner, défendre un projet artistique. Je pense que ce sont des questions essentielles. Quand j’ai décidé de faire du cinéma, je n’avais aucune idée sur la profession encore moins de l’avance sur recettes qui à l’époque s’appelait le fonds d’aide. J’étais dans le théâtre et j’étais étudiant en littérature anglaise. Le côté artificiel du théâtre me dérangeait un peu et j’ai découvert le cinéma grâce à Faulkner et aux romanciers américains. C’est ainsi que j’ai décidé de faire du cinéma car elle correspondait à la manière avec laquelle je voulais aborder le monde, à réponde à mes angoisses et à mes interrogations.
Parmi ces interrogations,  comment faire qu’un film marocain soit reconnu comme tel dès le premier plan ? À l’instar d’un film iranien ou japonais ou même américain ? Au-delà de la langue et des décors ;  c’est dans cet esprit que j’ai mené Pégase sauf qu’avec ce film les gens un peu partout dans le monde me disaient que j’ai fait un film dont ils se sentaient proches ; et ce fut la grande leçon de Pégase : quand on est ancré dans sa culture on finit par toucher les gens au-delà des frontières politiques et linguistiques. C’est l’universalité du septième art. Et ça c’est un défi permanent !
Dans tous mes films, les personnages sont portés par une volonté ; celle de se libérer de quelque chose, d’un poids…c’est une ligne de conduite que l’on retrouve du premier court L’ombre de la mort (2003) à L’orchestre des aveugles mon nouveau long métrage. Et à chaque fois, il y a une solution qui finit d’une manière ou d’une autre par arriver…dans l’ombre de la mort cela passe par le suicide ; dans la danse du fœtus par le choix de l’isolement ; dans fin de mois par la tricherie ; dans chant funèbre par la fuite et dans Pégase, c’est la réconciliation avec soi. Pour se libérer d’un passé terrorisant, il faut s’accepter, s’assumer et tu vas constater que cette approche va encore être renforcée par le désir non pas de nier son passé mais de l’aimer.
Hommage aux pionniers
Ma génération n’a pas eu de considération pour la génération des aînés parce que tout simplement elle l’a niée. Elle ne l’a pas abordée comme référence encore moins comme « père esthétique » ! Elle n’a pas cru en elle. C’est un avantage et en même temps un inconvénient, car face à ce trou de mémoire…l’occident s’est retrouvé être la seule référence esthétique.  On tue symboliquement le père en le niant comme s’il n’avait jamais existé. Franchement, je le regrette, et c’et un reproche que je fais à la nouvelle génération, celui de ne pas avoir assimilé l’héritage cinématographique national qui est quand même un acquis qui mérité d’être connu et analysé. Un cinéaste comme Mostafa Derkaoui mérite le plus grand respect… J’aurai aimé le voir aujourd’hui se confronter à la nouvelle génération et pour tout dire : il nous manque. Dire qu’ils sont passés à côté de la plaque est non seulement injuste mais historiquement faux. C’est une vraie génération de pionniers qui a apporté beaucoup à la profession sur le plan législatif et il a mis en place les principales tendances du cinéma marocain »


mercredi 8 octobre 2014

Sarem Fassi Fihri, nouveau directeur du CCM

Les enjeux d’une nouvelle époque
« Ma tribu s’égare mais je dois la suivre » (1)






FIN. Ce mot magique qui accompagne le spectacle cinématographique authentique vient soit pour interrompre un plaisir que le spectateur aurait aimé voir se prolonger, soit le délivrer d’un ennui mortel. Dans un scénario bien ficelé, à l’américaine,  dès que le climax a été atteint, le point d’orgue du récit franchi, on envoie le générique de fin. Le scénario de la nomination du nouveau directeur du Centre cinématographique marocain (CCM) est d’une autre nature ; il vient enfin de connaître son dénouement avec la désignation de M. Fassi Fihri après un long processus de maturation, pratiquement six mois de procédures, relevant de l’écriture feuilletonesque ; c’est-à-dire avec moult épisodes et non sans une dose de suspense. Plus tard, l’histoire nous dira le non-dit de toute cette histoire.  Aujourd’hui, un fait nouveau est là ; il s‘agit de l’inscrire dans ses réelles perspectives.
Les observateurs objectifs de la chose cinématographique marocaine souligneront d’emblée que le choix porté sur M. Fassi Fihri n’est pas une surprise eu égard à son passé et surtout par rapport aux deux autres postulants dont la désignation, de l’un ou de l’autre, aurait varié d’une surprise partielle et au coup de théâtre. Je vous laisse deviner !
M. Fassi Fihri est issu du domaine. Il a été l’une des figures de proue du tournant pris par le cinéma marocain dans les années 90. Une décennie qui a vu le nouveau patron du CCM érigé en véritable star de la production cinématographique notamment à partir du festival national du film de Tanger (1995). Barbe et cigare à la Orson Welles, il était l’homme à séduire et amadouer. Tous les cinéastes cherchaient à entrer dans son rayon d’action. Il avait ses choix,  produisant une partie des films de Hakim Noury qui ont marqué la décennie et scellé la réconciliation du public marocain avec son cinéma ; il adopta également un jeune talent venu du Norvège et qui a marqué le festival de Tanger de 1995,  Nour Eddine Lakhmari en produisant son premier film marocain, Le dernier spectacle (1998). Il produisit également le premier long métrage de l’une des jeunes figures de Tanger, Mektoub de Nabil Ayouch. Sa position de premier plan dans le champ du cinéma arrive avec Le Festival national du film de Casablanca (1998) dont il était la principale vedette. Beaucoup de cinéastes lui sauront gré de deux qualités : générosité et disponibilité ; location de matériel ; fermant les yeux sur des échéances arrivées à terme… Il s’investit également dans la production exécutive internationale ; politique qu’il couronna avec la création des studios Cinédina dans la banlieue sud de Casablanca : immense projet construit dans les normes professionnelles et aux grandes ambitions. Le retour sur investissement est une autre paire de manche ! Il fut alors tout naturellement conduit à la tête de la chambre des producteurs de films. Position institutionnelle qui lui ouvre la voie de devenir l’un des interlocuteurs privilégiés des officiels notamment lors de l’élaboration de textes relatifs à l’organisation de la profession. C’est ainsi qu’avec l’arrivée de Nour Eddine Saïl à la tête du CCM, il devint non seulement un interlocuteur naturel avisé mais un partenaire écouté. Le duo fonctionna même en ticket gagnant. Leur entente a permis de mener plusieurs actions qui vont marquer la décennie autour de la mise à niveau des textes ou l’élaboration de nouveau. Une entente qui a permis également d’amortir les chocs issus des attaques que le cinéma marocain va subir à plusieurs reprises. Autour de certains choix, on peut dire que le bilan de la décennie écoulée, c’était aussi le bilan de Fassi Fihri. Mais comme le dit si bien l’adage populaire « douam lhal men lmouhal » : un état durable est une chimère ! En effet, un vent de froid va souffler sur la relation entre les deux hommes et la distance va devenir une divergence, alimentée, voire attisée par les manœuvres des aigris et des déçus des années Saïl.
Des hommes et des lieux
C’est dans cet état des choses que M. Fassi Fihri arrive à la tête du CCM. Et dans un contexte diamétralement différent avec ce qu’il avait connu en tant qu’acteur « civil » du champ cinématographique. Aujourd’hui les enjeux sont d’une autre nature. Et les défis aussi. Ils détermineront en grande partie l’ordre de ses priorités.
Le premier enjeu est interne et concerne son outil de travail, à savoir l’organisme qu’il est appelé à diriger. Le CCM qu’il va découvrir n’est plus le CCM d’il y a dix ans. Sur le plan des ressources humaines, le CCM connaît une des mutations générationnelles les plus importantes de ces trente dernières années. Beaucoup de ses figures « historiques » qui ont collaboré d’une manière ou d’une autre avec M. Fassi Fihri producteur, dont certains étaient ses amis intimes,  ne sont plus là. C’est un changement radical qui va propulser de nouveaux jeunes cadres aux différents postes de responsabilités, devenus vacants suite aux départs de leurs prédécesseurs qui les ont occupés pendant des années. Un changement qui va mettre à nu une réalité longtemps passée sous silence, à savoir le sous-encadrement. Le CCM souffre cruellement de manques de cadres. Les recrutements se font au compte gouttes. C’est le premier vrai chantier qui va se poser au nouveau directeur avec en corrélation le changement de l’Organigramme du CCM qui doit s’ouvrir verticalement (l’évolution hiérarchique d’un cadre au CCM est très limitée et n’encourage pas l’arrivée de nouvelles compétences) et horizontalement avec la création de nouveaux départements qui répondent à l’évolution du secteur.
Toujours à l’intérieur du CCM, M. Fassi Fihri sera confronté chaque matin à un boulet qui pèse, celui du laboratoire. Voilà un formidable outil qui a servi énormément le cinéma marocain (un film marocain peut se fabriquer de A à Z au Maroc) et qui sert une dynamique politique de coopération internationale notamment avec les pays du sud et les Africains surtout ; un atout que son prédécesseur a brillamment utilisé au service de l’image du Maroc. Quelques semaines avant sa mort, le pionnier du cinéma africain, le sénégalais Sembene Ousmane m’a dit textuellement «  tant qu’il y a le CCM, je n’ai pas besoin de l’Europe ». Sauf que le laboratoire a mal…et ce depuis longtemps. Malgré tous les efforts qu’il a demandés. Certes, il a réussi sa mutation numérique mais c’est un véritable gouffre financier qui peine à trouver sa vitesse de croisière. Faut-il crever l’abcès et décider de changer son statut : le privatiser ? Lui donner un statut mixte public-privé ? …
Pas très loin des locaux qui abritent le laboratoire se trouve un bel édifice, celui de la cinémathèque marocaine. Souvent, en la matière ce sont les textes qui précèdent les bâtiments…sauf pour la cinémathèque qui dispose de jolis locaux, d’une très belle salle de projection mais n’a pas d’identité administrative et financière à même de lui permettre d’assumer ses  nobles fonctions. Il est triste de voir un tel investissement réduit au simple appendice, transformé en succursale ou annexes administratives. La question de la cinémathèque pose la question de la disponibilité du patrimoine cinématographique nationale. Naciri, l’ex-ministre de la communication, et Saïl ex-directeur du CCM avaient élaboré un projet ambitieux de la numérisation de  tous les films marocains pour mettre à la disposition des chercheurs et des organisateurs de manifestations cinématographiques des copies DVD de toute la filmographie marocaine. Une demande qui est devenue de plus en plus d’actualité.
Quel CCM pour demain ?
Mais au-delà des ces aspects gestionnaires, quotidiens…le vrai « combat » de Fassi Fihri et qui donnera sens à son action sera autour de l’identité du CCM lui-même ; particulièrement par rapport à son département de tutelle et par rapport aux mutations qui traversent le monde du cinéma. Le nouveau directeur a tenu à préciser qu’il ne placera pas ses rapports avec l’actuel ministre islamiste de la communication sous le signe de l’affrontement idéologique. Soit. Mais quid des prérogatives du CCM qui sont chaque jour grignotées et réduites au bénéfice des entités ad hoc ? Désormais la grande question qui pointe à l’horizon est de nature stratégique : faut-il  réadapter le CCM aux nouvelles réalités en le transformant en une véritable entité autonome, dotée de moyens et libérée du calendrier politique ? Ce qui suppose de couper le cordon ombilical avec le ministère de tutelle en le transformant en « agence nationale des industries du cinéma et de l’image » ? M. Fassi Fihri, contrairement à MM. Benbarka et Saïl, est désormais plus dépendant politiquement du gouvernement. Il est venu à ce poste dans le cade de la nouvelle constitution qui a élargi le champ de nomination du chef de gouvernement. En somme, il n’ pas la même légitimité de ses deux prédécesseurs nommés par Dahir. Si demain, le pays connaît des élections anticipées, c’est le luxe de vivre en démocratie, qui ramènent une nouvelle majorité avec un nouveau ministre de la communication, M. Fassi Fihri se verrait, dans la situation du patron obligé de frapper, chaque matin, à la porte de son bureau avant d’entrer pour vérifier qu’il n’y a pas un nouveau locataire dans les lieux ! Le cinéma ne pourrait supporter autant d’incertitude sauf à accepter de revenir à la situation de 1956 où le cinéma était un service relevant du ministère de « l’information » et où le CCM était réduit à délivrer des cartes professionnelles et des autorisations de tournage. C’est le débat que nous avions tenté de lancer à l’occasion des préparatifs du fameux livre blanc, en vain. Quel CCM pour demain ? Un département ministériel avec à sa tête un fonctionnaire qui attend de voir ses 4 années de service accomplies sans clash ou une entité portée par un projet qui transcende les choix politiques fluctuants ? C’est le paradigme qui va peser sur l’agenda à venir et va déterminer les positions des uns et des autres. Déjà la multiplication des commissions spécialisées qui sont devenues gourmandes en matière de prérogatives a instauré un climat de compétition nuisible à l’action.

Des salles pour quel public
Reste le grand chantier des salles de cinéma que M. Fihri a annoncé comme prioritaire. Il faut savoir faire preuve de modestie à cet égard. La question des salles de cinéma ne relève plus de la profession ; elle fait partie désormais des choix de société : elle ne dépend plus (ou uniquement) d’une décision administrative, elle appartient au champ des orientations politiques qui déterminent un projet de société. La donne, en effet, a complètement changé ; on est passé de l’équation les gens ne vont plus au cinéma parce qu’il n’y a plus de salles de cinéma à l’équation il n’y a plus de salle de cinéma parce que les gens ne vont plus au cinéma. On peut ouvrir une salle par ici, une autre par là…elles ne tarderont pas à fermer (le cas de la salle de cinéma à Ouarzazate) tant que cela ne s’inscrit pas dans un vaste projet de politique culturelle ; et d’un choix qui engage la société et l’Etat. La nature du problème dépasse la bonne volonté de l’acteur (Saïl en sait quelque chose) ou sa connaissance du terrain…il fait face à des paramètres environnementaux dont il n’a pas la maîtrise : repli de la cinéphilie ; irruption dans l’espace public de nombreux lieux de communion collective et de production de discours symbolique ; basculement de la société dans une culture communautaire infra-citadine ; idéologie conservatrice irrigant l’ensemble du corps social ; nouveaux réseaux de consommation domestique des images…
Baptême de feu à Tanger




Reste alors à assainir le climat au sein de la profession pour qu’elle puisse justement contribuer à ce débat de société. Et sur ce point M Fassi Fihri est très attendu. Lorsqu’il était à la tête de la Chambre des producteurs,  il était en compétition avec des concurrents. Il avait eu des dissidents de son groupe et qui seront aujourd’hui ses interlocuteurs …Là, il a  à faire preuve de tact et de savoir faire et surtout de grandeur d’esprit y compris par rapport à l’immense legs de son prédécesseur. Tout l’espoir est de ne pas le voir atteint par « le syndrome Ben Ali », du nom de l’un des anciens directeurs de 2M, appelé à succéder à Saïl en 2003 et qui consacra sa première année d’exercice à effacer les acquis réalisés et à une véritable chasse aux sorcières…ouvrant la voie au déclin actuel de la chaîne d’Aïn Sbaâ !
 Le nouveau directeur sera soumis rapidement à rude épreuve ; il n’aura même pas le temps d’apprécier le confort de son nouveau siège que des échéances vont se poser à lui comme de véritables tests ; des rites de passage comme disent les anthropologues. A commencer par le festival du court métrage  méditerranéen de Tanger dont la nouvelle édition est prévue du 13 au 18 octobre ; une édition qui a été en  grande partie préparée sous le règne de M. Saïl. Va-t-il adopter ce festival et continuer à le soutenir au moment où il connaît une grave crise financière ? Dans tous les cas, Tanger, hasard heureux comme en 1995, lu offrira une première vitrine, très prisée, pour envoyer un premier faisceau de signes…qui alimenteront les conversations dans différents salons et autres lieux préférés des gens de la profession.
Avec sa nomination officielle, une partie de son profil et de son identité ont été dévoilés au grand public ; notamment, concernant son prénom qui était réduit dans l’échange courant à Sarem ; grâce au communiqué de M. Benkirane, on apprend, en fait que son prénom entier est Sarem Alhak. Sévérité et droit ! Tout un programme. Wait and see.
Mohammed Bakrim

(1)   In Les tribulations du dernier Sijilmassi, Fouad Laroui, page 304.


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