Une femme dans l’histoire
Farida Bourquia passe pour l’une
des pionnières, sinon la pionnière tout court, du cinéma de femme au Maroc.
Après des études de cinéma dans l’ex-Union soviétique au début des années 70,
elle intègre la télévision à son retour au Maroc. Cela n’a pas été évident,
raconte-elle à Omar Salim lors de son passage dans son émission sur radio mars.
En effet, Farida Bourquia, fille du grand militant communiste, feu Abdessalam
Bourquia, leader historique de l’actuel PPS, et ayant étudié chez « les
rouges », les tenants de l’ordre à l’époque voyaient d’un œil suspect l’arrivée de cette trouble fête
d’autant plus que dans le temps c’était le super ministère de l’intérieur qui
avait en charge le département de l’information (l’ancêtre de l’actuelle
ministère de la communication). Farida Bourquia rapporte sur un ton
humoristique que son père dut avouer aux responsables de la télévision qui
l’avaient reçu que sa fille « avait tout de lui…sauf hélas mes idées
politiques ! ». Elle a ainsi rejoint la télévision marocaine au
milieu des années 70.
Mais la suspicion politique
n’était pas le seul obstacle qui a marqué les débuts de la carrière de
Bourquia ; ce fut aussi le machisme ambiant : femme et diplômée en
réalisation de surcroit, c’était trop pour un univers monopolisé par les
hommes. On pouvait accepter de voir les femmes partout sauf à ce niveau. Elle
lui a fallu ainsi galérer pendant plusieurs années et multiplier les gestes de
bonne volonté avant d’être « validée » par la domination
masculine.
Entre temps, elle n’a pas oublié
son premier amour, le cinéma. C’est ainsi qu’en 1982, elle réalise son premier
long métrage, La braise. Film au titre prémonitoire, car elle s’y est brûlée les doigts, tant les conditions de la
production étaient pénibles. D’énormes dettes issues du film pèseront sur sa
vie et sa carrière. Le scénario du film, en outre, signé Mahmoud Megri,
traitant de l’aveuglement des foules et du climat de suspicion inhérent aux
sociétés fermées, en l’occurrence ici, la campagne et qui accule les victimes
et les innocents à la marge, est une métaphore de la condition féminine. Le
film subit finalement une impasse. Farida Bourquia va alors délaisser le cinéma
et immigrer pour de longues années dans ce qui sera son œuvre majeure les
téléfilms et les feuilletons. Sa filmographie dans ce secteur audiovisuel est
très riche et a été marquée par des titres qui ont rencontré succès public et ont
récolté des prix.
De cette longue expérience, se
dégagent les signes qui vont constituer la touche de Farida Bourquia et que
nous retrouvons avec force dans ses films lors de son retour au cinéma. Il
s’agit de l’importance accordée au scénario, en faisant appel aux spécialistes
en la matière ; la présence de
femmes à forte personnalité et qui n’hésitent pas à aborder frontalement leur
destin et l’amour des comédiens. Son retour au cinéma se fait en 2005,
c’est-à-dire plus de 20 ans après La braise, avec Deux femmes sur la route. Un
road movie, sur un scénario de Youssef Fadel, du sud au nord du Maroc, un
voyage dans l’espace qui est aussi une radioscopie d’une société traumatisés
absence du mari, mort (?) du fils…Et sur un fond de problèmes nés de
l’échange avec l’autre.
En 2013, Farida Bourquia persiste
dans le cinéma et nous propose, un autre voyage, dans le temps cette fois. Avec
Zineb, la rose d’Aghmat, elle nous transpose dans le Maroc de la dynastie
amazighe celle des Almoravides qui a régné sur le Maghreb et l’Andalousie au 11ème
et 12ème siècle avec au centre du récit une figure féminine
exceptionnelle, celle de Zineb Annafzaouia. La vie de celle qui fut l’épouse
d’un des Sultans qui ont marqué l’histoire, est revisitée ici dans une sorte
d’hommage cinématographique aux allures féministes. La première expression de
cet hommage à Zineb Annafzaouia est de la faire incarner par l’une de nos plus belles
comédiennes, Fatym Layachi. Celle-ci fut au rendez-vous du rôle ; un rôle
difficile et complexe ; elle le porte de bout en bout, palliant par la
grâce qui émane de sa présence aux lacunes du scénario. Car, en optant pour ce
récit historique, Farida Bourquia a tenté une belle aventure ; la
reconstitution historique n’est pas le point fort d’un cinéma qui a forgé sa
légitimité sociale sur le scénario dit de proximité ; le scénario qui
puise dans le quotidien et ses peines. Le mérite de Farida Bourquia n’en est
pas moins évident. Elle fait une proposition autour de ce que nous avons déjà
souligné comme sa touche : un personnage féminin fort et Zineb est une
figure dramatique idéale à forte consistance sémantique. Farida Bourquia, à
partir du scénario de Mohamed Moncef Kadiri a tenté de la cerner à travers
plusieurs étapes de sa vie riche et tumultueuse. Une évolution par tableaux
successifs, le hors champ historique est limité à des brèves allusions. L’une
des séquences réussies dans ce sens est celle avec le père, incarné par Feu
Mohamed Majd. On y voit la jeune Zineb se nourrir de récit de voyages, de
contes et de lectures de livres. Un parcours initiatique qui se complétera dans
l’affrontement avec la doxa ; une femme qui a une vision du monde ne peut
être que « sorcière » ou magicienne » à bannir ou …à marier.
Le film s’attarde sur cette
dimension chronologique et anecdotique (les récits de conflits
inter-principautés ; les différents mariages de Zineb…) au détriment de la
rencontre avec l’homme qui donnera une autre dimension à sa personnalité,
Youssef Ibn Tachefine. Le chef de guerre, puis Emir, puis Sultan régnant sur un
vaste empire. Le scénario est finalement victime de sa trop grande
ambition ; trop étalé dans le temps, handicapé par les conditions de
production qui réduisent son évolution à une succession de scènes intérieures,
il a manqué de concentration sur l’essentiel : comment cette femme a forcé
et a forgé un destin au point de marquer les esprits et d’inscrire son nom au
Panthéon de notre imaginaire.
Mohammed Bakrim
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