Entretien avec Latif Lahlou
"J'ai opté pour une écriture sobre et limpide..."
Le
nouveau film de Latif Lahlou, L’anniversaire est sur les écrans du Royaume à
partir du 14 mai. Latif Lahlou est natif
d’El-Jadida en 1939 ; il est lauréat de l’IDHEC, promotion 1959. Sa
filmographie dans les années 60 compte de nombreux courts et moyens métrages
documentaires et docu-fiction. Il a également travaillé pour la télévision. Il
est également producteur. L’anniversaire
est son cinquième long métrage.
Comment s’est fait le travail d’écriture du
scénario ? C’est une idée que vous avez confiée à vos scénaristes, et
prolongée par un cahier des charges concernant les personnages, le milieu
social…
L’idée première était de décrire des
comportements sociaux et psychologiques
de certaines personnes appartenant à ce qu’on appelle l’élite ;
c'est-à-dire une caste sociale décisionnaire par sa situation économique
prédominante, sa classe d’origine, sa scolarité, ses alliances etc…Je voulais
les présenter dans une phase particulière de l’existence : la
cinquantaine, phase dans laquelle l’individu marque une réflexion et un questionnement sur son passé, son
présent et son devenir.
Je ne suis pas scénariste professionnel, ni
scénariste tout court ; aussi pour mes films je m’arrange toujours pour
travailler avec des écrivains ou des scénaristes professionnels : c’est le
cas pour L’ANNIVERSAIRE : j’ai demandé à mon ami Mohamed Laroussi de
travailler avec moi sur le développement de mon idée originale. Mohamed
Laroussi s’est attaché la collaboration de Géraldine Bueken qui est scénariste
professionnelle belge, mariée à un
professionnel marocain de l’audiovisuel et vivant au Maroc.
Je n’ai pas dressé un cahier des charges – ce
n’était pas une commande pour la fourniture d’une paire de chaussures ou d’un
costume pour aller au bal – mais dans une note d’intention, j’ai essayé de
préciser ce que j’entendais exposer en matière d’idées, de personnages, de
décors, d’ambiances et évidement de
façon de raconter en exposant les grandes lignes de l’architecture
dramaturgique du film.
Le travail d’écriture s’est en fait réalisé à
fur et à mesure de la lecture critique des premiers travaux et des apports très
pertinents de Laroussi et Géraldine Bueken : nous passions en
revue scène par scène et énumérions
l’apport de chaque élément en relevant les manques ou en enrichissant la
scène par des apports nouveaux…. Environ un mois après chaque réunion à trois, Laroussi
et Géraldine m’envoyaient le résultat de leur cogitation : je lisais, faisais
des remarques si j’en avais et quelques jours après, une autre journée de
travail à trois devenait nécessaire et utile pour l’avancement de l’écriture.
La première mouture du scénario établie, nous
l’avons présentée à l’avance sur recettes sachant que nous devions reprendre
l’écriture pour une version définitive si l’avance sur recettes nous était
accordée : après l’accord de la commission de l’avance sur recettes sur le
projet, nous avons repris le travail tout en menant en parallèle les préparatifs de production : casting,
décors, équipe technique etc… Cela a durée 14 mois par ce que je tenais à
travailler avec certaines comédiennes et comédiens dans des décors
particuliers.
Une constante marque votre filmographie, celle de décrypter les
milieux de la bourgeoisie, urbaine dans La compromission, La grande villa,
L’anniversaire ou rurale dans Les jardins de Samira…on n’hésite pas à dire de
vous « le Chabrol marocain »
La bourgeoisie, urbaine ou rurale, est
décisionnaire dans pratiquement tout ce qui concerne notre vie sociale et
culturelle par son pouvoir économique, ses pouvoirs politiques (le
gouvernement central , les pouvoirs
locaux), les pouvoirs culturels : ce sont les bourgeois et les fils de
bourgeois qui fréquentent les universités
, ce sont eux qui tiennent les pouvoirs dans les médias, ce sont eux qui
élaborent, énoncent et font appliquer les idéologies passéistes et rétrogrades par ce qu’ils contrôlent tous les pouvoirs….)
Il faut bien s’immiscer dans leur vie de tous
les jours pour en observer quelques détails révélateurs et les présenter au public pour qu’ensemble
nous puissions en parler…C’est un peu l’idée du film…C’est tout simplement
participer à la conscientisation des
citoyens…Vous savez bien, je ne suis ni un idéologue ni un moralisateur ou un
prêcheur…Je suis seulement un cinéaste qui essaie d’observer le réel avec le
maximum d’objectivité et le transmet aux spectateurs sous forme de réalité vraisemblable
et crédible.
Quand à Claude Chabrol, j’aime bien quelques
uns de ses films mais je vous confirme simplement que je suis Latif Lahlou,
cinéaste marocain, né, vivant et travaillant au Maroc pour les marocains depuis
50 ans, ni plus ni moins.
Dans L’anniversaire nous retrouvons des
micro-récits qui s’entrecroisent avec au centre l’histoire de cet architecte
qui rêve d’une « cité verte », une forme d’utopie : cela sonne
comme une métaphore de toute une génération, la vôtre notamment qui a porté le
rêve d’une nouvelle « architecture sociale »
Latif Lahlou dans son bureau à Casa (photo bakrim, 2014)
Votre observation est fort pertinente et reflète avec justesse mon propos. C’est
vrai que depuis mon adolescence je rêve d’une société juste qui respecte la
dignité de l’individu et qui glorifie l’humanisme que chacun de nous porte
profondément dans son fort intérieur…
La cité verte de mon architecte, ancien
militant de gauche est une utopie : c’est vrai c’est un rêve magnifique
auquel on voudrait tous croire et qui pourrait arriver un jour sous une forme
ou une autre – qui sait- ?
Notre personnage, - était prêt à faire des
concessions – douloureuses certes mais utiles
lui semble –t-il, pour concrétiser son projet mais…la réalité est autre et les
affaires sont les affaires…Il faudra qu’il trouve d’autres moyens…
Regardons autour de nous…Nous vivons tous cette
réalité cruelle et le film ne fait que relater – à ma façon – cette réalité.
Le film offre une image dure des politiques,
ceux issus de la gauche notamment ?
Beaucoup de nos politiciens ont été militants
de gauche durant leur jeunesse et maintenant ils s’inscrivent dans des courants du libéralisme et de conservatisme politique et culturel.
Est – ce à dire que le romantisme progressiste
n’existe qu’à 20 ans et que pour passer à ce qu’on appelle l’âge de raison, il
faut revenir en arrière et adopter une position passéiste et rétrograde ? Je ne veux pas
m’inscrire dans ce courant et continue avec
la relalitivisation et la retenue
nécessaires à être convaincu que l’avenir de l’humanité réside dans le progrès
des idées modernes tournées vers le futur.
C’est vrai que beaucoup d’intellectuels de
gauche ont déçu par ce qu’ils se sont bien embourgeoisés et se sont enfermés dans l’opportunisme
politique et l’arrivisme – tous aujourd’hui professent une idéologie
progressiste chargée d’humanisme politique lorsqu’ils parlent en leur
« nom personnel » mais dès qu’il s’agit d’attitude ou de position
publique décisionnaire, leur discours change, devient plus conformiste et son
contenu se dilue dans le sable….
Encore une fois, regardons autour de nous…il n’y
a qu’opportunisme, arrivisme et égocentrisme – cela ne peut que décevoir…
Younes Mégri et Hamid Basket incarnent avec
beaucoup de justesse les deux rôles antagoniques auxquels renvoient leurs
personnages : d’un côté un idéaliste, de l’autre un pragmatique, sinon
arriviste. Comment vous aves mené le travail avec vos comédiens dont la palette
est très large avec de nouveaux visages notamment ?
Le travail avec les comédiens est fascinant parce que pour moi c’est le moment de concrétiser l’idée que je me faisais des
personnages. J’aime travailler avec les professionnels parce qu’ils comprennent
vite le sens que je veux donner aux personnages.
J’essaie toujours de travailler de la même
manière en essayant d’insuffler à l’actrice ou à l’acteur la personnalité complexe
du personnage à interpréter en lui décrivant
le passé du personnage depuis sa naissance, son enfance, sa formation et
surtout le milieu social dans lequel il a évolué et les faits saillants qui ont
marqué son éducation et sa formation ; ensuite, j’essaie de décrire le
présent du personnage en évoquant ses préoccupations, ses ambitions, ses
espoirs, ses déceptions et les contraintes qu’il subit même s’il se croit au-dessus de tout : le contour
du personnage donne à l’acteur un très large spectre de création et avec ses
apports personnels, ensemble nous faisons vivre un personnage : c’est
comme ça que j’ai travaillé avec Younés Mégri et Hamid Basquet qui sont de
grands acteurs : ils ont parfaitement compris la psychologie des
personnages, chacun en ce qui le concerne, et le travail a porté ses
fruits : vous avez des personnages bien vivants, que vous rencontrez
toujours autour de vous et je suis persuadé que quelques spectateurs reconnaitront les personnages réels déjà
rencontrés dans la vie courante.
Il en a été de même avec les autres actrices et
acteurs qui ont participé au film.
Pour les rôles principaux, je n’ai fait appel
qu’à des professionnels à part entière à l’exception de Sanae El Aji qui avait
commencé une carrière d’actrice qu’elle avait mis en veilleuse un temps pour
entreprendre un travail de recherche universitaire qu’elle va bientôt présenter
au public…Je lui ai demandé d’interpréter
un personnage très proche de sa propre psychologie et qu’elle connait
parfaitement par ce qu’elle maitrise d’une manière exceptionnelle une
distanciation vis-à-vis d’elle-même qui lui permet de dominer parfaitement le
personnage du film.
La progression dramatique est portée par un travail plastique au
niveau de l’image ; les lumières notamment, couleurs et les décors
participent à la création d’un espace feutré qui en dit long sur ceux qui l’occupent ?
L’idée du film était de « traquer »
quelques couples d’une bourgeoisie citadine, j’essaie de présenter une
micro-société dans quelques une de ses facettes : partant de là, il
fallait une immersion quasi-totale dans la société bourgeoise de Casa et pour cela, il fallait des décors
réels qui représentent leur lieu habituel de vie en famille ou en société. J’ai
cherché une adéquation entre ce que je voulais dire et la façon dont je le dis
– c’est le travail du réalisateur.
J’ai opté pour une écriture sobre, limpide
reflétant directement la psychologie de mes personnages : vivre et laisser
vivre….
Evidement ce choix a nécessité une adéquation
esthétique pour retrouver une harmonie dans les décors, les couleurs, les
lumières qui correspondent aux personnages qui ponctuent ces récits croisés.
Entretien
réalisé par Mohammed Bakrim
(Casablanca, mai 1014)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire