dimanche 12 octobre 2014

Entretien avec Mohamed Mouftakir


Faire un film qui résiste à l’épreuve du temps !
Mohamed Mouftakir est l’une des révélations heureuses de la décennie ; il est arrivé à un tournant décisif de l’évolution du cinéma marocain marqué par l’émergence d’une nouvelle génération. Après une riche expérience du court métrage, entamée avec L’ombre de la mort, …Il réalise son premier long métrage de fiction Pégase (2010) qui connaît une carrière riche en récompenses nationales et internationales. Il finalise aujourd’hui son deuxième LM, L’orchestre des aveugles.
Rencontrer Mouftakir est toujours un double plaisir : humain, car Si Mohamed déborde de gentillesse et de générosité ; et un plaisir intellectuel car Mouftakir est un personnage habité par le cinéma…par le désir de ne pas (se) répéter. D’emblée, il nous avertit : « mes réponses vont être à l’image de mes films ; elles paraîtront éclatées, fragmentées, dispersées…mais il y a un fil d’Ariane, un fil ténu qui les réunit et les porte vers quelque chose ». Cela suppose donc un lecteur actif à l’instar du spectateur coopératif et dynamique de ses films.
Au lendemain de sa désignation comme président du jury du festival du court métrage méditerranéen de Tanger nous l’avons rencontré  à Casablanca (septembre 2014).
Propos recueillis par Mohammed Bakrim






« Réaliser un film a toujours été pour moi une hantise et cela n’a rien à voir avec les conditions matérielles de production. Malgré mon expérience d’une dizaine d’années en tant qu’assistant à la réalisation, poser une caméra, faire un choix…restent pour moi un cauchemar. J ai toujours peur de réaliser et encore une fois cela n a rien à voir ni avec les moyens ni avec mes capacités. C’est plus profond, en rapport avec l’écriture que je conçois  comme une interaction durable et qui ne s’arrête pas avec le mot Fin qui s’écrit sur le papier ou sur le générique.
L’écriture un processus permanent
Pour moi être cinéaste, ce n’est pas seulement diriger une équipe, dire moteur action, c’est de l’exécutif à la portée de quiconque ayant eu une initiation au métier…mais la question à se poser est : est ce que tout le monde est cinéaste ? C’est la question qui me travaille ; et du coup toute ma démarche est orientée vers ce cap, me prouver et prouver aux autres que je suis un cinéaste et non seulement un réalisateur exécutif, un technicien de la mise en scène…j aspire à être quelqu’un impliqué dans ce métier, porté et animé par un projet, sincère dans sa démarche créative et utile. Cela rejoint une hantise universelle en quelque sorte concernant la démarche artistique ; comment donner sens au monde…un sens qui n’’existe peut être pas…mais la quête demeure et qui donne à l’art une dimension existentielle, métaphysique. L’art est par essence religieux ! Ma hantise quand je veux réaliser un film se nourrit de ses interrogations : que va apporter ce film à ma vie personnelle, à ma vie en tant que artiste, en tant qu’être humain ? Que va véhiculer  ce film comme sens dans ses dimensions thématiques,  esthétiques, et symboliques. D’où l’impression que tu as relevé en soulignant que mes plans sont « surchargés », « saturés ».  Une surcharge qui dénote un désir de répondre à ces interrogations et de communiquer et partager ce désir…
Du coup cela se répercute sur mon rapport à l’écriture qui est pour moi un processus permanent… donc une souffrance permanente. Je n en sors qu’une fois le film est présenté au public…et encore car commence alors une autre angoisse, comment le film va résister à l’usure du temps. Toutes  ces questions je les ai en tête au moment même de l’écriture. Prendre en compte la présence du public avec qui j’établis un rapport de sincérité. Je ne triche pas avec le public c’est-à-dire je ne cherche pas à le mettre sur de fausses pistes ; au contraire j’en fais un compagnon de mes interrogations et de mes …dans une démarche esthétique spécifique qui lui permet de suivre sans forcément être d’accord.
Après le film se prend en charge lui-même et continue de dialoguer avec son spectateur.  C’est en quelque sorte ce qui  me motive à continuer à faire des films ; à faire du cinéma. Un film ce n’est jamais définitif. Et cela marque toute ma démarche ; je n’obéis à aucun schéma...Même avec mes comédiens qui ne sont jamais enfermés dans un cliché ou dans des rôles typés (Younes Megri dans le rôle d’un musicien populaire dans mon prochain film). Quand il n y a pas de défi à relever…quand c’est facile je me méfie ! Dans Pégase il m’est arrivé de refaire une scène pour mieux l’étoffer et lui donner de la consistance au-delà du simple fait anecdotique ou informatif qu’elle peut apporter
Un cinéaste, c’est d’abord un projet
Chaque court métrage apprend du précédent mais celui qui m’est le plus proche est Chant funèbre (2008) ; certes c’est le dernier mais c’est aussi le plus accompli, dans ce sens c’est un vrai court, dans sa durée. Au terme des mes quatre courts métrage j’ai appris d’ailleurs à faire court : le premier Danse avec la mort faisait dans les trente minutes, le dernier a une durée de 15 minutes ! D’ailleurs pour les longs j’apprends à être plus long, mon deuxième LM est plus long que le premier !
A plusieurs reprises j ai pensé à remonter mes courts mais finalement je me dis ils ne m’appartiennent plus. Par contre, l’idée de revenir au court me  séduit toujours, j’ai même en tête une histoire toute prêt à donner corps à un court, c’est l’histoire d’un comédien qui passe toute sa vie à passer des castings sans aller plus loin…mais on verra bien.
Le foisonnement actuel de jeunes réalisateurs me fait plaisir ; il y a des jeunes qui arrivent. Mais je me demande s’ils se posent une question simple mais fondamentale : pourquoi j’ai choisi de devenir cinéaste et non pas ingénieur, maçon ou professeur ?
Est-ce qu’on vient au cinéma parce qu’il y à l’avance sur recettes ou bien parce que on veut être cinéaste animé d’un désir : raconter des histoires, témoigner, défendre un projet artistique. Je pense que ce sont des questions essentielles. Quand j’ai décidé de faire du cinéma, je n’avais aucune idée sur la profession encore moins de l’avance sur recettes qui à l’époque s’appelait le fonds d’aide. J’étais dans le théâtre et j’étais étudiant en littérature anglaise. Le côté artificiel du théâtre me dérangeait un peu et j’ai découvert le cinéma grâce à Faulkner et aux romanciers américains. C’est ainsi que j’ai décidé de faire du cinéma car elle correspondait à la manière avec laquelle je voulais aborder le monde, à réponde à mes angoisses et à mes interrogations.
Parmi ces interrogations,  comment faire qu’un film marocain soit reconnu comme tel dès le premier plan ? À l’instar d’un film iranien ou japonais ou même américain ? Au-delà de la langue et des décors ;  c’est dans cet esprit que j’ai mené Pégase sauf qu’avec ce film les gens un peu partout dans le monde me disaient que j’ai fait un film dont ils se sentaient proches ; et ce fut la grande leçon de Pégase : quand on est ancré dans sa culture on finit par toucher les gens au-delà des frontières politiques et linguistiques. C’est l’universalité du septième art. Et ça c’est un défi permanent !
Dans tous mes films, les personnages sont portés par une volonté ; celle de se libérer de quelque chose, d’un poids…c’est une ligne de conduite que l’on retrouve du premier court L’ombre de la mort (2003) à L’orchestre des aveugles mon nouveau long métrage. Et à chaque fois, il y a une solution qui finit d’une manière ou d’une autre par arriver…dans l’ombre de la mort cela passe par le suicide ; dans la danse du fœtus par le choix de l’isolement ; dans fin de mois par la tricherie ; dans chant funèbre par la fuite et dans Pégase, c’est la réconciliation avec soi. Pour se libérer d’un passé terrorisant, il faut s’accepter, s’assumer et tu vas constater que cette approche va encore être renforcée par le désir non pas de nier son passé mais de l’aimer.
Hommage aux pionniers
Ma génération n’a pas eu de considération pour la génération des aînés parce que tout simplement elle l’a niée. Elle ne l’a pas abordée comme référence encore moins comme « père esthétique » ! Elle n’a pas cru en elle. C’est un avantage et en même temps un inconvénient, car face à ce trou de mémoire…l’occident s’est retrouvé être la seule référence esthétique.  On tue symboliquement le père en le niant comme s’il n’avait jamais existé. Franchement, je le regrette, et c’et un reproche que je fais à la nouvelle génération, celui de ne pas avoir assimilé l’héritage cinématographique national qui est quand même un acquis qui mérité d’être connu et analysé. Un cinéaste comme Mostafa Derkaoui mérite le plus grand respect… J’aurai aimé le voir aujourd’hui se confronter à la nouvelle génération et pour tout dire : il nous manque. Dire qu’ils sont passés à côté de la plaque est non seulement injuste mais historiquement faux. C’est une vraie génération de pionniers qui a apporté beaucoup à la profession sur le plan législatif et il a mis en place les principales tendances du cinéma marocain »


Aucun commentaire:

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...