Ciao professore !
« Je ne suis pas
sûr de dire là une chose originale, mais il me semble que l’un des problèmes
majeurs qui se posent à l’être humain est la question de comment affronter la
mort », c’est ainsi que l’intellectuel et écrivain italien Umberto Eco,
décédé samedi dernier à l’âge de 84 ans, avait entamé une réflexion qui ne
manquait pas d’humour sur comment aborder sereinement la mort. C’était en 1997,
dans une lettre destinée à un disciple imaginaire et publiée dans
l’hebdomadaire l’Espresso qui a eu l’intelligence de la republier au moment où
l’éminent philosophe rencontra la mort.
C’est l’une des
figures les plus brillantes de la philosophie contemporaine, Umberto Eco est
devenu mondialement célèbre à partir de son roman, Le nom de la rose, une
intrigue policière médiévale dans les milieux du fanatisme religieux. Tout le
récit est mené dans une sorte huis clos, une abbaye, où des meurtres étaient
commis, motivés par la quête autour de l’œuvre d’Aristote, la comédie. L’enjeu
était comment bannir le rire à partir de motifs religieux. Le roman a été porté
à l’écran par J.J Annaud avec Sean Connery dans le rôle de l’ex-inquisiteur,
Guillaume de Baskerville, chargé de mener l’enquête. Mais le succès du roman
dépasse de loin le film. L’œuvre romanesque d’Umberto Eco se présente en
effet comme le prolongement de sa réflexion philosophique par les moyens de la
fiction. Le nom de la rose est, dans ce sens, un formidable exercice
sémiotique. Le personnage principal est à l’image de l’auteur
lui-même ; un éternel capteur de signes. Toute son action consiste à
décrypter des signes sur la voie de la vérité. Dans la fiction, pour démasquer
le criminel ; et dans l’œuvre de tous les jours, il s’agit de décrypter les
signes de la modernité.
Il faut en effet
rappeler que si la notoriété médiatique voire populaire d’Umberto Eco est le
résultat du succès de son roman, il n’en demeure pas moins qu’il fut un grand
philosophe, un brillant intellectuel qui
ne manquait jamais d’humour et un grand sémioticien. Il a développé une sémiotique conjuguant la théorie et la
pratique. Sur le plan théorique, je peux citer des ouvrages qui me paraissent
fondamentaux pour comprendre sa démarche. Notamment L’œuvre ouverte qui a marqué le
discours critique contemporain dans son rapport à l’œuvre d’art ; celle-ci
est définie comme « un message fondamentalement ambigu, une pluralité de
signifiés en un seul signifiant », faisant appel à la coopération du
récepteur dans une démarche d’interprétation qu’il nourrit de son imaginaire.
La clôture d’une œuvre n’est jamais achevée, elle est prolongée par le pacte de
lecture qu’elle établit implicitement avec son récepteur.
L’autre œuvre de référence, entre autres bien sûr, est Sémiotique
et philosophie du langage. Le livre, très dense et très académique, analyse
cinq concepts qui ont dominé tous les débats sémiotiques : signe,
signifié, métaphore, symbole et code.
Umberto Eco
n’hésitait pas à confronter sa théorie sémiotique à la pratique quotidienne
; il était en quelque sorte un sémioticien bon vivant, traquant dans ses
articles pour l’hebdomadaire L’Espresso, les signes derrière les choses, les
discours derrière les discours. Articles qu’il réunit dans un livre
passionnant, La guerre du faux. Ouvrage qui n’est pas sans rappeler
Mythologies de Roland Barthes. Les deux sémiologues nous invitant à saisir du
sens là où on serait tenté de ne voir que des faits. Umberto Eco appelait à une
guérilla sémiologique pour démasquer les stratégies de manipulation, de
l’illusion et du faux. Une analyse pertinente des faits de société : une
émission de télévision, le terrorisme, un match de football, le blue-jean un
parc d’attractions…l’univers du quotidien magistralement décrypté par un regard
pétillant d’intelligence et de malice.
Il aimait dire que la
seule vérité qui va demeurer au-delà du réel est la vérité artistique,
« dans vingt ans, disait-il, mes petits-enfants oublieront les
décapitations opérées par Daech, mais ils n’oublieront pas la mort de
Hamlet ».
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