Ou comment aborder la forme
cinématographique de l’histoire. L’histoire a animé, en effet, les journées
ternes du FNF. C’est ainsi que très vite le festival national du film est entré
dans le vif du sujet avec l’irruption de l’Histoire dans les histoires
racontées par les films de la première journée de la compétition officielle. Deux
films ont puisé dans des faits historiques du Maroc contemporain leur matériau
dramatique : ce que l’on a convenu d’appeler la guerre des sables de 1963
entre le Maroc et l’Algérie pour le film L’écharpe rouge de Mohamed Lyounssi et
les arrestations de nature politique du début des années 70 dans les milieux de
l’extrême gauche marocaine pour le film La moitié du ciel de Abdelkader Lagtaâ…
Cela n’a pas manqué d’ailleurs de déclencher des débats passionnés, notamment
autour du film La moitié du ciel. Passionnés car les faits rapportés sont
encore omniprésents comme souvenirs douloureux pour certains voire comme
cicatrices indélébiles pour d’autres. Et du coup la distance nécessaire pour
accueillir une fiction cinématographique a été neutralisée au bénéfice d’une
demande quasi éthique, celle de devoir de mémoire. Ce qui n’est pas inscrit
dans le protocole narratif d’un récit qui puise sa légitimité intrinsèque dans
un point de vue spécifique celui de la narratrice, en l’occurrence Jocelyne
Laabi qui dans son livre La liqueur d’aloès rapporte entre autres les faits inhérents
à l’arrestation de son mari, le poète Abdellatif Laabi. Le débat a pris très
vite une dimension passionnée voire tragique suite à l’intervention de la sœur
de la militante Saida Elmenbehi. L’intervenante a protesté contre la manière
avec laquelle certains dialogues du film ont rapportée le décès de sa
sœur ; « morte dans mes bras, dit-elle du fait de sa longue grève de
la faim ». Le débat a pris une autre tournure quand elle a exigé des
excuses, a demandé de revoir la scène incriminée et a menacé les promoteurs du
film de poursuite judiciaire. Abdelakder Lagtaâ, son équipe et son
co-producteur n’en revenaient pas, abasourdi par l’ampleur de la réaction.
Au-delà du sentiment humain
compréhensible face au poids encore pesant sur le cœur et la mémoire de cette
disparition tragique de la militante et poétesse Saida Elmenbehi pour les siens
et pour l’ensemble des progressistes, la réaction à l’égard du film est
disproportionnée et risque d’ouvrir une voie sans issue pour le cinéma
marocain, celle de voir les films réécrits à la lumière des débats de l’hôtel
Chellah à Tanger. Si chaque film doit être revu et corrigé à la lumière de la
réaction d’une partie du public au festival national du film, il serait alors
plus logique d’arrêter cette mascarade et revenir au temps du silence ; le
silence de la nuit et des cimetières…Le combat de Saïda Elmenbehi et de tous
les démocrates auraient été alors vain. Car ne l’oublions pas, Saïda a donné sa
vie pour la liberté d’expression. Si celle-ci est muselée par les gardiens d’un
quelconque ordre (moral ou mémoriel), c’est tout l’édifice qui s’écroulerait.
L’enjeu de ce qui s’est passé ce soir-là à Tanger est autrement plus grave. Il
rappelle comme un remake tragique ce qui s’est passé dans les mêmes lieux, il y
a dix ans, en 2005, autour du film Marock. L’histoire, se répète dit-on. Mais
comment.
Avec le film de Lyounssi, qui
pour sa part a « osé » une reconstitution historique loin d’être
ridicule, d’un drame familial autour de la frontière maroco-algérienne, et le
film de Lagtaâ nous aurions aimé voir les débats prendre une autre
dimension ; notamment autour de la problématique de la présence de
l’histoire dans le cinéma. Quelle forme cinématographique pour un fait
historique ? Ecriture historique et écriture cinématographique quels
rapports et quels échanges au bénéfice des uns, les historiens et des autres,
les cinéastes ? Quelle relation entre récit filmique et récit historique ?...Autant
de questionnements qui nourrissent une attitude et un positionnement critique à
l’égard du souvenir, de la mémoire et des récits. Un travail de réflexion et
une pose d’humilité pour montrer que rien d’avance n’est acquis, ni les drames,
ni la morne banalité du quotidien. S’attacher pour un récit refusant de rien
clore ; comme le suggère le plan final du film de Lagtaâ montrant, non pas
des retrouvailles, mais la voiture qui
file dans les champs, avec une femme et des enfants…décrivant l’événement comme
s’il n’était pas achevé ou définitivement accompli. Une posture énonciative qui
libère le récit cinématographique et renvoie la balle à l’histoire.
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