Tayeb Seddiki, l'artiste multidimensionnel
Témoignage de Bakrim
Une étoile s’éteint mais son aura continue à illuminer le
firmament, tel est Tayeb Saddiki : une star éternelle dont le génie
créateur brillera longtemps au sein du panthéon de notre mémoire artistique.
Tous les qualificatifs s’avèrent impuissants pour décrire les qualités
multiples et immenses de ce grand artiste ; comment dire notre tristesse
et notre affliction face à cette perte qui nous laisse abasourdi tant un vide
abyssal va marquer notre scène artistique, notre paysage culturel et
intellectuel. Nous venons de perdre notre Orson Welles…tout simplement.
Tayeb Saddiki est un artiste complet. Bien sûr il a forgé une
brillante carrière nationale et internationale en tant qu’homme de théâtre où
il était comédien, metteur en scène et auteur mais il fut aussi un cinéaste, un
peintre, un calligraphe, un poète, un écrivain et…Un grand Monsieur.
Au cinéma, il a commencé très jeune à jouer dans des films
inscrits dans le sillage de ce que j’ai qualifié de cinéma post-colonial
c’est-à-dire ces films réalisés par des Français qui ont continué à travailler
au Maroc après la fin officielle du
protectorat. Il a même commencé un peu avant puisque on le retrouve dans le
célèbre sketch filmé, Le poulet réalisé par Jean Fléchet en 1954. Avec le même
Jean Fléchet, Tayeb Saddiki participera aux côtés d’une pléiade de grands
comédiens locaux à un petit bijou de cette période, Brahim ou le collier de
beignets, film de 1957 et qui représentera officiellement le Maroc au festival
de Berlin.
En 1959, il joue dans Pour une bouchée de pain de Larbi
Bennani, un docu-fiction sur la promotion de la consommation de la sardine et
auquel Saddiki donnera une dimension chaplinesque indéniable, faisant preuve
d’une aisance dans le jeu et d’une grande maîtrise du comique de situation,
mettant en œuvre des mouvements agiles et cohérents et un jeu facial expressif
sans verser dans la bouffonnerie. Cette aisance et cette maestria on les
retrouve également en 1962, dans son interprétation dans le film de Jean
Severac, Les enfants du soleil. Des productions
internationales tournées au Maroc feront appel à lui notamment Lawrence
d’Arabie (1962) de David Lean et dans le chef d’œuvre de Mostafa Akkad, Le
Message, Arrissala (1977).
Des cinéastes marocains auront recours à ses immenses
talents, lui-même finira par passer derrière la caméra réalisant des courts
métrages, des reportages de commande, des documentaires sur des sujets qui lui
tenaient à cœur (la peinture, les arts populaires…), des téléfilms et un chef
d’œuvre qui mérite d’être réhabilité aujourd’hui, Ezzeft (1984). Dans une
discussion avec des amis à propos du cinéma de Hicham Lasri, j’ai avancé
l’hypothèse que c’est un cinéma qui se situe dans la tradition ouverte par un
film comme Ezzeft de Saddiki.
Au théâtre, Tayeb Saddiki, va laisser éclater toute la
plénitude de son immense talent. C’est là où il a été un des rares à réussir à
résoudre l’équation qui hante l’imaginaire de
tout artiste rénovateur, celle d’innover sans se couper du public. En
somme il a réussi il à faire du théâtre d’auteur… populaire. Il a adapté des
chefs d’œuvre du répertoire universel mais il s’est également réapproprié
magistralement et intelligemment tout l’héritage de la culture populaire en
matière de spectacle collectif. Revoir aujourd’hui Alharraz montre l’immensité
du travail de création réalisé. Les mauvaises langues, et ceux qui étaient
écrasés par son talent ont tenté de le dénigrer. Il les ridiculisait en les
pastichant sur scène ; il suffisait de décrypter les signes qu’il
distillait dans les répliques ou les situations. : Tout son théâtre est
inscrit dans une modernité engagée au service des grands idéaux ; sans
slogan ni mot d’ordre. N’oublions pas qu’il fut l’initiateur d’un magnifique
projet intitulé Le théâtre ouvrier, dès la fin des années 50. Des
représentations étaient organisées en partenariat avec la grande centrale
syndicale, l’UMT. Un artiste organique, comme dirait Gramsci.
Et puis toute cette intelligence était également mobilisée au
service d’un verbe fin, d’un savoir vivre et d’une élégance de tous les
instants. Il n’avait pas son pareil pour réussir un jeu de mots. Une fois il
m’avait appelé au téléphone et après une petite discussion, il m’avait invité à
venir chez lui. Je lui dis alors que je viendrais « avec plaisir »,
sa réplique fut instantanée : « non, viens tout seul ! ».
Sacré Tayeb !!!
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