Les films documentaires de la
sixième édition du Fidadoc d’Agadir qui a pris fin samedi avec la proclamation
du palmarès (voir encadré) restituent une image éclatée, diversifiée d’un monde
complexe et tumultueux. Les jeunes et les femmes ont la part belle dans
l’écriture « du scénario » documentaire de notre région. Et c’est un
regard souvent porté par des réalisatrices ; les films les plus forts, les
plus marquants de cette édition sont en effet l’œuvre de femmes : Le
journal de Shéhérazade de la libanaise Zeina Daccache, Des murs et des hommes
de la franco-marocaine Dalila Ennadre ou encore Gardians of the time lost de la
libanaise Diala Kashmar, pour ne citer que quelques films de la compétition
officielle, en sont une brillante illustration.
Entre temps un film, Elgort du
tunisien Hamza Aouni, pose tout en abordant la thématique récurrence du destin
de la jeunesse, des questions inhérentes à ce que serait la position juste de
la caméra dans le traitement d’un sujet sensible. Hamza a opté pour
l’identification totale entre l’énoncé et l’énonciation au point que ce n’est
pas le cinéaste qui est venu représenter le film à Agadir mais l’un des deux
jeunes protagonistes, celui qui est allé très loin dans sa descente aux enfers,
triste jeu de mots puisqu’il va s’immoler au feu dans le remake du geste
de Bouazizi emblème de l’échec d’une
société à se réconcilier sa jeunesse. Aouni a suivi ses personnages, jeunes
ouvriers travaillant dans le commerce du foin entre le nord de la Tunisie et
son sud. Suivre est peu dire, la caméra en fait va les accompagner et faire
carrément partie de leur vie ; rien n’est épargné au spectateur ; les
mots crus reflètent de images de même nature jusqu’drame finalement quand la caméra
s’arrête sur les blessures cicatrices du jeune sauvé in extremis des
conséquences de son geste fatal. Ce microcosme est nourri des échos de la
grande histoire qui donne l’impression de se dérouler sur une autre planète, on
la reçoit par bribes. Dans leur road movie les deux jeunes commentent les
événements (le film a été tourné avant, pendant et après la chute de Benali) et
dressent un bilan accablant de ce qui a été présenté comme une révolution.
Cette ligne de désespoir relie,
dans une approche différente, le film tunisien avec Gardians oh the lost time de Diala Khashmar.
A la différence qu’ici, la réalisatrice a choisi des jeunes immobiles, ils sont
là, le soir comme des gardiens du temps ; mais le discours est le même
celui qui émane d’un horizon obstrué voire inexistant. A la question « que
feras-tu dans dix ans ? » l’un des protagonistes
répond : « je serai encore là ». La réalisatrice a opté
pour une démarche transparente n’hésitant pas à dévoiler le dispositif qui
préside à la réalisation du film : elle apparaît à l’écran ; elle est
interpellée par ses « personnages » ; la mise en scène se
déroule comme un jeu d’équilibre entre les forces en présence ; on sent
que c’est un jeu fragile qui risque de déraper à tout instant.
La mise en scène d’un désespoir
urbain est le dénominateur commun entre le film libanais et celui de la
marocaine de Dalila ennadre qui fait d’abord geste de fidélité en revenant à
son quartier d’origine La médina de Casablanca et celui qui a porté son film
célèbre Albatalat. Ci ce dernier était un hommage à la gent féminine d’origine
modeste te populaire, Des murs et des hommes se présentent davantage comme une
radioscopie d’un lieu ou plutôt la nostalgie d’un lieu qui n’existe plus ou du
moins comme simple souvenir ressassé par les nostalgiques. Le film est
fortement structuré et révèle une écriture murie et maitrisée en amont. Il est porté
par une voix off qui émane de la nuit des origines ; c’est la voix d’Anfa,
l’ancêtre de Casablanca qui pleure l’état délabré de ce haut lieu de la mémoire.
Cette voix off qui scande « le récit », donne au film une forme de conte, et du coup
ses personnages deviennent comme des éléments dramatiques qui viennent meubler
un schéma narratif. Le réel est scénarisé ; aucun élément ne vient faire
irruption, comme dans la vie, pour mettre de l’imprévu, de l’aléatoire dans le
déroulement presque mécanique de ce drame.
La caméra de Dalila dit
franchement de qu’elle côté elle se situe, refuse « l’objectivité de
l’objectif » et sa voix vient confirmer et assumer…La médina que son film
restitue, est celle de coup de cœur même s’il vire souvent en coup de gueule.
Qui aime bien…
Face à cet
enfermement/emprisonnement dans le désespoir et ciel ouvert, Zeina Daccache
développe une antithèse avec son Journal de Shahrazade ; ses héroïnes sont
dans une vraie prion et les murs ne sont pas des barrières sociales et ou
psychologiques ; ce sont des murs renforcés de grilles et de gardes…et
pourtant le film dégage un désir de vie immense ; ses prisonnières deux
fois victimes sont belles et volontaires ; elles s’engagent dans une
action de réinsertion sociale et développe un projet. Elles ne se contentent
pas de « soutenir » les murs et de ressasser un destin impitoyable.
Elles l’assument pleinement à l’image de la caméra de Daccache qui prend à bras le corps ce récit
de rédemption par l’échange ; la parole reprise ; elle est partie
prenante de la catharsis. L’humour, parfois noir, parfois drôle, les silences
offrent aussi au spectateur une distance pour construire son empathie dans la
prise de conscience et non comme résultat d’une manipulation.
Mohammed Bakrim
Encadré :
Le
Palmarès du FIDADOC 2014
A l’issue
de ses délibérations le jury international du Fidadoc a décerné les prix
suivants :
Le Grand prix : Examen
d’Etat (Congo)
Le prix du jury : Ne me
quitte pas (Belgique-Pays bas)
Prix des droits humains : Le
journal de Shahrazade (Liban)
Les prix parallèles :
Prix 2M : Des murs et des
hommes (Maroc)
Prix du public : Des murs et
des hommes (Maroc)
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