Un
cinéaste de son temps
La nouvelle édition du
festival national du film qui s’ouvre aujourd’hui à Tanger rend un hommage au
cinéaste marocain Latif Lahlou. Un hommage mérité, pertinent et opportun. Il
vient confirmer, en effet, une caractéristique majeure du cinéma marocain, à
savoir sa diversité générationnelle.
Latif Lahlou appartient à la génération des pionniers ; il est
lauréat de la célèbre école de cinéma parisienne l’IDHEC, section montage, en
1959. Cela est d’autant plus pertinent que le cinéma de Latif Lahlou offre des
constantes et des marques qui en font un corpus cohérent susceptible de
constituer une matière d’analyse et une référence aux jeunes cinéastes. C’est
un cinéma, à mon sens, qui est marqué par deux phases essentielles que l’on
peut résumer rapidement sous forme d’hypothèses, à confirmer par l’analyse.
Deux phases qui se succèdent dans le temps et qui portées par des films qui se
distinguent par leur format, leur genre, leur thématique et leur univers de
référence. On peut parler à ce propos d’une première phase qualifiée de
socio-ethngraphique ; celle qui va, grosso modo de 1959 à 1969 ;
marquée par la réalisation d’une vingtaine de courts et moyens métrages
inscrits dans l’approche de la ruralité et dont l’œuvre emblématique est Sin
Agafaye (les deux canaux, en langue amazigh). Ce court métrage de 1967,
constituant une œuvre phare de cette période faste du documentaire marocain.
Sin agafaye aborde une réalité complexe, celle de restituer un rite ancestral,
relatif au partage communautaire de l’eau, en mettant en relief, par le seul
travail de l’image, l’apport de l’investissement humain dans le dur labeur
qu’imposent les conditions de vie à la campagne.
La seconde phase, peut
être qualifiée de socio-psychologique…qui voit la caméra et le regard de
Latif Lahlou opérer un redéploiement stratégique et qui commence avec Soleil de
printemps, long métrage de fiction (1969). On passe alors à une dramaturgie
urbaine, à un recentrage sur les caractères, la psychologie de personnages
inscrits, à l’image de la société marocaine, dans un processus de modernité.
Les images d’ouverture de Soleil de printemps sont à ce propos
éloquentes ; elles disent le nouveau contexte marqué par la verticalité
(les fameux immeubles de l’avenue des FAR à Casablanca) en lieu et place de
l’horizontalité des plaines du Haouz. Le personnage principal est un petit
fonctionnaire, originaire de la campagne comme pour assurer la transition avec
les personnages futurs et annoncer le nouveau scénario de la filmographie de
Latif Lahlou. Un scénario urbain par excellence.
Le cinéaste va s’atteler
en effet à un travail de décryptage des rapports sociaux au sein des nouvelles
couches aisées de la société marocaine. La compromission (1986), suit, sur
fond de luttes des classes, l’évolution
d’un jeune cadre, architecte de formation. Ses idées généreuses au départ
finissent par s’engluer dans une série de compromis. Cette impasse d’une couche
sociale sera illustrée métaphoriquement par l’impuissance au double sens du mot
du bourgeois rural du film, Les jardins de Samira (2007) en
déplaçant le drame vers le lieu de l’intimité, la chambre à coucher, Latif
Lahlou dévoile l’hypocrisie, la frustration et le désir de vie qui traversent
en filigrane l’univers aux fausses apparences d’une société bloquée.
Blocage qui suppose, pour
son dépassement, une énergie nouvelle, celle par exemple que vient prôner le
jeune cadre de La grande villa (2009). Fraîchement rentré de son exil
doré, Rachid, bute sur des obstacles à la fois de nature bureaucratique et
culturelle. Son couple mixte, marié à une européenne, qui est tout un programme symbolique de
symbiose entre ici et ailleurs entre tradition et modernité, tombe à l’eau. « Les
poches de résistance » sont hostiles à toute velléité de changement. Le
couple lui-même qui offre une métonymie du projet social de Rachid subit les
soubresauts de ce blocage.
Le nouvel opus de Latif
Lahlou, L’anniversaire (2014) synthétise ce processus, et va plus loin
encore en radicalisant certains choix dramatiques au niveau de la
responsabilité qu’il fait incomber clairement à certaines couches sociales, les
intellectuels notamment. C’est une radioscopie sans concession que nous offre
Latif Lahlou de l’élite issue de l’ouverture politique du nouveau régime, à
l’orée des années 2000.
M.B
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire