La conscience et la raison
Amnesty Maroc lance une initiative pour une implication des
intellectuels face à la déferlante terroriste. C’est une initiative opportune
et pertinente. Elle répond à une nécessité de salubrité publique. Elle vient
rompre une sorte d’omerta implicite qui marque l’espace public au Maroc quant
aux grandes tragédies qui secouent le monde. L’impression générale qui se
dégage en effet est que les intellectuels ont évacué (certains parlent de désertion)
le champ du débat public autour de grandes questions de société et notamment
celle du terrorisme.
Certes, l’ampleur de la violence qui marque certains faits de
l’actualité et la nature de la contre-violence du discours des politiques
incitent certains intellectuels à la prudence. Une violence en appelle une
autre. A la violence de l’acte terroriste répond en contre-champ la violence des anathèmes et des amalgames
dans la dénonciation, en principe légitime car elle émane du camp des victimes.
Le rôle des intellectuels est justement d’intervenir au sens noble du mot pour
dire la raison contre la passion. Pour dire la justice contre la vengeance.
Hannah Arendt enseignait que la tâche de l’intellectuel « est de penser
l’événement pour ne pas succomber à l’actualité ». Aujourd’hui, des
intellectuels marocains s’apprêtent à prendre une initiative à partir de
Casablanca pour « un front de la culture contre la haine et la
violence ». C’est une prise de conscience salutaire…elle doit être menée avec
sérénité et lucidité. Du coup, nous
formulons une première remarque au niveau de l’intitulé choisi. Parler de
« front », c’est s’inscrire dans une logique de guerre. C’est
reprendre la logique des terroristes. Le terrorisme est un piège qui est tendu
à la démocratie. Restreindre les libertés dans une perspective sécuritaire
étroite en est un exemple. Puiser dans son champ sémantique, c’est être
prisonnier de sa rhétorique ; c’est épouser sa logique guerrière …
Le sursaut des intellectuels face la violence est un appel à
réhabiliter la pensée ; à réveiller les consciences ; à ouvrir les
yeux sur les multiples fractures qui nourrissent les radicalisations
meurtrières. Cette violence qui hante notre horizon n’est pas une
malédiction ; elle n’est pas tombée du ciel. Elle est l’émanation d’un
dysfonctionnement de nos sociétés. Elle est l’expression de l’exclusion et de
la domination. C’est l’irruption de la marge qui vient investir le centre.
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