mercredi 25 février 2015

Le cinéma marocain et mythologies

Mythologies marocaines
Quel est ce pays qui apparaît à l’écran du festival national du film ? Quel est ce Maroc que les scénarii de la compétition officielle ont dramatisé ?  Les films sont des véhicules de mythologies qui finissent par irriguer leurs propos et apparaissent comme des miroirs de la société qui les a vu naître. Lors d’un krash d’avion, moult interrogations viennent nourrir différentes hypothèses. Jusqu’à ce que la boîte noire livre des clés de compréhension. Nous formulons l’hypothèse aujourd’hui que le cinéma marocain est la boîte noire incontournable pour comprendre la société marocaine. Une société traversée de multiples mutations à différents niveaux et qui souffre du déficit d’approches analytiques. Le professeur Rahma Bourquia parle d’une « société sous-analysée ». Peut-être du point de vue des grilles de lecture académique traditionnelle, issue de la sociologie ; celle-ci, chez nous avait pâti des années de plomb et ses départements évacués du cursus universitaire. Le cinéma offre un corpus, riche et diversifié, offrant au regard observateur et attentif, tout un discours sur la société marocaine. Un discours derrière le discours, le dit et le non-dit contribuent à établir un bilan de santé d’une réalité du point de vue de son imaginaire.
Pour comprendre l’Amérique, dans son processus d’évolution historique, il n’y a pas mieux que le western…et le film noir. La configuration du programma narratif, les stéréotypes véhiculés, les figures féminines mises en scène les lieux et les espaces construits…disent les angoisses, les interrogations qui traversent la société américaine à différents stades. Quel Maroc alors se dessine en filigrane à l’écran ? Un synopsis : crise de soi et fragmentation identitaire.
C’est, en effet, et à partir des films vus jusqu’à mardi, un pays clivé et divisé, atteint d’un mal incurable (Aida de Driss Lamrini) ; au bord de la crise des nerfs et du dédoublement de la personnalité (Les feuilles mortes de Younes Reggab). Un pays qui se souvient de ses blessures (La moitié du ciel) souffrant d’un mal de voisinage (L’écharpe rouge de Mohamed Lyounssi) et qui revendique un droit de mémoire (le Rif 1958 – 1959). Un pays qui peine à s’inscrire dans une altérité positive dans son rapport à l’autre qu’il porte en lui-même : présence remarquée de la communauté juive ( la famille de Aïda dans le film de Driss Lamrini ; Mme Serfaty dans Les feuilles mortes de Reggab Jr.) et de la langue amazighe (dans Rif 1958-1959)…  
Mais c’est aussi un pays qui recherche du réconfort dans la fiction pure ou la comédie (Les transporteurs de Saïd Naciri)) dans le grotesque qui évacue un surcharge de frustration (Karyan Bollyood de Yassine Fennane) ou encore en se racontant des success story (Chaïbia de Youssef Britel).
La réception du seul « documentaire » inscrit en compétition officielle, Rif 1958- 1959,  de Tarik El Idrissi dénote de la part du public une forte attente par rapport aux récits mémoriels. Un engouement qui dit que le commerce du passé fait florès. En abordant frontalement, un sujet porteur d’une sensibilité politique évidente, le cinéaste prend le risque de « la clôture du sens », c’est-à-dire de s’enfermer dans une interprétation univoque d’une histoire en train de s’écrire et dont l’encre/le sang est encore frais. Certes, il s’appuie sur deux béquilles de sécurité, l’une institutionnelle (le CNDH et le CCME) et l’autre académique (la référence aux historiens) mais ces précautions d’ordre éthique sont vite neutralisées par son écriture cinématographique, par se choix de mise en scène avec l’usage envahissant de la musique, des zooms sur les victimes, et du montage sec sans distance…Bref un usage fictionnel d’un matériau documentaire. Un documentaire qui fait pleurer son récepteur a raté sa mission.


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