La vie d’Adèle… la nymphomane
Le clin d’œil à l’autre Adèle, celle du film d’Abdel Kechiche
est plausible. En effet, au-delà de
l’homonymie des personnages du roman de Leila Slimani, Dans le jardin de l’ogre
et du film La vie d’Adèle du cinéaste franco-tunisien, il y a matière à mener
un parallèle. D’abord au niveau des auteurs ; nous sommes en présence de
deux « beurs » qui ne mettent pas en scène d’autres beurs. Ni parlent
de l’immigration. Ensuite, ils s’attèlent à disséquer non pas l’extériorité des
relations mais l’intériorité de deux personnages puisés dans lé géographie
profonde de la France d’aujourd’hui. Abdel Kechiche cerne au plus près la
passion amoureuse d’une lycéenne au point de placer sa caméra au cœur de son expérience amoureuse
dans sa phase érotique la plus intime, exposant aux regards de longues
séquences privée. Alors que Leila Slimani aborde la passion de son Adèle cette
fois sous sa forme intime aussi mais dans une version physique, sexuelle au
premier degré ; son héroïne étant une « toxicomane du sexe ».
Dans les deux œuvres enfin nous assistons à la mise en scène d’une construction
(Adèle/Kechiche), et destruction (Adèle/Slimani) de sujets puisés dans une société dite
moderne mais en proie à un malaise existentiel.
Un parallèle, en
entrée, pour dire que le roman de Leila Slimani, son premier, est déjà un
événement, littéraire certes il a reçu un formidable accueil public et
critique, mais aussi culturel puisqu’il contribue à sa manière, en confrontant
l’identité de l’auteur et l’identité du sujet, à dessiner la nouvelle
configuration des rapports
interculturels. Un exercice réussi d’altérité. Même si en fait, Adèle,
l’héroïne de son récit n’est pas un
modèle sociologique ; elle est davantage « un caractère ». Un
profil psychologique qui transcendé les frontières culturelles pour s’inscrire
dans une sorte d’archéologie de l’âme et
du corps. Ou plutôt du cops et de l’âme. Slimani nous propose plus qu’un un
portrait ; on sait qu’Adèle est journaliste, mariée à un médecin, Richard…
qui n’est pas sans rappeler un Charles, nouveau style. Adèle, une Madame Bovary
des temps modernes ? Sauf que, à la différence du romantisme maladif
d’Emma, Adèle « ne pense qu’à ça ». Le sexe toujours et partout. Et
avec tout le monde. Certes, elle aime Richard. Certes, elle aime Lucien…mais
face à la présence d’un homme…elle passe à l’acte. Lors d’un dîner, dans la
rue, au bureau ; dans un voyage de travail…C’est cru, parfois violent.
Mais ce n’est pas du porno. Slimani gère bien le regard qui porte les
descriptions.
Car, il ne s’agit pas d’être dupe. On n’est pas dans le
réalisme ; encore moins le naturalisme dont se réclame Much loved. Le
style de Slimani est moderne, il laisse une large part à l’ambiguïté. La ligne
de démarcation est ténue entre le réel du personnage et ses fantasmes. Je
penche d’ailleurs davantage pour cette lecture, Dans le jardin de l’ogre est le
récit de fantasme d’une femme sous influence. Je me réfère à la scène du train
quand Adèle voyage seul pour assister aux funérailles de son père…et commence à
fantasmer sur son corps dans un récit qui reste en suspens entre l’imagination
et le rêve éveillé ou un souvenir enfoui…Cette inflation de sexualité débridée
se laisse d’ailleurs lire sur un registre métaphorique comme une radioscopie
des sociétés contemporaines où le sujet est condamné à un vide qu’il cherche à
combler par l’excès de consumérisme.
Pour approcher Adèle, la scène fondatrice est un souvenir
d’enfance avec une scène (page 124) portée par une démarche d’intertextualité
avec la découverte précoce du livre de Kundera, L’insoutenable légèreté de
l’être qui ouvre à la jeune femme les voies de l’érotisme romancée. Des
flashbacks qui offrent des indications narratives mais tracent des pistes pour
expliquer et pourquoi pas excuser…et finalement sympathiser avec Adèle. Dans
cette fouille, émerge la figure du père dont Adèle était proche. Elle est la
fille d’une synthèse qui s’est faite par l’effacement d’un élément de
l’équation. Kader a suivi Simone en effaçant son identité. A sa mort,
Adèle d’ailleurs reprocher à sa mère
l’incinération du corps « ce n’est pas peut être une pratique courante
chez les m… », le mot ne sera pas prononcé car Slimani veille à
neutraliser tout ancrage culturaliste de son récit.
Je préfère parler de récit car on n’est pas dans la densité
d’un roman, style XIXème siècle avec sa foule de personnages, des intrigues
enchevêtrées…Ici, l’intrigue est réduite au minimum. On reste focalisé sur
Adèle. La structure permet un autre parallèle avec le cinéma. Dans le jardin
de l’ogre, avec son minimalisme, s’apparente à une esthétique nouvelle
vague, écriture transparente, limpide…un dispositif narratif aux antipodes du
récit hyper chargé de Hollywood. Le récit de Slimani progresse en multipliant
des micro-séquences. C’est très découpé, comme on dit dans le langage du
montage cinématographique. Ce qui lui donne
du rythme, un dynamisme… et in fine un récit qui se lit d’un trait.
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