Dans la tête d’une femme
Les cinéphiles
sont les premiers touchés par la
crise des salles de cinéma et le caractère très formaté de la distribution…ces
dernières semaines de fut pratiquement la disette ! Alors quand il y a un
film qui se démarque de la tendance dominante, ils jubilent. A l’instar de
l’arrivée enfin du nouveau film de David Fincher, Gone Girl, à l’affiche sur
les écrans marocains dans sa version française. La VO n’étant programmée qu’une
seule séance le lendemain de sa sortie. Dommage. Nous y reviendrons.
Une sortie qui est donc un événement dans un paysage inerte.
David Fincher fait partie en effet des cinéastes qui réunissent autour d’eux
des admirateurs si ce n’est des adeptes. Il a forgé au fur et à mesure de sa filmographie,
une démarche et un rapport au cinéma qui ont très tôt séduit par la cohérence du
propos, l’originalité de l’approche esthétique et la création d’un univers aux
signes et aux motifs récurrents ; avec des personnages vaincus car
emportés dans un élan qu’ils finissent par ne plus contrôler. Il est venu
lui-même au cinéma par la voie royale de la cinéphile ayant commencé très jeune
à bricoler des films sur la trace des cinéastes du « nouvel
Hollywood » notamment son maître, son modèle Georges Lucas. C’est dire
qu’il fut d’abord un fan des effets
spéciaux intégrant le laboratoire que Lucas avait construit dans ce sens. Doué
en la matière, on fit appel à Fincher à l’âge de 29 ans pour réaliser le
troisième opus de la saga Alien. Il fit ses armes à la bonne école avant de
passer à créer un univers propre où nous retrouvons certaines caractéristiques ;
celles par exemple de recourir à l’adaptation de romans célèbres ou d’établir
un vrai partenariat stratégique avec des comédiens confirmés à l’instar de Brad
Pitt qu’il dirigea dans trois films. Les adeptes de Fincher première mouture
sont partagés entre la tendance « Fight club » et la tendance
« Seven » ; deux films majeurs d’une filmographie qui va encore
proposer d’autres films (je cite notamment L’étrange histoire de Benjamin
Button et the social network), autant de
variations dans le style tout en restant fidèle à un univers nourri de
faux semblants et de simulacres.
Son nouveau film, Gone girl est une adaptation du roman
« Apparences » véritable best seller de Gillian Flyn que nous
retrouvons dans le scénario. Comment passer d’un livre de plus de 400 pages à
un film de 2H 29 ? L’équation semble bien fonctionner et le film tenir son
spectateur en haleine par la force de sa structure, la gestion de sa
progression dramatique illustrée par une organisation en blocs narratifs jouant
sur le temps et l’espace via la figure centrale du montage. Tout démarre par
une question énigme : le jour du cinquième anniversaire son mariage Nick
(Ben Affleck) s’interroge sur ce qui se passe vraiment dans la tête de sa
femme, Amy (Rosamund Pike). C’est le beau plan de la tête de la femme qui ouvre
le film ; le même plan que nous retrouvons à la fin avec la même
interrogation. Entre temps, le récit nous aura transportés dans un voyage
hallucinant au sein d’un couple américain d’aujourd’hui, bon chic bon genre…et
pourtant. Cela va se révéler une véritable autopsie, et Fincher n’hésitera pas
à disséquer. Autopsie d’un microcosme social, le couple qui ne manque pas de
renvoyer à l’état d’une société. Le lien est tout à fait légitime quand on voit
le rôle du masque social que doivent revêtir les protagonistes pour rester en
concordance avec leur environnement, sous le contrôle des médias, omniprésents.
Une lecture politique de ce qui se présente comme un banal thriller est rendue
encore plus plausible par le choix de la date du jour de la disparition de la
femme ; un 5 juillet, le lendemain du D day américain. En s’interrogeant
sur les impasses du vivre ensemble réduit à un simulacre au sein du couple,
Fincher et sa scénariste nous invitent à réfléchir sur le lien social à
l’échelle d’une nation, ramené à des manipulations médiatiques au prix d’un
mensonge. Le couple comme figure métonymique d’une Nation.
Le film est construit autour d’une fausse disparition. Pour
se venger de son mari qu’elle a surpris un soir dans les bras d’une jeune
fille, Amy va concocter un plan diabolique où sa disparition va être perçue
comme un meurtre suffisant à renvoyer son mari à la chaise électrique (le récit
se passe dans le Missouri où la peine capitale est encore pratiquée). Ce schéma
va se compliquer, son mari ayant relevé l’astuce. La femme va alors opérer une
volte-face hallucinante où elle met en scène son retour, se présentant comme
victime d’un kidnapping de la part d’un ancien amant que le film présente dans
l’une de ses séquences les plus fortes (sublime interprétation de Rosamund
Pike).
La construction du récit puise dans les techniques les plus
affinées de la dramaturgie avec une progression en cinq actes dont la gestion
temporelle mobilise toute l’attention du spectateur. La narration est menée à
partir de plusieurs points de vue : celui de l’épouse au passé, celui du
mari au présent avec l’intersection des deux récits dans la séquence ultime de
la reconstitution du couple sur la base du mensonge. Le tissu narratif est
truffé d’indices et de signes à décrypter sans cesse, et dans ce sens le film
fonctionne sur le plan du rythme, dans sa première partie comme Zodiac et dans
sa deuxième partie, quand il verse dans l’horreur, comme Seven. De quoi faire
redoubler le plaisir de l’œil cinéphile.
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