Le
village et le monde
Sur
une initiative de l’Institut français, le cinéaste tchadien, Mahamat Saleh
Haroun, a été invité pour une tournée au Maroc pour présenter son nouveau film,
Grigris. Son sixième long métrage qui a été sélectionné à Cannes en 2013. Le
film est également inscrit en compétition officielle du prochain festival du
cinéma africain de Khouribga (14-21 juin 2014).
Mahamat
Saleh Haroun est né en 1961 à Abéché au Tchad. Il a été très marqué dans sa
jeunesse par les événements liés à la guerre civile qui a secoué son
pays ; il a été par exemple obligé de s’exiler un temps au Cameroun. Il a
travaillé comme journaliste avant de suivre une formation au cinéma à Paris.
C’est en 1994 qu’il réalise son premier film, un court métrage, Maral Tanié. En
1999, il réalise son premier long
métrage, Bye bye Africa, où il revient sur ses souvenirs cinéphiliques
d’enfance et en rendant hommage aux salles de cinéma qui ferment. Le film a été
sélectionné pour la Mostra de Venise où il obtient le prix du meilleur premier
film. Un succès qui ouvre la voix à d’autres, Haroun est en effet un habitué
des grands rendez-vous cinématographiques internationaux. Son film, un homme
qui crie (2010) a été présenté en compétition officielle à Cannes où il obtient
Le prix du jury. Un film qui lui a ouvert les portes de la réconciliation avec
son pays ; le succès cannois a motivé les autorités du pays qui ont pris
l’initiative de rouvrir une salle de cinéma à Ndjamena où le film a été
projeté. Un retour aux sources et un clin d’œil à son premier long métrage.
Grigris (2013), également, a été retenu pour le festival de Cannes dans
la sélection officielle où il décroche un prix parallèle. Ce nouvel opus
s’inscrit dans une forme de continuité en reprenant des éléments récurrents
dans le cinéma de Haroun (la question de filiation, le fleuve, l’altérité…)
mais c’est aussi un film qui signifie un changement dans la démarche esthétique
du cinéaste. Le film est centré sur un personnage, Grisgris, qui donne son titre au film. Une très belle
scène d’exposition nous le montre dans une boîte de nuit en train d’effectuer
un numéro de danse époustouflant ; une performance rendue exceptionnelle
par le fait même que Grigris a une jambe paralysée. Ce qui passe pour un
handicap devient chez le héros de Haroun un atout ; il lui permet non
seulement d’arrondir ses fins de mois mais de séduire une très belle fille,
Mimi. Elle aussi draine un destin particulier. Elle est métisse, et cache ses cheveux lisses. Si Grigris voit son rêve de devenir danseur
professionnel est brisé par la maladie de son oncle ; le rêve de Mimi de
devenir mannequin se voit reporter par ses conditions matérielles. Grigris se
voit alors obligé de se livrer une activité parallèle, le trafic d’essence,
pour subvenir aux frais de l’opération et Mimi pour sa part se voit acculer à
la prostitution. Leur rencontre se voit scellée le jour où elle rejoint Grigris
dans la boutique de son oncle pour prendre des photos. Une belle métaphore
jouant sur l’image du révélateur chimique du laboratoire photo renvoie au
processus de révélation progressive qui va redessiner le parcours de vie de ses
deux personnages. Le récit du film va être le récit d’une rencontre et le récit
d’une rupture. La rencontre de Grigris et de Mimi va se faire sous le signe de
la rupture avec leur univers respectif. Mimi va quitter l’univers de la
prostitution pour accompagner Grigris obligé de quitter le réseau de
trafiquants qu’il avait rejoint un moment. Ayant détourné une somme importante,
celle qui a servi à couvrir les frais d’hospitalisation de son oncle, il se
voit dans l’obligation de fuir la colère de Moussa, le chef du gang des
trafiquants. C’est le moment où le film surfe avec les codes du film de genre,
celui du cinéma noir : espace urbain nocturne, action, poursuite, suspense…
Cette
rencontre constitutive du couple sera prolongée par une rupture au niveau de
l’espace y compris sur un niveau symbolique. Les deux fugitifs vont quitter la
ville pour le village. Premier signe « culturel » aux dimensions
symboliques indéniables : la moto qui va servir à leur fuite va tomber en
panne d’essence (sic) ! Ils arriveront à pied au village ; un espace
originel peuplé de femmes (les hommes étant partis pour les travaux agricoles).
Un
refuge aux allures quasi maternelles qui se fait dans une triple rupture ;
la première au niveau spatiale, le village versus la ville ; une rupture
sur le plan symbolique illustrée par la radio qui ne marche plus neutralisant toute
velléité de hors champ sonore ; la radio ayant joué une fonction
dramatique dans Un homme qui crie renvoyant au hors champ politique et au
contexte spatio-temporel de la diégèse. La troisième rupture et celle qui clôt
le film avec la mise à mort du gangster venu à la poursuite du coupe et surtout
avec l’image de la voiture qui brûle. Le village « brûle » ainsi tout
lien avec le monde qui peut se traduire aussi comme un déni de la mondialisation présentée dans le récit avec
le trafic du carburant et le tourisme sexuel : deux vecteurs de
« pollution », que le village
récuse.
Mohammed Bakrim
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