l'anniversaire de Latif Lahlou
Radioscopie d’une élite
Chaque nouveau film de Latif
Lahlou est une bonne nouvelle en soi. Il confirme, en effet, une
caractéristique majeure du cinéma marocain, à savoir sa diversité
générationnelle. Latif Lahlou appartient
en effet à la génération des pionniers ; il est lauréat de la célèbre
école de cinéma parisienne l’IDHEC, section montage, en 1959. Que son nouveau
film, L’anniversaire soit aujourd’hui en 2014, à l’affiche simultanément avec
le film de Farida Bourquia, qui appartient à la génération intermédiaire, et le
film de Hicham Lasri, la nouvelle génération, est une illustration éloquente de
cette diversité. Cela est d’autant plus pertinent que le cinéma de Latif Lahlou
offre des constantes et des marques qui en font un corpus cohérent susceptible
de constituer une matière d’analyse et une référence aux jeunes cinéastes.
C’est un cinéma, à mon sens, qui est marqué par deux phases essentielles que
l’on peut résumer rapidement sous forme d’hypothèses, à confirmer par
l’analyse. Deux phases qui se succèdent dans le temps et qui portées par des
films qui se distinguent par leur format, leur genre, leur thématique et leur
univers de référence.
Sin agafaye, court métrage, 1967
On peut parler à ce propos d’une première phase qualifiée de socio-ethngraphique ; celle qui va, grosso modo de 1959 à 1969 ; marquée par la réalisation d’une vingtaine de courts et moyens métrages inscrits dans l’approche de la ruralité et dont l’œuvre emblématique est Sin Agafaye (les deux canaux, en langue amazigh). Ce court métrage de 1967, constituant une œuvre phare de cette période faste du documentaire marocain. Sin agafaye aborde une réalité complexe, celle de restituer un rite ancestral, relatif au partage communautaire de l’eau, en mettant en relief, par le seul travail de l’image, l’apport de l’investissement humain dans le dur labeur qu’imposent les conditions de vie à la campagne.
Sin agafaye, court métrage, 1967
On peut parler à ce propos d’une première phase qualifiée de socio-ethngraphique ; celle qui va, grosso modo de 1959 à 1969 ; marquée par la réalisation d’une vingtaine de courts et moyens métrages inscrits dans l’approche de la ruralité et dont l’œuvre emblématique est Sin Agafaye (les deux canaux, en langue amazigh). Ce court métrage de 1967, constituant une œuvre phare de cette période faste du documentaire marocain. Sin agafaye aborde une réalité complexe, celle de restituer un rite ancestral, relatif au partage communautaire de l’eau, en mettant en relief, par le seul travail de l’image, l’apport de l’investissement humain dans le dur labeur qu’imposent les conditions de vie à la campagne.
La seconde phase, peut être qualifiée
de socio-psychologique…qui voit la caméra et le regard de Latif Lahlou
opérer un redéploiement stratégique et qui commence avec Soleil de printemps,
long métrage de fiction (1969). On passe alors à une dramaturgie urbaine, à un
recentrage sur les caractères, la psychologie de personnages inscrits, à
l’image de la société marocaine, dans un processus de modernité. Les images
d’ouverture de Soleil de printemps sont à ce propos éloquentes ; elles
disent le nouveau contexte marqué par la verticalité (les fameux immeubles de
l’avenue des FAR à Casablanca) en lieu et place de l’horizontalité des plaines
du Haouz. Le personnage principal est un petit fonctionnaire, originaire de la
campagne comme pour assurer la transition avec les personnages futurs et
annoncer le nouveau scénario de la filmographie de Latif Lahlou. Un scénario
urbain par excellence.
Le cinéaste va s’atteler en effet
à un travail de décryptage des rapports sociaux au sein des nouvelles couches
aisées de la société marocaine. La compromission (1986), suit, sur fond
de luttes des classes, l’évolution d’un
jeune cadre, architecte de formation. Ses idées généreuses au départ finissent
par s’engluer dans une série de compromis. Cette impasse d’une couche sociale
sera illustrée métaphoriquement par l’impuissance au double sens du mot du
bourgeois rural du film, Les jardins de Samira (2007) en déplaçant
le drame vers le lieu de l’intimité, la chambre à coucher, Latif Lahlou dévoile
l’hypocrisie, la frustration et le désir de vie qui traversent en filigrane l’univers
aux fausses apparences d’une société bloquée.
Blocage qui suppose, pour son dépassement,
une énergie nouvelle, celle par exemple que vient prôner le jeune cadre de La
grande villa (2009). Fraîchement rentré de son exil doré, Rachid, bute sur
des obstacles à la fois de nature bureaucratique et culturelle. Son couple
mixte, marié à une européenne, qui est
tout un programme symbolique de symbiose entre ici et ailleurs entre tradition
et modernité, tombe à l’eau. « Les poches de résistance » sont
hostiles à toute velléité de changement. Le couple lui-même qui offre une
métonymie du projet social de Rachid subit les soubresauts de ce blocage.
Le nouvel opus de Latif Lahlou, L’anniversaire
(2014) synthétise ce processus, et va plus loin encore en radicalisant certains
choix dramatiques au niveau de la responsabilité qu’il fait incomber clairement
à certaines couches sociales, les intellectuels notamment. C’est une
radioscopie sans concession que nous offre Latif Lahlou de l’élite issue de
l’ouverture politique du nouveau régime, à l’orée des années 2000.
Le couple de Saïd et Ghita sont l’illustration
de la génération qui a bénéficié des années fric. Tout leur environnement matériel dit le
confort et l’aisance sauf que le bonheur n’est pas au rendez-vous. Saïd,
architecte (personnage récurrent chez Latif Lahlou) pense trouver son harmonie
en reprenant son projet de Cité verte. Ghita propose de monter une fête pour
célébrer son anniversaire, prétexte pour renouer le lien familial et social. Anniversaire,
celui-là même qui donne son titre au film. Ce récit-cadre englobe d’autres
micro-récits qui nous permettent de découvrir le couple Ahmed et Jamila qui
fonctionne en contre-champ du couple principal. Ici, c’est le calcul et
l’opportunisme qui sont mis en avant comme programme d’ascension sociale…y
compris pour récupérer le projet utopique de Said et l’inscrire dans une
démarche de marketing politique.
L’évolution dramatique va suivre
deux fils directeurs : les préparatifs de la fête et le désir de paternité
d’Anouar l’artiste que tente de porter
Adiba. La fête deviendra alors, le lieu où les choix antagoniques vont
se révéler au grand jour offrant au scénario son climax ; et le projet de
grossesse d’Adiba offre à l’ensemble du récit son issue symbolique. Une issue
qui a la forme d’un constat accablant. L’artiste n’aura pas de prolongement (sa
femme échoue à réussir sa grossesse.
Les trois couples sont incarnés
par des interprètes qui en donnent une varie consistance tant la congruence est
forte entre les comédiens choisis et les personnages qu’ils incarnent. Pour
Said et Ghita, Younes Megri et Amal Ayouch sont sur le registre de la
maturité ; ils ont accompagné toute cette dynamique du cinéma marocain.
Pour Ahmed et Jamila, le choix porté sur Hamid Basket et Sanaa Mouziane est
pertinent. Pour le couple artiste, Anouar et Adiba, Abdellatif Chawqui et
Fatimazahra Jouhari le mettent sous le signe de la beauté et de la fraîcheur.
Cependant le récit ne fonctionne
pas complètement comme un système fermé, il y a des personnages qui jouent à
introduire des ouvertures, les enfants bien sûr, mais il y a aussi un
personnage adulte qui refuse de s’enfermer dans une logique quasiment fataliste
de la reproduction du même modèle social ; il s’agit de Touria (rebelle en
arabe ?) incarnée justement par une figure médiatique qui dans sa pratique
de tous les jours refuse de remonter les sentiers battus, Sanaa Elaji.
Mohammed Bakrim
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