mercredi 8 octobre 2014

Sarem Fassi Fihri, nouveau directeur du CCM

Les enjeux d’une nouvelle époque
« Ma tribu s’égare mais je dois la suivre » (1)






FIN. Ce mot magique qui accompagne le spectacle cinématographique authentique vient soit pour interrompre un plaisir que le spectateur aurait aimé voir se prolonger, soit le délivrer d’un ennui mortel. Dans un scénario bien ficelé, à l’américaine,  dès que le climax a été atteint, le point d’orgue du récit franchi, on envoie le générique de fin. Le scénario de la nomination du nouveau directeur du Centre cinématographique marocain (CCM) est d’une autre nature ; il vient enfin de connaître son dénouement avec la désignation de M. Fassi Fihri après un long processus de maturation, pratiquement six mois de procédures, relevant de l’écriture feuilletonesque ; c’est-à-dire avec moult épisodes et non sans une dose de suspense. Plus tard, l’histoire nous dira le non-dit de toute cette histoire.  Aujourd’hui, un fait nouveau est là ; il s‘agit de l’inscrire dans ses réelles perspectives.
Les observateurs objectifs de la chose cinématographique marocaine souligneront d’emblée que le choix porté sur M. Fassi Fihri n’est pas une surprise eu égard à son passé et surtout par rapport aux deux autres postulants dont la désignation, de l’un ou de l’autre, aurait varié d’une surprise partielle et au coup de théâtre. Je vous laisse deviner !
M. Fassi Fihri est issu du domaine. Il a été l’une des figures de proue du tournant pris par le cinéma marocain dans les années 90. Une décennie qui a vu le nouveau patron du CCM érigé en véritable star de la production cinématographique notamment à partir du festival national du film de Tanger (1995). Barbe et cigare à la Orson Welles, il était l’homme à séduire et amadouer. Tous les cinéastes cherchaient à entrer dans son rayon d’action. Il avait ses choix,  produisant une partie des films de Hakim Noury qui ont marqué la décennie et scellé la réconciliation du public marocain avec son cinéma ; il adopta également un jeune talent venu du Norvège et qui a marqué le festival de Tanger de 1995,  Nour Eddine Lakhmari en produisant son premier film marocain, Le dernier spectacle (1998). Il produisit également le premier long métrage de l’une des jeunes figures de Tanger, Mektoub de Nabil Ayouch. Sa position de premier plan dans le champ du cinéma arrive avec Le Festival national du film de Casablanca (1998) dont il était la principale vedette. Beaucoup de cinéastes lui sauront gré de deux qualités : générosité et disponibilité ; location de matériel ; fermant les yeux sur des échéances arrivées à terme… Il s’investit également dans la production exécutive internationale ; politique qu’il couronna avec la création des studios Cinédina dans la banlieue sud de Casablanca : immense projet construit dans les normes professionnelles et aux grandes ambitions. Le retour sur investissement est une autre paire de manche ! Il fut alors tout naturellement conduit à la tête de la chambre des producteurs de films. Position institutionnelle qui lui ouvre la voie de devenir l’un des interlocuteurs privilégiés des officiels notamment lors de l’élaboration de textes relatifs à l’organisation de la profession. C’est ainsi qu’avec l’arrivée de Nour Eddine Saïl à la tête du CCM, il devint non seulement un interlocuteur naturel avisé mais un partenaire écouté. Le duo fonctionna même en ticket gagnant. Leur entente a permis de mener plusieurs actions qui vont marquer la décennie autour de la mise à niveau des textes ou l’élaboration de nouveau. Une entente qui a permis également d’amortir les chocs issus des attaques que le cinéma marocain va subir à plusieurs reprises. Autour de certains choix, on peut dire que le bilan de la décennie écoulée, c’était aussi le bilan de Fassi Fihri. Mais comme le dit si bien l’adage populaire « douam lhal men lmouhal » : un état durable est une chimère ! En effet, un vent de froid va souffler sur la relation entre les deux hommes et la distance va devenir une divergence, alimentée, voire attisée par les manœuvres des aigris et des déçus des années Saïl.
Des hommes et des lieux
C’est dans cet état des choses que M. Fassi Fihri arrive à la tête du CCM. Et dans un contexte diamétralement différent avec ce qu’il avait connu en tant qu’acteur « civil » du champ cinématographique. Aujourd’hui les enjeux sont d’une autre nature. Et les défis aussi. Ils détermineront en grande partie l’ordre de ses priorités.
Le premier enjeu est interne et concerne son outil de travail, à savoir l’organisme qu’il est appelé à diriger. Le CCM qu’il va découvrir n’est plus le CCM d’il y a dix ans. Sur le plan des ressources humaines, le CCM connaît une des mutations générationnelles les plus importantes de ces trente dernières années. Beaucoup de ses figures « historiques » qui ont collaboré d’une manière ou d’une autre avec M. Fassi Fihri producteur, dont certains étaient ses amis intimes,  ne sont plus là. C’est un changement radical qui va propulser de nouveaux jeunes cadres aux différents postes de responsabilités, devenus vacants suite aux départs de leurs prédécesseurs qui les ont occupés pendant des années. Un changement qui va mettre à nu une réalité longtemps passée sous silence, à savoir le sous-encadrement. Le CCM souffre cruellement de manques de cadres. Les recrutements se font au compte gouttes. C’est le premier vrai chantier qui va se poser au nouveau directeur avec en corrélation le changement de l’Organigramme du CCM qui doit s’ouvrir verticalement (l’évolution hiérarchique d’un cadre au CCM est très limitée et n’encourage pas l’arrivée de nouvelles compétences) et horizontalement avec la création de nouveaux départements qui répondent à l’évolution du secteur.
Toujours à l’intérieur du CCM, M. Fassi Fihri sera confronté chaque matin à un boulet qui pèse, celui du laboratoire. Voilà un formidable outil qui a servi énormément le cinéma marocain (un film marocain peut se fabriquer de A à Z au Maroc) et qui sert une dynamique politique de coopération internationale notamment avec les pays du sud et les Africains surtout ; un atout que son prédécesseur a brillamment utilisé au service de l’image du Maroc. Quelques semaines avant sa mort, le pionnier du cinéma africain, le sénégalais Sembene Ousmane m’a dit textuellement «  tant qu’il y a le CCM, je n’ai pas besoin de l’Europe ». Sauf que le laboratoire a mal…et ce depuis longtemps. Malgré tous les efforts qu’il a demandés. Certes, il a réussi sa mutation numérique mais c’est un véritable gouffre financier qui peine à trouver sa vitesse de croisière. Faut-il crever l’abcès et décider de changer son statut : le privatiser ? Lui donner un statut mixte public-privé ? …
Pas très loin des locaux qui abritent le laboratoire se trouve un bel édifice, celui de la cinémathèque marocaine. Souvent, en la matière ce sont les textes qui précèdent les bâtiments…sauf pour la cinémathèque qui dispose de jolis locaux, d’une très belle salle de projection mais n’a pas d’identité administrative et financière à même de lui permettre d’assumer ses  nobles fonctions. Il est triste de voir un tel investissement réduit au simple appendice, transformé en succursale ou annexes administratives. La question de la cinémathèque pose la question de la disponibilité du patrimoine cinématographique nationale. Naciri, l’ex-ministre de la communication, et Saïl ex-directeur du CCM avaient élaboré un projet ambitieux de la numérisation de  tous les films marocains pour mettre à la disposition des chercheurs et des organisateurs de manifestations cinématographiques des copies DVD de toute la filmographie marocaine. Une demande qui est devenue de plus en plus d’actualité.
Quel CCM pour demain ?
Mais au-delà des ces aspects gestionnaires, quotidiens…le vrai « combat » de Fassi Fihri et qui donnera sens à son action sera autour de l’identité du CCM lui-même ; particulièrement par rapport à son département de tutelle et par rapport aux mutations qui traversent le monde du cinéma. Le nouveau directeur a tenu à préciser qu’il ne placera pas ses rapports avec l’actuel ministre islamiste de la communication sous le signe de l’affrontement idéologique. Soit. Mais quid des prérogatives du CCM qui sont chaque jour grignotées et réduites au bénéfice des entités ad hoc ? Désormais la grande question qui pointe à l’horizon est de nature stratégique : faut-il  réadapter le CCM aux nouvelles réalités en le transformant en une véritable entité autonome, dotée de moyens et libérée du calendrier politique ? Ce qui suppose de couper le cordon ombilical avec le ministère de tutelle en le transformant en « agence nationale des industries du cinéma et de l’image » ? M. Fassi Fihri, contrairement à MM. Benbarka et Saïl, est désormais plus dépendant politiquement du gouvernement. Il est venu à ce poste dans le cade de la nouvelle constitution qui a élargi le champ de nomination du chef de gouvernement. En somme, il n’ pas la même légitimité de ses deux prédécesseurs nommés par Dahir. Si demain, le pays connaît des élections anticipées, c’est le luxe de vivre en démocratie, qui ramènent une nouvelle majorité avec un nouveau ministre de la communication, M. Fassi Fihri se verrait, dans la situation du patron obligé de frapper, chaque matin, à la porte de son bureau avant d’entrer pour vérifier qu’il n’y a pas un nouveau locataire dans les lieux ! Le cinéma ne pourrait supporter autant d’incertitude sauf à accepter de revenir à la situation de 1956 où le cinéma était un service relevant du ministère de « l’information » et où le CCM était réduit à délivrer des cartes professionnelles et des autorisations de tournage. C’est le débat que nous avions tenté de lancer à l’occasion des préparatifs du fameux livre blanc, en vain. Quel CCM pour demain ? Un département ministériel avec à sa tête un fonctionnaire qui attend de voir ses 4 années de service accomplies sans clash ou une entité portée par un projet qui transcende les choix politiques fluctuants ? C’est le paradigme qui va peser sur l’agenda à venir et va déterminer les positions des uns et des autres. Déjà la multiplication des commissions spécialisées qui sont devenues gourmandes en matière de prérogatives a instauré un climat de compétition nuisible à l’action.

Des salles pour quel public
Reste le grand chantier des salles de cinéma que M. Fihri a annoncé comme prioritaire. Il faut savoir faire preuve de modestie à cet égard. La question des salles de cinéma ne relève plus de la profession ; elle fait partie désormais des choix de société : elle ne dépend plus (ou uniquement) d’une décision administrative, elle appartient au champ des orientations politiques qui déterminent un projet de société. La donne, en effet, a complètement changé ; on est passé de l’équation les gens ne vont plus au cinéma parce qu’il n’y a plus de salles de cinéma à l’équation il n’y a plus de salle de cinéma parce que les gens ne vont plus au cinéma. On peut ouvrir une salle par ici, une autre par là…elles ne tarderont pas à fermer (le cas de la salle de cinéma à Ouarzazate) tant que cela ne s’inscrit pas dans un vaste projet de politique culturelle ; et d’un choix qui engage la société et l’Etat. La nature du problème dépasse la bonne volonté de l’acteur (Saïl en sait quelque chose) ou sa connaissance du terrain…il fait face à des paramètres environnementaux dont il n’a pas la maîtrise : repli de la cinéphilie ; irruption dans l’espace public de nombreux lieux de communion collective et de production de discours symbolique ; basculement de la société dans une culture communautaire infra-citadine ; idéologie conservatrice irrigant l’ensemble du corps social ; nouveaux réseaux de consommation domestique des images…
Baptême de feu à Tanger




Reste alors à assainir le climat au sein de la profession pour qu’elle puisse justement contribuer à ce débat de société. Et sur ce point M Fassi Fihri est très attendu. Lorsqu’il était à la tête de la Chambre des producteurs,  il était en compétition avec des concurrents. Il avait eu des dissidents de son groupe et qui seront aujourd’hui ses interlocuteurs …Là, il a  à faire preuve de tact et de savoir faire et surtout de grandeur d’esprit y compris par rapport à l’immense legs de son prédécesseur. Tout l’espoir est de ne pas le voir atteint par « le syndrome Ben Ali », du nom de l’un des anciens directeurs de 2M, appelé à succéder à Saïl en 2003 et qui consacra sa première année d’exercice à effacer les acquis réalisés et à une véritable chasse aux sorcières…ouvrant la voie au déclin actuel de la chaîne d’Aïn Sbaâ !
 Le nouveau directeur sera soumis rapidement à rude épreuve ; il n’aura même pas le temps d’apprécier le confort de son nouveau siège que des échéances vont se poser à lui comme de véritables tests ; des rites de passage comme disent les anthropologues. A commencer par le festival du court métrage  méditerranéen de Tanger dont la nouvelle édition est prévue du 13 au 18 octobre ; une édition qui a été en  grande partie préparée sous le règne de M. Saïl. Va-t-il adopter ce festival et continuer à le soutenir au moment où il connaît une grave crise financière ? Dans tous les cas, Tanger, hasard heureux comme en 1995, lu offrira une première vitrine, très prisée, pour envoyer un premier faisceau de signes…qui alimenteront les conversations dans différents salons et autres lieux préférés des gens de la profession.
Avec sa nomination officielle, une partie de son profil et de son identité ont été dévoilés au grand public ; notamment, concernant son prénom qui était réduit dans l’échange courant à Sarem ; grâce au communiqué de M. Benkirane, on apprend, en fait que son prénom entier est Sarem Alhak. Sévérité et droit ! Tout un programme. Wait and see.
Mohammed Bakrim

(1)   In Les tribulations du dernier Sijilmassi, Fouad Laroui, page 304.


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