Mythologies marocaines
Quel est ce pays qui apparaît
à l’écran du festival national du film ? Quel est ce Maroc que les
scénarii de la compétition officielle ont dramatisé ? Les films sont des véhicules de mythologies
qui finissent par irriguer leurs propos et apparaissent comme des miroirs de la
société qui les a vu naître. Lors d’un krash d’avion, moult interrogations
viennent nourrir différentes hypothèses. Jusqu’à ce que la boîte noire livre
des clés de compréhension. Nous formulons l’hypothèse aujourd’hui que le cinéma
marocain est la boîte noire incontournable pour comprendre la société
marocaine. Une société traversée de multiples mutations à différents niveaux et
qui souffre du déficit d’approches analytiques. Le professeur Rahma Bourquia
parle d’une « société sous-analysée ». Peut-être du point de vue des grilles de
lecture académique traditionnelle, issue de la sociologie ; celle-ci, chez nous
avait pâti des années de plomb et ses départements évacués du cursus
universitaire. Le cinéma offre un corpus, riche et diversifié, offrant au
regard observateur et attentif, tout un discours sur la société marocaine. Un
discours derrière le discours, le dit et le non-dit contribuent à établir un
bilan de santé d’une réalité du point de vue de son imaginaire.
Pour comprendre l’Amérique,
dans son processus d’évolution historique, il n’y a pas mieux que le western…et
le film noir. La configuration du programma narratif, les stéréotypes véhiculés,
les figures féminines mises en scène les lieux et les espaces construits…disent
les angoisses, les interrogations qui traversent la société américaine à
différents stades. Quel Maroc alors se dessine en filigrane à l’écran ? Un
synopsis : crise de soi et fragmentation identitaire.
C’est, en effet, et à partir
des films vus jusqu’à mardi, un pays clivé et divisé, atteint d’un mal
incurable (Aida de Driss Lamrini) ; au bord de la crise des nerfs et du
dédoublement de la personnalité (Les feuilles mortes de Younes Reggab). Un pays
qui se souvient de ses blessures (La moitié du ciel) souffrant d’un mal de
voisinage (L’écharpe rouge de Mohamed Lyounssi) et qui revendique un droit de
mémoire (le Rif 1958 – 1959). Un pays qui peine à s’inscrire dans une altérité
positive dans son rapport à l’autre qu’il porte en lui-même : présence
remarquée de la communauté juive ( la famille de Aïda dans le film de Driss
Lamrini ; Mme Serfaty dans Les feuilles mortes de Reggab Jr.) et de la langue
amazighe (dans Rif 1958-1959)…
Mais c’est aussi un pays qui recherche
du réconfort dans la fiction pure ou la comédie (Les transporteurs de Saïd
Naciri)) dans le grotesque qui évacue un surcharge de frustration (Karyan
Bollyood de Yassine Fennane) ou encore en se racontant des success story
(Chaïbia de Youssef Britel).
La réception du seul
« documentaire » inscrit en compétition officielle, Rif 1958- 1959, de Tarik El Idrissi dénote de la part du
public une forte attente par rapport aux récits mémoriels. Un engouement qui
dit que le commerce du passé fait florès. En abordant frontalement, un sujet
porteur d’une sensibilité politique évidente, le cinéaste prend le risque de
« la clôture du sens », c’est-à-dire de s’enfermer dans une interprétation
univoque d’une histoire en train de s’écrire et dont l’encre/le sang est encore
frais. Certes, il s’appuie sur deux béquilles de sécurité, l’une
institutionnelle (le CNDH et le CCME) et l’autre académique (la référence aux
historiens) mais ces précautions d’ordre éthique sont vite neutralisées par son
écriture cinématographique, par se choix de mise en scène avec l’usage
envahissant de la musique, des zooms sur les victimes, et du montage sec sans
distance…Bref un usage fictionnel d’un matériau documentaire. Un documentaire
qui fait pleurer son récepteur a raté sa mission.
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