lundi 8 février 2016

Décès de Tayeb Seddiki, témoignage de Bakrim

Tayeb Seddiki, l'artiste multidimensionnel
Témoignage de Bakrim

Une étoile s’éteint mais son aura continue à illuminer le firmament, tel est Tayeb Saddiki : une star éternelle dont le génie créateur brillera longtemps au sein du panthéon de notre mémoire artistique. Tous les qualificatifs s’avèrent impuissants pour décrire les qualités multiples et immenses de ce grand artiste ; comment dire notre tristesse et notre affliction face à cette perte qui nous laisse abasourdi tant un vide abyssal va marquer notre scène artistique, notre paysage culturel et intellectuel. Nous venons de perdre notre Orson Welles…tout simplement.

Tayeb Saddiki est un artiste complet. Bien sûr il a forgé une brillante carrière nationale et internationale en tant qu’homme de théâtre où il était comédien, metteur en scène et auteur mais il fut aussi un cinéaste, un peintre, un calligraphe, un poète, un écrivain et…Un grand Monsieur.
Au cinéma, il a commencé très jeune à jouer dans des films inscrits dans le sillage de ce que j’ai qualifié de cinéma post-colonial c’est-à-dire ces films réalisés par des Français qui ont continué à travailler au Maroc après  la fin officielle du protectorat. Il a même commencé un peu avant puisque on le retrouve dans le célèbre sketch filmé, Le poulet réalisé par Jean Fléchet en 1954. Avec le même Jean Fléchet, Tayeb Saddiki participera aux côtés d’une pléiade de grands comédiens locaux à un petit bijou de cette période, Brahim ou le collier de beignets, film de 1957 et qui représentera officiellement le Maroc au festival de Berlin.


En 1959, il joue dans Pour une bouchée de pain de Larbi Bennani, un docu-fiction sur la promotion de la consommation de la sardine et auquel Saddiki donnera une dimension chaplinesque indéniable, faisant preuve d’une aisance dans le jeu et d’une grande maîtrise du comique de situation, mettant en œuvre des mouvements agiles et cohérents et un jeu facial expressif sans verser dans la bouffonnerie. Cette aisance et cette maestria on les retrouve également en 1962, dans son interprétation dans le film de Jean Severac, Les enfants du soleil. Des productions  internationales tournées au Maroc feront appel à lui notamment Lawrence d’Arabie (1962) de David Lean et dans le chef d’œuvre de Mostafa Akkad, Le Message, Arrissala (1977).
Des cinéastes marocains auront recours à ses immenses talents, lui-même finira par passer derrière la caméra réalisant des courts métrages, des reportages de commande, des documentaires sur des sujets qui lui tenaient à cœur (la peinture, les arts populaires…), des téléfilms et un chef d’œuvre qui mérite d’être réhabilité aujourd’hui, Ezzeft (1984). Dans une discussion avec des amis à propos du cinéma de Hicham Lasri, j’ai avancé l’hypothèse que c’est un cinéma qui se situe dans la tradition ouverte par un film comme Ezzeft de Saddiki.

Au théâtre, Tayeb Saddiki, va laisser éclater toute la plénitude de son immense talent. C’est là où il a été un des rares à réussir à résoudre l’équation qui hante l’imaginaire de  tout artiste rénovateur, celle d’innover sans se couper du public. En somme il a réussi il à faire du théâtre d’auteur… populaire. Il a adapté des chefs d’œuvre du répertoire universel mais il s’est également réapproprié magistralement et intelligemment tout l’héritage de la culture populaire en matière de spectacle collectif. Revoir aujourd’hui Alharraz montre l’immensité du travail de création réalisé. Les mauvaises langues, et ceux qui étaient écrasés par son talent ont tenté de le dénigrer. Il les ridiculisait en les pastichant sur scène ; il suffisait de décrypter les signes qu’il distillait dans les répliques ou les situations. : Tout son théâtre est inscrit dans une modernité engagée au service des grands idéaux ; sans slogan ni mot d’ordre. N’oublions pas qu’il fut l’initiateur d’un magnifique projet intitulé Le théâtre ouvrier, dès la fin des années 50. Des représentations étaient organisées en partenariat avec la grande centrale syndicale, l’UMT. Un artiste organique, comme dirait Gramsci.
Et puis toute cette intelligence était également mobilisée au service d’un verbe fin, d’un savoir vivre et d’une élégance de tous les instants. Il n’avait pas son pareil pour réussir un jeu de mots. Une fois il m’avait appelé au téléphone et après une petite discussion, il m’avait invité à venir chez lui. Je lui dis alors que je viendrais « avec plaisir », sa réplique fut instantanée : « non, viens tout seul ! ». Sacré Tayeb !!!

Aucun commentaire:

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...