L’histoire comme gadget numérique
Comment parler du nouveau film de
Ridley Scott sans être obnubilé, aveuglé par la polémique qui a accompagné sa
sortie marocaine ? Une des entrées possibles qui privilégie une piste
cinéphile est fournie par le film lui-même : dans la scène d’ouverture on
voit le pharaon réunir ses collaborateurs pour parler de la menace qui pèse aux
frontières orientales (menaces hittites).
On décide d’interroger les viscères ; le pharaon demande à la
préposée aux oracles ce qu’elles
disent ; elle lui répond : « elles ne suggèrent
rien ; elles offrent des signes à interpréter ». Une manière de
proposer au spectateur un pacte de réception du film : ce que propose le
film est un ensemble de signes à
interpréter selon la grille de lecture de chacun.
Certes, le film offre des indications
temporelles, spatiales et dramatiques qui lui assurent un ancrage et une
référence historique. Nous sommes en Egypte, 1400 ans avant J.C ; en
Egypte où le peuple hébreu subit un esclavage terrible depuis plus de 400 ans.
L’intrigue s’inspire largement
d’un des scénarios les mieux développés de l’histoire de l’humanité, La Bible.
C’est elle qui a donné matière à un genre cinématographique longtemps
florissant, le péplum avec ses titres emblématiques Ben Hur ou encore plus
proche du film de Ridley Scott, les 10 commandements…Sauf que avec cette
nouvelle version, ces titres mythiques de Hollywood sont renvoyés au musée des
antiquités : Gods and kings offre
une débauche d’effets spéciaux, Ridley Scott a déjà bluffé son public avec les
effets numériques dans Gladiator où il a reconstitué la Rome antique ; ici
il va encore plus loin, et frappe plus fort…sans égaler cependant ses films qui
restent sur le plan visuel, ses chefs
d’œuvre je pense notamment à Alien et surtout Black Hawk Down
Reste alors à expliciter les
raisons qui président ce retour à cette période faste en rebondissements. Il y
a certainement une raison technique avec le numérique qui facilite le voyage
dans le passé. Les grandes interrogations de notre époque marquée par le
déferlement du retour d religieux y sont aussi pour beaucoup. Et Ridley Scott
et ses coscénaristes affichent clairement leur point de vue en remettant
frontalement en question certaines images inscrites dans le marbre de
l’histoire officielle des religions. La
scène d’ouverture nous permet de découvrir les protagonistes du récit :
Moise et Ramsès. Le pharaon agonisant est face à un dilemme : il est
séduit par l’intelligence, le courage de Moïse mais il ne peut pas le proposer
à la succession, car il n’est pas son fils. C’est Ramsès qui lui succède. Ramsès
et Moïse entretiennent des relations ambiguës faites d’attirance, de jalousie
mais aussi de reconnaissance : Moïse a sauvé la vie de Ramsès lors d’une
attaque ratée contre les hittites. Cette relation va donner au film son
argument narratif principal. Le film se laisse lire en effet comme une
réflexion sur le pouvoir. Quand Moïse découvre sa vraie filiation et sa vraie
identité, il devient un vrai leader. Un opposant intraitable de Ramsès. Ridley
Scott fait de lui un général, stratège
qui mène différentes formes de guérilla ; les dialogues sont d’ailleurs
« très modernes ».
On retrouve de grands épisodes historiques
dont la traversée de la mer rouge filmée autrement que la version « biblique » ou du moins
ambiguë : marée basse ou miracle divin. La séquence est spectaculaire
comme pour rappeler l’ambition qui préside à l’ensemble de projet. Un projet
qui retrouve sa dimension humaine toute empreinte d’humilité quand un tableau
vient ouvrir le générique de fin : « le film est dédié à mon frère
Tony Scott ».
1 commentaire:
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