jeudi 18 décembre 2014

Adieu Si Mohamed Bastaoui

De la race des seigneurs !


« Mohamed Bastaoui n’est plus » ; l’information, terrible, est tombée comme un couperet en ce matin d’un froid hivernal. On le savait malade, puis hospitalisé depuis quelques jours, bénéficiant de la haute sollicitude royale, entouré de l’amour des siens et de ses nombreux amis et fans, Si Mohamed Bastaoui a vu hélas son état s’empirer, intégrant les services de réanimation d’un grand hôpital de Rabat. Et puis ce fut l’issue fatale.
 Nous étions plongés dans le festival de Marrakech, les yeux rivés sur les écrans mais nos sens et notre cœur battaient du côté de Rabat,  à l’image de Mohamed Khouyi qui était parmi nous, physiquement, mais quasi absent. Sollicité par  ses nombreux fans pour une photo, Khouyi affichait un sourire de politesse car son cœur était du côté de son ami, son frère, son collègue et compagnon. Celui qui, il y a à peine un an, lui remettait l’étole d’or de l’hommage que le festival de Marrakech lui rendait. Le départ de Bastaoui va laisser un vide énorme que Khouyi va être le premier à ressentir, étant tous les deux ensemble dans les différentes rencontres ou manifestation cinématographique. Mais c’est un vide que toute la sphère artistique va ressentir car Si Mohamed était aimé de tous, l’ami de tous, au service de tous. Il fut un grand comédien ayant réussi cette équation si délicate, celle de réussir un parcours artistique de qualité à travers des œuvres diversifiées et complémentaires au théâtre, au cinéma et à la télévision…un parcours et une carrière qui ont forgé l’image d’une vraie star populaire. Venu des vastes plaines de la région de Khouribga, il a gardé cette touche spontanée, cette sensibilité innée, qu’aucune école de formation ne peut enseigner ; celle de dire le mot vrai, le geste juste qui fait vibrer les foules, s’adressant au cœur et à l’intelligence.
Après une expérience de théâtre lumineuse, auprès de la troupe Masrah Alyoum qui lui a permis de forger ses outils et son style et qui lui a permis surtout de découvrir ses compagnons de route, ses amis et camarades, Khouyi, Touria Jabrane, Ouzri, Khamouli et l’auteur Youssef Fadel…Bastaoui va rencontrer le cinéma d’une manière naturelle et spontanée…et au bon moment, c’est-à-dire au moment où ce cinéma entamait le tournant décisif des années 90, le tournant de la rencontre avec le public. Et Bastaoui va être un des vecteurs de la réussite de cette rencontre, en mettant son talent, sa générosité, sa disponibilité, notamment au service des jeunes cinéastes qui vont marquer la première décennie des années 2000. Ayant déjà joué merveilleusement bien dans  Les trésors de l’Atlas de Mohamed Abbazi (1997), je le découvre avec éblouissement dans Adieu Forain de Daoud Aoulad Syad (1998), ce film beckettien où il incarne le rôle de Larbi, ce fabulateur qui n’a plus que des illusions à vendre ; rendant la réplique au grand et cher disparu Hassan Skali incarnant le rôle de Kassem, un héros d’hier qui gère le récit d’un monde crépusculaire où le rêve, celui de Rabii (incarné par Abdellah Didane) de jouer à Hollywood et le mensonge font figures de palliatifs éphémères. Bastaoui avait livré une prestation  portée par une manière de regarder, une manière de rentrer dans le champ ou de marcher…dignes des plus grandes figures internationales du cinéma. J’avais alors parlé dans mon article de l’époque (1998), d’un comédien issu « de la race des seigneurs ». C’était spontané et sincère. Et Si Mohamed n’avait jamais oublié cela ; et il s’amusait à me le rappeler à chacune de nos nombreuses rencontres. 
Il confirmera très vite cette première impression dans des rôles qui marqueront à jamais la cinématographie marocaine aussi bien avec Faouzi Bensaïdi qu’avec Mohamed Asli ou Daoud Aoulad Syad, Mohamed Ismail, ou Farida Bourquia et Kamal kamal jusqu’à son interprétation dans le deuxième long métrage de Mohamed Mouftakir, L’orchestre des aveugles qui lui a permis d’être présent à Marrakech et d’illuminer l’écran de la grande salle du palais des congrès…
Il était très apprécié des professionnels car il développait un jeu qui dégageait une aura qui faisait de lui un brillant membre de la grande école de Marlon Brando,  prolongée par De Niro et Al Pacino, deux de ses comédiens préférés par ailleurs. Sans aller à New York ou suivre des cours de l’actor’s studio il a saisi par son intelligence et son amour du métier, les principales techniques qui rendaient chaque rôle qu’il incarnait humain et non pas artificiel ; faisant sienne cette injonction d’une théoricienne célèbre « Ne Jouez pas, soyez ! », à l’écran comme sur scène, Bastaoui ne joue pas, il EST. Servi par une forte et impressionnante présence physique, Bastaoui l’accompagnait de mouvements toujours signifiants ; des tics discrets comme par exemple se gratter le bras…ou la main toujours active pour indiquer une nervosité intérieure…suivie souvent d’une explosion qui mobilisait tout son corps: voir son interprétation dans le beau film de Mouftakir, présenté à Marrakech dans le cadre de la compétition officielle, L’orchestre des aveugles. Il jouait aussi sur l’alternance du bruit et du silence laissant le spectateur libre de remplir les trous et de contribuer à la construction du sens. Et c’est à juste titre qu’il fut récompensé à plusieurs reprises et que le festival de Marrakech lui rendit un vibrant hommage en 2011.
C’est cet immense talent que nous perdons aujourd’hui. Une étoile s’est éteinte rendant encore plus sombre les nuits de cet automne languissant ; comme est triste le cœur de ses nombreux admirateurs.

Mais si Mohamed peut se reposer en paix, il était aimé de tous ; ses prestations  réunissaient les âges et les générations, les couches sociales, les cinéphiles et le grand public. Ce matin, ma fille est venue en courant m’apporter la triste nouvelle ; ma pharmacienne, le marchand de menthe, le boulanger…Le peuple est unanime, Si Mohamed,  à te dire : Adieu, nous t’aimons toujours !

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