vendredi 16 mai 2014

Mohamed Laroussi et la question du scénario

Nous avons besoin de producteurs qui investissent dans l’écriture !

Mohamed Laroussi est une figure connue et estimée dans le paysage audiovisuel marocain. Ecrivain, chroniqueur, homme de publicité et aujourd’hui scénariste. Il nous parle ici de son métier et de sa collaboration avec Latif Lahlou


De la publicité à l’écriture dramatique, c’est « un scénario  prémédité » ? Ou le scénariste était déjà là en filigrane dans l’activité de création de concepts et d’images ?

Non, ce n’est pas un « scénario prémédité », mais c’est un scénario qui était envisagé depuis tout le temps. Il fallait juste que je trouve le temps… En fait, je n’ai pas réellement sauté d’étapes car bien avant la pub, j’ai toujours écrit, mais j’ai très peu publié : des poèmes, des nouvelles, des articles de tout genre dont des critiques de films et plein d’autres trucs plus ou moins sérieux…
Plus sérieusement, je n’ai jamais arrêté d’écrire, que soit avant ma carrière dans la pub, pendant et après. Quand j’étais publicitaire, dans une vie antérieure qui a duré près de 30 ans, je concevais la plupart des concepts et des slogans et j’écrivais la majorité des textes publicitaires. Mais, en parallèle, je m’amusais régulièrementen publiant des billets d’humeur ou des chroniques un peu partout dans la presse nationale. Par ailleurs, j’ai même publié trois ouvrages dont un roman.
Enfin, pour revenir au cinéma, j’ai toujours été très proche de mes amis cinéastes Marocains et j’étais toujours très heureux de les recevoir dans mon bureau à chaque foisqu’ils venaient demander mon avis ou des conseils sur leurs projets de scénarios. J’ai même participé à l’écriture de certains d’entre eux. Donc, voyez-vous, même si tout cela n’était pas tout à fait prémédité, l’intention très forte y était…
Quel regard portes-tu aujourd’hui sur l’état du scénario marocain par rapport au regain que connaît la production de la fiction ? Le scénariste a-t-il enfin conquis le statut qui devrait être le sien dans une configuration professionnelle de la profession ?

-Je dois vous avouer que le regard que je porte sur l’état du scénario dans notre pays n’est pas très tendre. Justement, ce qui est paradoxal, c’est que l’heureux et le bienvenu développement quantitatif de la production des fictions me semble inversement proportionnel à leur qualité. Il y a plusieurs raisons à cette situation, notamment la pauvreté des scénarios.Cela est dû en particulier par l’absence de vrais producteurs, c’est à dire des professionnels qui ont une vraie vision et une vraie passion du cinéma, qui ont les moyens de leurs ambitions et qui acceptent d’investir les montants nécessaires et naturellement conséquents dans l’écriture de scénarios. Je sais qu’il y a beaucoup de scénaristes très talentueux, mais qui refusent - et ils ont bien raison –d’écrire pendant des mois et attendre pour être payés l’avance sur recette, si avance il y a… Alors, qu’est-ce qui arrive ? Les pseudos producteurs confient l’écriture de leurs projets aux « gentils », aux « dociles », bref, aux «  patients ». Et le résultat, on le voit hélas très vite à l’image… Je pense que tant qu’on ne donne pas toute l’importance due au scénario, et donc au scénariste, dans le processus de production, la qualité de nos films restera toujours très aléatoire…
Comment a été menée l’écriture de L’anniversaire notamment par rapport à l’échange avec le cinéaste ? Peut-on dire que c’est un script qui met davantage en en avant « les caractères »au sens anglo-saxon du mot et la description du contexte très marqué socialement?
Je vais vous raconter l’histoire de cette collaboration. Latif Lahlou, qui est un ami de longue date, était sur un autre projet de long métrage ; je crois sur l’histoire de la lutte contre protectorat ou quelque chose de similaire. Mais, m’avait t-il raconté, après avoir lu mon roman – « Marx est mort, mon amour » - cela avait réveillé chez lui un vieux projet de film sur le thème de « que sont-ils devenus ? », « ils » étant les anciens militants de la gauche Marocaine des années 70 et 80 qui rêvaient de larévolution prolétarienne et du « Grand soir ». Alors, il m’avait appelé pour me proposer d’écrire un scénario sur ce sujet et j’avais aussitôt donné mon accord. Quand il m’avait rappelé quelques semaines plus tard pour concrétiser ce projet, j’avais entretemps créé une société dédiée à l’écriture, à la formation et au conseil, en association avec une amie scénariste belge, Géraldine Bueken. Et c’est ainsi que j’ai proposé à Latif Lahlou d’écrire le scénario avec la collaboration de Géraldine, chose qu’il avait acceptée après une petite réticence somme toute naturelle. L’écriture a duré près d’un an pour la livraison de la première mouture. Plusieurs autres versions se sont succédées par la suite. Le projet a bénéficié de l’avance sur recette pour notre grand bonheur et celui de Latif. 
Le script voulaits’interroger sans trop juger sur ce qui reste des rêves de certains militants de la gauche et des valeurs qu’ils défendaient durantces années-là. Comme ils sont devenus pour la plupartdes gens plus ou moins aisés, notamment par la force de leurs diplômes et du contexte historique de l’époque, l’objectif de ce film était de montrer que non seulement ils avaient changé, ce qui est plutôt normal, mais surtout que eux aussi ont des problèmes et des soucis, qu’ils peuvent parfois tomber malades, souffrir, être tristes, avoir des doutes ou des angoisses, bref, qu’ils sont devenus comme tout le monde. Certains pourraient nous reprocher de s’intéresser aux riches alors qu’il y a tant de « pauvres » dans notre pays. Je dirais d’abord que ce n’est pas un film sur les riches mais plutôt sur une certaine élite. Ensuite, ce n’est pas un crime. Et enfin « les riches » du film « l’anniversaire »ne sont pas comme les autres car cesont presque tous d’anciens  pauvres et surtout presque tous d’anciens rêveurs… J’espère en tout cas que ce film fera débat.
Interview réalisée par Mohammed Bakrim

(mai 2014)

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