jeudi 4 février 2016

Hassan Aourid décrypte l’islamise marocain


Chronique d’une métamorphose annoncée

Les livres de Hassan Aourid interpellent, suscitent l’intérêt et souvent séduisent. Ils interpellent d’abord parce que tout simplement c’est Hassan Aourid. La signature ne passe pas inaperçue, le nom de l’auteur renvoie à une séquence très proche de l’actualité politique du pays. Un nom qui ne laisse pas indifférent, un peu, comme dirait l’autre, « à l’insu de son plein gré ». On n’échappe pas à sa biographie. Mais au-delà, les livres du professeur interpellent par leur thématique, les sujets abordés qui à travers la variété des genres (essais, fictions…) enrichissent la panoplie des réflexions qui  font honneur à un espace public souvent apathique. Et ce sont des livres qui séduisent par leur qualité intrinsèque ; comme textes procurant du plaisir. Ses chroniques dans la revue Zamane sont un délice et son roman Le Morisque se lit d’un trait ; il constitue par ailleurs un scénario d’inspiration historique qui permettrait une intéressante adaptation cinématographique.
Bref, nous sommes en présence d’un intellectuel moderne, nourri de l’esprit du temps, attaché à ses racines amazighes et qui s’engage dans les grands débats de notre société. Le livre qu’il vient de sortir en est une nouvelle illustration. L’impasse de l’islamisme, cas du Maroc (Rabat, 2015) aborde un sujet non seulement d’actualité (brûlante j’ai envie de dire, presque au sens propre) mais qui est devenu quasiment universel : l’islamise est à l’ordre du jour des politiques, des sécuritaires et des académiciens de New York à Djakarta en passant par Rabat, Paris. L’islam politique voire l’islam tout court est devenu la question politique et philosophique  fondamentale de notre époque. C’est dans ce contexte que Hassan Aourid intervient dans le débat avec un livre au titre qui peut paraître paradoxal ou en contradiction avec ce que rapportent les médias. Au moment où partout on parle de la déferlante islamiste en termes de scores électoraux comme en termes d’occupation de l’espace public, lui choisit de parler « d’impasse ». C’est dans ce « paradoxe » que réside la thèse qui oriente le livre et lui donne sa consistance intellectuelle et politique : ce triomphe est –aussi-  en somme un chant de cygne d’une certaine variante de l’islamisme. C’est ce que je propose d’appeler, si j’ai bien compris cette thèse, la métamorphose de l’islamisme, sa mue. Elle est la résultante de l’implication des islamistes dans la chose politique au sens de la gestion des affaires publiques. Pour bâtir sa thèse, Hassan Aourid se réfère aux travaux de Marcel Gauchet, notamment son livre Le désenchantement du monde où il développe l’idée de « la sortie de la religion de la sphère publique ». Hassan Aourid, après une fine et riche analyse du cas marocain, dans son contexte arabo-musulman et international, arrive à la même conclusion et en transpose la logique au Maroc et au monde musulman. « Les convulsions que nous vivons, symptomatiques d’une imbrication du religieux et du temporel, sont certainement les prémices d’un mouvement de « sortie » de la religion de la sphère publique ». Attention : quand on parle ici de sortie de la religion, il ne s’agit pas des croyances des personnes, cela concerne la manière d’être de la société, le comportement des acteurs dans la sphère publique. Cette analyse constitue la charpente du livre qui, rappelons-le trouve sa genèse dans la conférence présentée par l’auteur dans le cadre des jeudis de l’IMA à Paris. Un premier chapitre permet de placer le décor, une scène d’exposition en quelque sorte puisqu’elle restitue l’historique de l’évolution du champ religieux à partir du rapport au concept clé de notre pensée contemporaine, la tradition. On sait comment ce concept a fonctionné comme trame narrative d’une œuvre féconde, celle d’Abdellah Laroui dont s’inspire par ailleurs Hassan Aourid. C’est alors un récit passionnant dans les arcanes du système politique marocains avec feu Hassan 2 qui œuvra à développer un rapport spécifique à la tradition (de l’invention de la tradition à la tradition rénovée). Le livre aborde ensuite le comportement des principaux acteurs de l’islamisme politique dans le chapitre « islamiser la modernité » avec le cas d’Aladl wa al ihssane et du PJD ; avant d’aborder le cas très spécifique du mouvement salafiste avec ses variantes notamment la mouvance traditionnelle, liée au wahhabisme et la variante djihadiste. Celle-ci ayant subi également un mouvement, en cours, de mutation.

Dans tous ces développement, l’analyse se nourrit de références historiques, de réflexions théoriques (le livre est très didactique), avec parfois des dérives polémistes notamment dans le chapitre consacré au PJD, et d’éléments puisés dans l’actualité. La vision alterne entre un point de vue d’Etat major, l’auteur ayant été familier des arcanes du pouvoir et des principaux acteurs cités et le point de vue du fantassin, celui de l’intellectuel engagé dans le combat d’idées. Avec humilité et lucidité. J’aime bien conclure en le citant dans ce sens : « Face à tout messianisme, il faut laisser parler la réalité, même si elle tarde à le faire » (Page 79). Une lecture tonique qui réhabilité l’intelligence.

1 commentaire:

Kader a dit…

Ton excellent article, cher ami, suscite toute ma curiosité pour cet ouvrage. J'ai vraiment hâte de le lire car je ressens, comme chacun de nous probablement, le besoin pressant de comprendre ce qui se cache réellement derrière cette appellation d'islamisme devenue trop galvaudée et donnant lieu à de multiples interprétations parfois confuses. A titre d'exemple, je me demande quels sont les rapports réels entre l'islamisme modéré, piétiste et djihadiste. Sont-ils de connivence en préparant le terrain pour l'assaut terroriste ou bien tendent-ils à s'éliminer mutuellement?

Albachado de Hassan Aourid

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