lundi 5 mai 2014

Prisons et prisons

Des murs, des larmes et des questions


Les films documentaires de la sixième édition du Fidadoc d’Agadir qui a pris fin samedi avec la proclamation du palmarès (voir encadré) restituent une image éclatée, diversifiée d’un monde complexe et tumultueux. Les jeunes et les femmes ont la part belle dans l’écriture «  du scénario » documentaire de notre région. Et c’est un regard souvent porté par des réalisatrices ; les films les plus forts, les plus marquants de cette édition sont en effet l’œuvre de femmes : Le journal de Shéhérazade de la libanaise Zeina Daccache, Des murs et des hommes de la franco-marocaine Dalila Ennadre ou encore Gardians of the time lost de la libanaise Diala Kashmar, pour ne citer que quelques films de la compétition officielle, en sont une brillante illustration.
Entre temps un film, Elgort du tunisien Hamza Aouni, pose tout en abordant la thématique récurrence du destin de la jeunesse, des questions inhérentes à ce que serait la position juste de la caméra dans le traitement d’un sujet sensible. Hamza a opté pour l’identification totale entre l’énoncé et l’énonciation au point que ce n’est pas le cinéaste qui est venu représenter le film à Agadir mais l’un des deux jeunes protagonistes, celui qui est allé très loin dans sa descente aux enfers, triste jeu de mots puisqu’il va s’immoler au feu dans le remake du geste de   Bouazizi emblème de l’échec d’une société à se réconcilier sa jeunesse. Aouni a suivi ses personnages, jeunes ouvriers travaillant dans le commerce du foin entre le nord de la Tunisie et son sud. Suivre est peu dire, la caméra en fait va les accompagner et faire carrément partie de leur vie ; rien n’est épargné au spectateur ; les mots crus reflètent de images de même nature jusqu’drame finalement quand la caméra s’arrête sur les blessures cicatrices du jeune sauvé in extremis des conséquences de son geste fatal. Ce microcosme est nourri des échos de la grande histoire qui donne l’impression de se dérouler sur une autre planète, on la reçoit par bribes. Dans leur road movie les deux jeunes commentent les événements (le film a été tourné avant, pendant et après la chute de Benali) et dressent un bilan accablant de ce qui a été présenté comme une révolution.
Cette ligne de désespoir relie, dans une approche différente, le film tunisien avec  Gardians oh the lost time de Diala Khashmar. A la différence qu’ici, la réalisatrice a choisi des jeunes immobiles, ils sont là, le soir comme des gardiens du temps ; mais le discours est le même celui qui émane d’un horizon obstrué voire inexistant. A la question « que feras-tu dans dix ans ? » l’un des protagonistes répond : « je serai encore là ». La réalisatrice a opté pour une démarche transparente n’hésitant pas à dévoiler le dispositif qui préside à la réalisation du film : elle apparaît à l’écran ; elle est interpellée par ses « personnages » ; la mise en scène se déroule comme un jeu d’équilibre entre les forces en présence ; on sent que c’est un jeu fragile qui risque de déraper à tout instant.
La mise en scène d’un désespoir urbain est le dénominateur commun entre le film libanais et celui de la marocaine de Dalila ennadre qui fait d’abord geste de fidélité en revenant à son quartier d’origine La médina de Casablanca et celui qui a porté son film célèbre Albatalat. Ci ce dernier était un hommage à la gent féminine d’origine modeste te populaire, Des murs et des hommes se présentent davantage comme une radioscopie d’un lieu ou plutôt la nostalgie d’un lieu qui n’existe plus ou du moins comme simple souvenir ressassé par les nostalgiques. Le film est fortement structuré et révèle une écriture murie et maitrisée en amont. Il est porté par une voix off qui émane de la nuit des origines ; c’est la voix d’Anfa, l’ancêtre de Casablanca qui pleure l’état délabré de ce haut lieu de la mémoire. Cette voix off qui scande « le récit »,  donne au film une forme de conte, et du coup ses personnages deviennent comme des éléments dramatiques qui viennent meubler un schéma narratif. Le réel est scénarisé ; aucun élément ne vient faire irruption, comme dans la vie, pour mettre de l’imprévu, de l’aléatoire dans le déroulement presque mécanique de ce drame.
La caméra de Dalila dit franchement de qu’elle côté elle se situe, refuse « l’objectivité de l’objectif » et sa voix vient confirmer et assumer…La médina que son film restitue, est celle de coup de cœur même s’il vire souvent en coup de gueule. Qui aime bien…
Face à cet enfermement/emprisonnement dans le désespoir et ciel ouvert, Zeina Daccache développe une antithèse avec son Journal de Shahrazade ; ses héroïnes sont dans une vraie prion et les murs ne sont pas des barrières sociales et ou psychologiques ; ce sont des murs renforcés de grilles et de gardes…et pourtant le film dégage un désir de vie immense ; ses prisonnières deux fois victimes sont belles et volontaires ; elles s’engagent dans une action de réinsertion sociale et développe un projet. Elles ne se contentent pas de « soutenir » les murs et de ressasser un destin impitoyable. Elles l’assument pleinement à l’image de la caméra de  Daccache qui prend à bras le corps ce récit de rédemption par l’échange ; la parole reprise ; elle est partie prenante de la catharsis. L’humour, parfois noir, parfois drôle, les silences offrent aussi au spectateur une distance pour construire son empathie dans la prise de conscience et non comme résultat d’une manipulation.
Mohammed Bakrim
 Encadré :
Le Palmarès du FIDADOC 2014
A l’issue de ses délibérations le jury international du Fidadoc a décerné les prix suivants :
Le Grand prix : Examen d’Etat (Congo)
Le prix du jury : Ne me quitte pas (Belgique-Pays bas)
Prix des droits humains : Le journal de Shahrazade (Liban)
Les prix parallèles :
Prix 2M : Des murs et des hommes (Maroc)

Prix du public : Des murs et des hommes (Maroc)

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