Chronique d’une métamorphose annoncée
Les
livres de Hassan Aourid interpellent, suscitent l’intérêt et souvent séduisent.
Ils interpellent d’abord parce que tout simplement c’est Hassan Aourid. La
signature ne passe pas inaperçue, le nom de l’auteur renvoie à une séquence
très proche de l’actualité politique du pays. Un nom qui ne laisse pas
indifférent, un peu, comme dirait l’autre, « à l’insu de son plein
gré ». On n’échappe pas à sa biographie. Mais au-delà, les livres du
professeur interpellent par leur thématique, les sujets abordés qui à travers
la variété des genres (essais, fictions…) enrichissent la panoplie des
réflexions qui font honneur à un espace
public souvent apathique. Et ce sont des livres qui séduisent par leur qualité
intrinsèque ; comme textes procurant du plaisir. Ses chroniques dans la
revue Zamane sont un délice et son roman Le Morisque se lit d’un trait ; il
constitue par ailleurs un scénario d’inspiration historique qui permettrait une
intéressante adaptation cinématographique.
Bref,
nous sommes en présence d’un intellectuel moderne, nourri de l’esprit du temps,
attaché à ses racines amazighes et qui s’engage dans les grands débats de notre
société. Le livre qu’il vient de sortir en est une nouvelle illustration. L’impasse
de l’islamisme, cas du Maroc (Rabat, 2015) aborde un sujet non
seulement d’actualité (brûlante j’ai envie de dire, presque au sens propre)
mais qui est devenu quasiment universel : l’islamise est à l’ordre du jour
des politiques, des sécuritaires et des académiciens de New York à Djakarta en
passant par Rabat, Paris. L’islam politique voire l’islam tout court est
devenu la question politique et philosophique fondamentale de notre époque. C’est dans
ce contexte que Hassan Aourid intervient dans le débat avec un livre au titre
qui peut paraître paradoxal ou en contradiction avec ce que rapportent les
médias. Au moment où partout on parle de la déferlante islamiste en termes de
scores électoraux comme en termes d’occupation de l’espace public, lui choisit
de parler « d’impasse ». C’est dans ce « paradoxe » que
réside la thèse qui oriente le livre et lui donne sa consistance intellectuelle
et politique : ce triomphe est –aussi- en somme un chant de cygne d’une certaine
variante de l’islamisme. C’est ce que je propose d’appeler, si j’ai bien
compris cette thèse, la métamorphose de l’islamisme, sa mue. Elle est la
résultante de l’implication des islamistes dans la chose politique au sens de
la gestion des affaires publiques. Pour bâtir sa thèse, Hassan Aourid se réfère
aux travaux de Marcel Gauchet, notamment son livre Le désenchantement du
monde où il développe l’idée de « la sortie de la religion de la
sphère publique ». Hassan Aourid, après une fine et riche analyse du cas
marocain, dans son contexte arabo-musulman et international, arrive à la même
conclusion et en transpose la logique au Maroc et au monde musulman. « Les
convulsions que nous vivons, symptomatiques d’une imbrication du religieux et
du temporel, sont certainement les prémices d’un mouvement de
« sortie » de la religion de la sphère publique ». Attention :
quand on parle ici de sortie de la religion, il ne s’agit pas des croyances des
personnes, cela concerne la manière d’être de la société, le comportement des
acteurs dans la sphère publique. Cette analyse constitue la charpente du livre
qui, rappelons-le trouve sa genèse dans la conférence présentée par l’auteur
dans le cadre des jeudis de l’IMA à Paris. Un premier chapitre permet de placer
le décor, une scène d’exposition en quelque sorte puisqu’elle restitue
l’historique de l’évolution du champ religieux à partir du rapport au concept
clé de notre pensée contemporaine, la tradition. On sait comment ce concept a
fonctionné comme trame narrative d’une œuvre féconde, celle d’Abdellah Laroui
dont s’inspire par ailleurs Hassan Aourid. C’est alors un récit passionnant
dans les arcanes du système politique marocains avec feu Hassan 2 qui œuvra à
développer un rapport spécifique à la tradition (de l’invention de la tradition
à la tradition rénovée). Le livre aborde ensuite le comportement des principaux
acteurs de l’islamisme politique dans le chapitre « islamiser la
modernité » avec le cas d’Aladl wa al ihssane et du PJD ; avant
d’aborder le cas très spécifique du mouvement salafiste avec ses variantes
notamment la mouvance traditionnelle, liée au wahhabisme et la variante
djihadiste. Celle-ci ayant subi également un mouvement, en cours, de mutation.
Dans
tous ces développement, l’analyse se nourrit de références historiques, de
réflexions théoriques (le livre est très didactique), avec parfois des dérives
polémistes notamment dans le chapitre consacré au PJD, et d’éléments puisés
dans l’actualité. La vision alterne entre un point de vue d’Etat major,
l’auteur ayant été familier des arcanes du pouvoir et des principaux acteurs
cités et le point de vue du fantassin, celui de l’intellectuel engagé dans le
combat d’idées. Avec humilité et lucidité. J’aime bien conclure en le citant
dans ce sens : « Face à tout messianisme, il faut laisser parler
la réalité, même si elle tarde à le faire » (Page 79). Une lecture
tonique qui réhabilité l’intelligence.
1 commentaire:
Ton excellent article, cher ami, suscite toute ma curiosité pour cet ouvrage. J'ai vraiment hâte de le lire car je ressens, comme chacun de nous probablement, le besoin pressant de comprendre ce qui se cache réellement derrière cette appellation d'islamisme devenue trop galvaudée et donnant lieu à de multiples interprétations parfois confuses. A titre d'exemple, je me demande quels sont les rapports réels entre l'islamisme modéré, piétiste et djihadiste. Sont-ils de connivence en préparant le terrain pour l'assaut terroriste ou bien tendent-ils à s'éliminer mutuellement?
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