lundi 16 février 2015

Adieu Amouri Mbark

Une voix authentique du Maroc profond

On le savait malade, mais on entretenait un espoir, celui de le voir sortir, comme à son habitude,  de cette ultime épreuve… car Amouri Mbark appartenait à une espèce née pour combattre, pour affronter l’adversité, naturelle et « culturelle » ; née pour gagner, à la sueur du front, le droit à la vie ; le droit d’exister. Mais cette fois c’est le mal qui a eu le dernier mot, il a fini par vaincre ce grand cœur  aux sentiments les plus nobles.
La triste nouvelle du décès du chanteur amazigh  Amouri Mbark est tombée tôt le matin du samedi et il a été enterré le jour même dans son village natal, dans les environs de Taroudant, aux confins de l’Anti-Atlas. Le pays de l’arganier, des mystiques, des poètes et des bergers ou des bergers-poètes. Là où il a vu justement le jour, au début des années 50 du siècle dernier, au sein d’une nature aride et quasi hostile ; là où il a appris que la vie ne lui fera pas de cadeau (orphelin très tôt) où il a appris qu’il fait partie d’un peuple à la culture séculaire chantée par les Roayess troubadours,  mais réduite, par l’échange inégal dominant, à la marge des circuits officiels…Il fit alors ses études dans la langue de l’autre tout en nourrissant au fond de lui-même, le projet de rester fidèle à la langue de sa mère et de la porter comme un gage ancestral. Cela fut fait avec brio. A l’instar du paysan mélancolique des vallées asséchées de l’Atlas, il trouva dans le chant et la musique le moyen d’exprimer sa personnalité ; la musique comme voie royale pour se réapproprier une culture, de lui rendre ses lettres de noblesse. Par fidélité à la mère.
Dans cette quête artistique et culturelle, il rencontra des amis, des frères animés de la même passion ; ils l’accompagnèrent  dans une formidable aventure qui donna un premier fruit, Ousmane, un groupe qui fut plus fulgurant qu’un éclair. Ce fut l’un des groupes les plus populaires de la chanson amazighe contemporaine. Puisant dans le riche patrimoine de Souss, composant une musique portée par le dynamisme de la jeunesse, Ousmane avec Amouri Mbark comme figure emblématique, s’est forgé une place de choix dans notre mémoire ; comme symbole d’une génération qui  découvrait enfin un renouveau de sa culture.
La vie ayant dicté ses lois implacables, Amouri Mbrk entama une longue période de réflexion et de recherche. Revenant une nouvelle fois toujours avec le même espoir, le même projet culturel. Il eut l’idée judicieuse d’appuyer sa musique sur  un socle de textes signés par d’illustres poètes amazighs (Mestaoui, Azaycou, Akhayat…). Cela donna des chefs-d’œuvre, que tous les jeunes de tamazgha et dans les banlieues froides abritant la diaspora, fredonnent comme hymne à l’amour, à la joie, à la vie.  Car Amouri Mbark  fut la voix des sans voix : à l’exemple des ouvriers arrachés aux plaines de Souss, du Rif, de l’Atlas et envoyés à la brume des mines et usines du nord, thème de son titre mythique Gennevilliers…mais aussi les désabusés, les déçus de la vie ou de l’amour. Ses chansons sont  marquées par le terroir comme ce beau chant dédié « au champ d’amandiers qui surplombe la source… »…

Sur le plan personnel, c’était un vrai ami, généreux et disponible ; un être charmant au sourire discret et presque timide.  Une figure qui donnait tout leur charme et leur chaleur à certaines places gadiries, désormais couvertes d’un voile de tristesse et de mélancolie.

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