Lueur de cinéma à Tanger
L’esquisse d’une ligne de
partage qui traverse les films de la compétition officielle commence à se
dessiner à quelques moments de la clôture et du palmarès de la 16ème édition du festival national du film. Une
ligne de partage née de l’inscription de chaque film dans une démarche plus au
moins portée par un souci de cinéma. La plupart des films, ceux des jeunes
« cinéastes », notamment, sont des téléfilms en instance de diffusion.
Des images formatées et des discours lisses sans aspérité ni audace ont
caractérisé l’écriture dominante de cette édition…. Le festival somnolait
(après le coup de semonce de Lagtaâ le premier jour) quand Tala Hadid l’a
réveillé ! Son film, La nuit entr’ouverte a semé du doute, secoué les
regards et a aiguisé l’intelligence. Bref, une lueur de cinéma a percé dans le
brouillard cathodique qui pesait sur Tanger.
Le film était passé comme un
OVNI dans le ciel serein du festival de Marrakech, son titre en anglais, avec
une traduction timide en arabe, The narrow frame of midnight (Itar el-Layl), a
certainement rebuté plus d’un. Le premier long métrage de Tala Hadid est
pourtant un film de notre temps. Il est le plus inscrit dans l’actualité :
n’aborde-t-il pas à sa manière le départ des jeunes pour rejoindre les guerres
du moyen orient ? Mais il le fait par les moyens du cinéma, par le biais d’une
narration non linéaire ; un récit éclaté, polyphonique. Un film choral qui dit
la complexité du monde ; on y retrouve les thématiques et les figures chères à
Hadid : la quête, le travelling d’accompagnement, l’image de l’enfance…pour
accéder à cet OVNI, il faudra certainement passer par Gilles Deleuze : à
l’image mouvement du cinéma dominant, Tala Hadid oppose l’image temps : « des
personnages pris dans des situations optiques ou sonores, se trouvent condamnés
à l’errance ou à la balade ».
Le bon hasrd de la programmation a mis le film
avec celui très attendu de Mohamed Mouftakir, L’orchestre des aveugles…C’est
pour dire que ce fut, pour les festivaliers cinéphiles, une journée faste où le
cinéma repris ses droits…
L’orchestre des aveugles, je
le dis d’emblée, a bousculé l’horizon d’attente de ceux qui voulaient aborder
le film à partir d’a priori ou selon une grille de lecture établie d’avance.
Erreur fatale d’une réception paresseuse car chaque film propose son programme
de lecture ; et le film réussi et celui qui crée cet écart avec les préjugés.
Je pose rapidement (en attendant d’y revenir en détail) comme hypothèse de
lecture qu’avec son deuxième long métrage, Mouftakir aborde d’une manière
personnelle une équation encore en friche dans le cinéma marocain, celle de
proposer un cinéma d’auteur ouvert sur le grand public ; ou dit autrement, un
cinéma grand public qui ne renonce pas à ses ambitions artistiques, restant
fidèle à une conception « auteuriste » du cinéma. Cette stratégie d’ensemble ou
cette finalité non écrite se décline à travers des moyens et des procédés. Le
film en effet s’inscrit dans une démarche d’écriture que l’on qualifierait
d’autofiction. Le drame, le contenu scénaristique, se réfère à des éléments
d’autobiographie…Sauf que l’autofiction ne se réduit pas au simple de récit de
vie. C’est l’autobiographie marquée par le discours, portée par le langage
choisi par l’auteur en l’occurrence, le langage du cinéma. Mouftakir fait du
Proust avec les moyens du cinéma. Il rejoint ainsi un autre auteur « cérébral »
de notre cinéma, Moumen Smihi qui a entamé un vaste projet d’autofiction.
A contenu nouveau, forme
nouvelle, semble être le code qui a mené le travail de Mouftakir pour son
deuxième long métrage. Ce retour à un passé biographique est organisé non pas
selon un découpage dicté par la mémoire mais selon les codes narratifs d’un
cinéma que l’on qualifierait de postmoderne. Postmodernité qui transparaît dans
les références cinéphiliques qui marquent l’orchestre des aveugles, dans
l’éclectisme des modes narratifs choisis, le poétique alterne avec le réaliste
; l’épique avec le comique. Le genre autofictionnel répond en outre à un
traumatisme originel qui traverse tous
les films de Mouftakir mais abordé d’une manière explicite dans son deuxième
long métrage, à savoir la disparition précoce du père. Cette mort non annoncée
va marquer l’enfant Mimou et ouvrira la
voie à une crise identitaire qui se révélera à un double niveau : celui
du sujet/narrateur ; celui du texte/narré produit par le sujet. Une crise
d’identité textuelle à travers un moi morcelé et un récit fragmenté…d’où le
malaise chez une partie des récepteurs. Dans l’orchestre des aveugles, le
caractère fragmenté du récit est porté par le recours à la figure centrale du
montage et à la multiplication des références visuelles : images plastiques et
poétiques des lieux supérieurs (les rencontres avec Shama dans les terrasses)
versus des images d’un réalisme quasi tragique dans les milieux d’en bas
(chambres sombres du rez de chaussée). Le haut et le bas en alternance et
fonctionnant comme vecteur d’une tension qui marquera le sujet. Le lieu du
récit, une véritable grande maison au sens de Mohamed Dib, est filmé comme un
vaste huis clos. Les contraintes de
production d’une reconstitution historique ont réduit, certainement et limité
tout recours à un contre-champ spatial ; le drame est centré alors sur un jeu
entre la verticalité, indice du rêve et du désir (lieu de rencontre avec
l’objet du désir : Chama) et l’horizontalité, espace de l’interdit, de la
violence, du faux et de l’usage du faux (la note de l’école falsifiée,
l’orchestre des aveugles qui n’en est pas un…).
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