Nous
avons besoin de producteurs qui investissent dans l’écriture !
Mohamed
Laroussi est une figure connue et estimée dans le paysage audiovisuel marocain.
Ecrivain, chroniqueur, homme de publicité et aujourd’hui scénariste. Il nous
parle ici de son métier et de sa collaboration avec Latif Lahlou
De
la publicité à l’écriture dramatique, c’est « un scénario
prémédité » ? Ou le scénariste était déjà là en filigrane dans
l’activité de création de concepts et d’images ?
Non,
ce n’est pas un « scénario prémédité », mais c’est un scénario qui
était envisagé depuis tout le temps. Il fallait juste que je trouve le temps…
En fait, je n’ai pas réellement sauté d’étapes car bien avant la pub, j’ai
toujours écrit, mais j’ai très peu publié : des poèmes, des nouvelles, des
articles de tout genre dont des critiques de films et plein d’autres trucs plus
ou moins sérieux…
Plus
sérieusement, je n’ai jamais arrêté d’écrire, que soit avant ma carrière dans
la pub, pendant et après. Quand j’étais publicitaire, dans une vie antérieure
qui a duré près de 30 ans, je concevais la plupart des concepts et des slogans
et j’écrivais la majorité des textes publicitaires. Mais, en parallèle, je m’amusais
régulièrementen publiant des billets d’humeur ou des chroniques un peu partout
dans la presse nationale. Par ailleurs, j’ai même publié trois ouvrages dont un
roman.
Enfin,
pour revenir au cinéma, j’ai toujours été très proche de mes amis cinéastes Marocains
et j’étais toujours très heureux de les recevoir dans mon bureau à chaque
foisqu’ils venaient demander mon avis ou des conseils sur leurs projets de
scénarios. J’ai même participé à l’écriture de certains d’entre eux. Donc,
voyez-vous, même si tout cela n’était pas tout à fait prémédité, l’intention
très forte y était…
Quel
regard portes-tu aujourd’hui sur l’état du scénario marocain par rapport au
regain que connaît la production de la fiction ? Le scénariste a-t-il
enfin conquis le statut qui devrait être le sien dans une configuration
professionnelle de la profession ?
-Je dois vous avouer que le regard
que je porte sur l’état du scénario dans notre pays n’est pas très tendre. Justement,
ce qui est paradoxal, c’est que l’heureux et le bienvenu développement
quantitatif de la production des fictions me semble inversement proportionnel à
leur qualité. Il y a plusieurs raisons à cette situation, notamment la pauvreté
des scénarios.Cela est dû en particulier par l’absence de vrais producteurs,
c’est à dire des professionnels qui ont une vraie vision et une vraie passion
du cinéma, qui ont les moyens de leurs ambitions et qui acceptent d’investir
les montants nécessaires et naturellement conséquents dans l’écriture de
scénarios. Je sais qu’il y a beaucoup de scénaristes très talentueux, mais qui
refusent - et ils ont bien raison –d’écrire pendant des mois et attendre pour être
payés l’avance sur recette, si avance il y a… Alors, qu’est-ce qui
arrive ? Les pseudos producteurs confient l’écriture de leurs projets aux
« gentils », aux « dociles », bref, aux «
patients ». Et le résultat, on le voit hélas très vite à l’image… Je pense
que tant qu’on ne donne pas toute l’importance due au scénario, et donc au
scénariste, dans le processus de production, la qualité de nos films restera
toujours très aléatoire…
Comment a été menée
l’écriture de L’anniversaire notamment par rapport à l’échange avec le
cinéaste ? Peut-on dire que c’est un script qui met davantage en en avant « les
caractères »au sens anglo-saxon du mot et la description du contexte très
marqué socialement?
Je vais vous raconter l’histoire de
cette collaboration. Latif Lahlou, qui est un ami de longue date, était sur un
autre projet de long métrage ; je crois sur l’histoire de la lutte contre
protectorat ou quelque chose de similaire. Mais, m’avait t-il raconté, après
avoir lu mon roman – « Marx est mort, mon amour » - cela avait
réveillé chez lui un vieux projet de film sur le thème de « que sont-ils
devenus ? », « ils » étant les anciens militants de la
gauche Marocaine des années 70 et 80 qui rêvaient de larévolution prolétarienne
et du « Grand soir ». Alors, il m’avait appelé pour me proposer
d’écrire un scénario sur ce sujet et j’avais aussitôt donné mon accord. Quand
il m’avait rappelé quelques semaines plus tard pour concrétiser ce projet,
j’avais entretemps créé une société dédiée à l’écriture, à la formation et au
conseil, en association avec une amie scénariste belge, Géraldine Bueken. Et
c’est ainsi que j’ai proposé à Latif Lahlou d’écrire le scénario avec la
collaboration de Géraldine, chose qu’il avait acceptée après une petite
réticence somme toute naturelle. L’écriture a duré près d’un an pour la
livraison de la première mouture. Plusieurs autres versions se sont succédées
par la suite. Le projet a bénéficié de l’avance sur recette pour notre grand
bonheur et celui de Latif.
Le script voulaits’interroger sans
trop juger sur ce qui reste des rêves de certains militants de la gauche et des
valeurs qu’ils défendaient durantces années-là. Comme ils sont devenus pour la
plupartdes gens plus ou moins aisés, notamment par la force de leurs diplômes
et du contexte historique de l’époque, l’objectif de ce film était de montrer
que non seulement ils avaient changé, ce qui est plutôt normal, mais surtout que
eux aussi ont des problèmes et des soucis, qu’ils peuvent parfois tomber malades,
souffrir, être tristes, avoir des doutes ou des angoisses, bref, qu’ils sont
devenus comme tout le monde. Certains pourraient nous reprocher de s’intéresser
aux riches alors qu’il y a tant de « pauvres » dans notre pays. Je
dirais d’abord que ce n’est pas un film sur les riches mais plutôt sur une
certaine élite. Ensuite, ce n’est pas un crime. Et enfin « les
riches » du film « l’anniversaire »ne sont pas comme les autres
car cesont presque tous d’anciens pauvres
et surtout presque tous d’anciens rêveurs… J’espère en
tout cas que ce film fera débat.
Interview réalisée par Mohammed
Bakrim
(mai 2014)
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