Che Guevara
Il n’y a pas
une actualité particulière pour parler de Che aujourd’hui. Mais un mythe n’a
pas besoin d’une date du calendrier pour revisiter l’imaginaire, pour prolonger
sa présence ; ce n’est pas une figure du passé figée dans le rite des
cérémonies commémoratives; non, Che offre une autre présence, celle d’un symbole cristallisant le besoin d’une autre
façon de vivre ; Che c’est la permanence de l’utopie. “Mais qu’est le Che
devenu ? En quelle sorte de vivant ce mort s’est-il transformé ?”, s’interroge
Régis Debray dans le chapitre intitulé Métamorphoses du héros de son livre
Croire, voir, faire. Mais son approche est un exercice mediologique,
c’est-à-dire s’attacher à percer l’énigme des trajectoires symboliques. Un
livre s’intéresse par contre à Che, l’homme et le mythe pour savoir
pourquoi, aujourd’hui encore dans les diverses manifestations du mouvement
social ou de la jeunesse, l’image de Che sort plus nette que jamais ; face à la
crise générale de sens provoquée par les ravages du libéralisme triomphant, les
idées guévaristes progressent en effet dans le monde et se renouvellent à la
lumière des questions inédites qui se posent à notre époque. Il s’agit du livre
Che Guevara, du mythe à l’homme, aller-retour, de Miguel Benasayag. Ce n’est pas
une biographie de plus, souligne l’auteur d’emblée qui ne manque pas
d’ailleurs, par éthique, de rappeler l’existence d’ouvrages de référence sur le
sujet, notamment l’excellent ouvrage de Pierre Kalfon, Ernesto Che Guevara une
légende du siècle (Seuil 1998). Il nous propose alors une autre démarche, ce
qu’il appelle une sorte de voyage autour de cette constellation complexe qui se
compose d’attributs personnels et de circonstances historiques et qui fait de
Che un emblème de la contestation et un phénomène de référence au magnétisme
inégalable. Le livre ne comporte donc ni nouvelles révélations ni récit de
quelques épisodes mouvementés, c’est une réflexion qui puise dans une double
inspiration : la formation philosophique de l’auteur et son expérience d’ancien
combattant guévariste. En somme, c’est le point de vue d’une génération sur une
époque et ses turbulences animées par la violence du désir de voir le monde
changer. Une violence qui a remporté comme un torrent aveugle des vies
auxquelles l’auteur ne manque pas de rendre hommage : “J’ai le sentiment de
vivre des heures volées. Je fus comme
ébranlé par une sentence de mort et mon âme s’est considérablement assombrie.
Tragiquement, le hasard fut beaucoup moins prodigue avec d’autres camarades
dont les vies si courtes n’en furent pas moins nobles et courageuses”. Ce
faisant, l’analyse renvoie à l’actualité car d’une manière ou d’une autre, le
guévarisme est au cœur du débat qui traverse la mouvance altermondialiste, la
gauche socialiste. Le guévarisme non pas ramené à son expression caricaturale
du guérillero mais comme pensée et pratique portant les prémices d’une nouvelle
forme d’exercice ou de “faire de la politique” ; une vision de la politique
fondée sur le principe du contre-pouvoir. Les mouvements de gauche animés de la
volonté de trouver une alternative au cynisme et au fatalisme des années 80 et
90 s’inspirent de cette démarche pour construire des projets et non seulement
des programmes ; le néolibéralisme cesse d’apparaître comme un horizon
indépassable. Il est donc réducteur d’enfermer le guévarisme dans une polémique
sur les moyens de lutte : élections / lutte armée. Le guévarisme contribue au
contraire à clarifier des notions comme celles de pouvoir, d’engagement. En
d’autres termes, on peut être réformiste et guévariste, car c’est un
positionnement philosophique qui dicte un rapport différent au pouvoir.
Celui-ci n’est plus perçu comme une structure mais comme l’ensemble des
relations qui structurent la société. La
critique d’inspiration guévariste ne concerne pas un pouvoir mais le pouvoir ;
la conséquence d’une telle approche est énorme ; il ne suffit pas de renverser
une classe dominante pour voir fleurir la liberté. L’expérience des pays du
socialisme soviétique est éloquente à ce sujet.
Autre leçon
guévariste, c’est le dépassement de la dichotomie moyens/fins : le changement
n’est pas renvoyé au lendemain ; échéance sans cesse refoulée pour multiples
raisons. C’est le triomphe du principe de l’immanence. Ce que nous faisons a du
sens ici et maintenant. La justesse de l’action ne devra pas être recherchée
dans le futur, mais dans son caractère juste au présent. La révolution n’est
pas un point d’arrivée mais un devenir ; elle n’est pas l’objectif de l’acte
révolutionnaire, mais l’acte lui-même, “inexorable et interminable”.
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