samedi 24 janvier 2015

Quand Faouzi Bensaïdi filme les salles de cinéma

Des ruines, des ombres et des fantômes

Ça passe à la télé, mais c’est du cinéma. C’est un requiem cinématographique que Faouzi Bensaïdi compose dans son documentaire, Une certaine idée du cinéma, consacré aux salles de cinéma au Maroc. Une image vaut mille mots aime-t-on dire ; c’est souvent faux car les mots restent incontournables pour mettre un énoncé en perspective…mais c’est parfois juste et c’est ce qui donne toute sa légitimité et sa pertinence au « genre » documentaire surtout quand il est écrit, pensé, fait, réalisé avec les outils du cinéma ; surtout quand il cherche non pas  à capter les choses vraies mais à cerner la vérité des choses. Lundi soir on en  une preuve dans la rubrique Tiarat de Tvm.
 Qu’est-ce qu’on n’a pas asséné comme vérité à propos des salles de cinéma et de leur détresse dan notre paysage social et culturel ? C’est devenu quasiment un cliché toujours récupéré par le discours public paresseux et par un traitement médiatique Kleenex : on consomme instantanément et on passe à autre chose…
D’où la première pertinence du documentaire de Bensaïdi, celle de nous dire  en quelques plans (par exemple le montage sidérant des photos du cinéma Régent) ce que la rhétorique oiseuse du discours ambiant peine à formuler malgré sa récurrence à l’occasion d’un festival, d’une journée nationale, du rituel fétiche des assises ou tout simplement face à un micro de télévision…Une télévision qui rit sous cape, n’est-ce pas quand une salle ferme, ce sont des spectateurs en moins pour le cinéma et donc des télé-spectateurs en plus ! Sauf quand un cinéaste prend la parole/ prend l’image de la télé pour la contourner au bénéfice d’un discours qui dit l’hommage à la salle de cinéma…à travers de lieux ; des êtres, des images et des idées et surtout à travers le souvenir du cinéma lui-même. L’ouverture du film pose ainsi les jalons de ce que le cinéma fut et ce qu’il est advenu.
 Le film  de Faouzi Bensaïdi offre ainsi plusieurs niveaux de lecture. Il est d’abord un documentaire, original dans son écriture mais reste « documentaire » en répondant à un cahier de charges,  réponse à une commande institutionnelle, en l’occurrence celle de la SNRT, où il s‘agit de dresser un constat sur l’état des lieux. Le film y répond brillamment et nous livre un constat accablant de la dégradation du parc des salles, à travers des images, des témoignages…Mais il ne s’arrête pas là. Le film n’aborde pas le cinéma d’une posture neutre, un observateur qui vient enquêter sur un objet déterminé. Non, le film va plus loin en donnant au documentaire une autre dimension, celle d’un documentaire de cinéma. Il parle du cinéma à partir du cinéma. Il revendique sa filiation cinématographique d’abord par un choix d’écriture qui emprunte les outils de la fiction cinématographique pour transcender le réel : le cadre, les mouvements d’appareil, l’irruption d’un regard relais, celui du cinéaste dans un rôle qui relève plus d’une apparition que d’une réalité   ; ensuite en enserrant son investigation dans un faisceau de signes cinéphiliques qui vont de Fellini à Godard avec des clins d’œil et des citations sonores et visuelles (y compris des autocitations : Mille mois, WWW…) qui font in fine du film une partition…aux allures d’un requiem. Car il y a bel et bien, mort. Mort d’une certaine idée du cinéma à travers le symbole de la salle. Les images de la dernière séquence sont d’une éloquence éblouissante : face aux images du cinéma, concept publicitaire ou objet de consommation « pop corn » dans un multiplexe ;  face aux images splendides du champ de blé moissonné… je me suis dit Faouzi Bensaïdi fait du Godard et voilà qu’une image vient comme une signature en faisant référence à la célèbre rencontre de Godard et Fritz Lang autour du film Le mépris…un régal pour les yeux, les oreilles. Pour l’intelligence. « Le cinéma substitue à notre regard, un monde qui s’accorde à nos désirs », André Bazin revisité par Godard. Le regard de Bensaïdi dans le film qui se suppose à l’objectif de la caméra face à un monde qui s’en va.
C’est du cinéma qui réhabilite la télévision. Un point d’honneur à Tvm qui a fait preuve d’ouverture d’esprit malgré une légère intervention de Big Brother qui a coupé une réplique de l’une des intervenantes du film (censure sonore désormais à la mode depuis le cas d’Exodus) !  Néanmoins, la télévision soucieuse du nombre de plans par minute, le fameux NPPM, a permis une démonstration de ce que la définition d’un documentaire, qui passe d’abord par une autre logique temporelle : dans le film de Bensaïdi, le plan prend son temps…on n’est pas dans un reportage allongé ; on n’est pas dans la monstration, on est dans la démonstration. Celle-ci est avérée, entre autres, dans le rapport au sujet ; le film sur les salles est un formidable hommage aux femmes et aux hommes qui ont longtemps donné vie à ces salles. Faouzi Bensaïdi n’a pas son pareil pour filmer les humbles, les sans voix…et dans ce sens, les images du projectionniste  qui se livre à une démonstration sur le passage du chimique au numérique, avec ses mots, ses silences, ses regard, est un moment de grande émotion.

Le film est un document qui mérite, outre sa (re)diffusion, une autre forme de distribution. Espérons que Tvm édite cette série « tiarat » dans un coffret DVD pour permettre à ces documentaires de durer…La télévision, ne l’oublions pas, «  fabrique de l’oubli », Godard encore. C’est lui qui dit aussi « la télévision ce n’est pas des images justes, c’est juste des images ». Ce soir-là, ce sont des images justes. Et indélébiles ; 

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