lundi 23 février 2015

la moitié du ciel, vers une nouvelle polémique

L’histoire entre scénario et mémoire 


Ou comment aborder la forme cinématographique de l’histoire. L’histoire a animé, en effet, les journées ternes du FNF. C’est ainsi que très vite le festival national du film est entré dans le vif du sujet avec l’irruption de l’Histoire dans les histoires racontées par les films de la première journée de la compétition officielle. Deux films ont puisé dans des faits historiques du Maroc contemporain leur matériau dramatique : ce que l’on a convenu d’appeler la guerre des sables de 1963 entre le Maroc et l’Algérie pour le film L’écharpe rouge de Mohamed Lyounssi et les arrestations de nature politique du début des années 70 dans les milieux de l’extrême gauche marocaine pour le film La moitié du ciel de Abdelkader Lagtaâ… Cela n’a pas manqué d’ailleurs de déclencher des débats passionnés, notamment autour du film La moitié du ciel. Passionnés car les faits rapportés sont encore omniprésents comme souvenirs douloureux pour certains voire comme cicatrices indélébiles pour d’autres. Et du coup la distance nécessaire pour accueillir une fiction cinématographique a été neutralisée au bénéfice d’une demande quasi éthique, celle de devoir de mémoire. Ce qui n’est pas inscrit dans le protocole narratif d’un récit qui puise sa légitimité intrinsèque dans un point de vue spécifique celui de la narratrice, en l’occurrence Jocelyne Laabi qui dans son livre La liqueur d’aloès rapporte entre autres les faits inhérents à l’arrestation de son mari, le poète Abdellatif Laabi. Le débat a pris très vite une dimension passionnée voire tragique suite à l’intervention de la sœur de la militante Saida Elmenbehi. L’intervenante a protesté contre la manière avec laquelle certains dialogues du film ont rapportée le décès de sa sœur ; « morte dans mes bras, dit-elle du fait de sa longue grève de la faim ». Le débat a pris une autre tournure quand elle a exigé des excuses, a demandé de revoir la scène incriminée et a menacé les promoteurs du film de poursuite judiciaire. Abdelakder Lagtaâ, son équipe et son co-producteur n’en revenaient pas, abasourdi par l’ampleur de la réaction.
Au-delà du sentiment humain compréhensible face au poids encore pesant sur le cœur et la mémoire de cette disparition tragique de la militante et poétesse Saida Elmenbehi pour les siens et pour l’ensemble des progressistes, la réaction à l’égard du film est disproportionnée et risque d’ouvrir une voie sans issue pour le cinéma marocain, celle de voir les films réécrits à la lumière des débats de l’hôtel Chellah à Tanger. Si chaque film doit être revu et corrigé à la lumière de la réaction d’une partie du public au festival national du film, il serait alors plus logique d’arrêter cette mascarade et revenir au temps du silence ; le silence de la nuit et des cimetières…Le combat de Saïda Elmenbehi et de tous les démocrates auraient été alors vain. Car ne l’oublions pas, Saïda a donné sa vie pour la liberté d’expression. Si celle-ci est muselée par les gardiens d’un quelconque ordre (moral ou mémoriel), c’est tout l’édifice qui s’écroulerait. L’enjeu de ce qui s’est passé ce soir-là à Tanger est autrement plus grave. Il rappelle comme un remake tragique ce qui s’est passé dans les mêmes lieux, il y a dix ans, en 2005, autour du film Marock. L’histoire, se répète dit-on. Mais comment.
Avec le film de Lyounssi, qui pour sa part a « osé » une reconstitution historique loin d’être ridicule, d’un drame familial autour de la frontière maroco-algérienne, et le film de Lagtaâ nous aurions aimé voir les débats prendre une autre dimension ; notamment autour de la problématique de la présence de l’histoire dans le cinéma. Quelle forme cinématographique pour un fait historique ? Ecriture historique et écriture cinématographique quels rapports et quels échanges au bénéfice des uns, les historiens et des autres, les cinéastes ? Quelle relation entre récit filmique et récit historique ?...Autant de questionnements qui nourrissent une attitude et un positionnement critique à l’égard du souvenir, de la mémoire et des récits. Un travail de réflexion et une pose d’humilité pour montrer que rien d’avance n’est acquis, ni les drames, ni la morne banalité du quotidien. S’attacher pour un récit refusant de rien clore ; comme le suggère le plan final du film de Lagtaâ montrant, non pas des retrouvailles, mais  la voiture qui file dans les champs, avec une femme et des enfants…décrivant l’événement comme s’il n’était pas achevé ou définitivement accompli. Une posture énonciative qui libère le récit cinématographique et renvoie la balle à l’histoire.


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