Des ruines, des ombres et des fantômes
Ça
passe à la télé, mais c’est du cinéma. C’est un requiem cinématographique que
Faouzi Bensaïdi compose dans son documentaire, Une certaine idée du cinéma, consacré aux salles de cinéma au
Maroc. Une image vaut mille mots aime-t-on dire ; c’est souvent faux car
les mots restent incontournables pour mettre un énoncé en perspective…mais
c’est parfois juste et c’est ce qui donne toute sa légitimité et sa pertinence
au « genre » documentaire surtout quand il est écrit, pensé, fait,
réalisé avec les outils du cinéma ; surtout quand il cherche non pas à capter les choses vraies mais à cerner la
vérité des choses. Lundi soir on en une
preuve dans la rubrique Tiarat de Tvm.
Qu’est-ce qu’on n’a pas asséné comme vérité à
propos des salles de cinéma et de leur détresse dan notre paysage social et
culturel ? C’est devenu quasiment un cliché toujours récupéré par le
discours public paresseux et par un traitement médiatique Kleenex : on
consomme instantanément et on passe à autre chose…
D’où
la première pertinence du documentaire de Bensaïdi, celle de nous dire en quelques plans (par exemple le montage
sidérant des photos du cinéma Régent) ce que la rhétorique oiseuse du discours ambiant
peine à formuler malgré sa récurrence à l’occasion d’un festival, d’une journée
nationale, du rituel fétiche des assises ou tout simplement face à un micro de
télévision…Une télévision qui rit sous cape, n’est-ce pas quand une salle
ferme, ce sont des spectateurs en moins pour le cinéma et donc des télé-spectateurs
en plus ! Sauf quand un cinéaste prend la parole/ prend l’image de la télé
pour la contourner au bénéfice d’un discours qui dit l’hommage à la salle de
cinéma…à travers de lieux ; des êtres, des images et des idées et surtout
à travers le souvenir du cinéma lui-même. L’ouverture du film pose ainsi les
jalons de ce que le cinéma fut et ce qu’il est advenu.
Le film
de Faouzi Bensaïdi offre ainsi plusieurs niveaux de lecture. Il est
d’abord un documentaire, original dans son écriture mais reste
« documentaire » en répondant à un cahier de charges, réponse à une commande institutionnelle, en
l’occurrence celle de la SNRT, où il s‘agit de dresser un constat sur l’état
des lieux. Le film y répond brillamment et nous livre un constat accablant de
la dégradation du parc des salles, à travers des images, des témoignages…Mais
il ne s’arrête pas là. Le film n’aborde pas le cinéma d’une posture neutre, un
observateur qui vient enquêter sur un objet déterminé. Non, le film va plus
loin en donnant au documentaire une autre dimension, celle d’un documentaire de
cinéma. Il parle du cinéma à partir du cinéma. Il revendique sa filiation
cinématographique d’abord par un choix d’écriture qui emprunte les outils de la
fiction cinématographique pour transcender le réel : le cadre, les
mouvements d’appareil, l’irruption d’un regard relais, celui du cinéaste dans
un rôle qui relève plus d’une apparition que d’une réalité ; ensuite en enserrant son investigation
dans un faisceau de signes cinéphiliques qui vont de Fellini à Godard avec des
clins d’œil et des citations sonores et visuelles (y compris des
autocitations : Mille mois, WWW…) qui font in fine du film une
partition…aux allures d’un requiem. Car il y a bel et bien, mort. Mort d’une
certaine idée du cinéma à travers le symbole de la salle. Les images de la
dernière séquence sont d’une éloquence éblouissante : face aux images du
cinéma, concept publicitaire ou objet de consommation « pop corn »
dans un multiplexe ; face aux
images splendides du champ de blé moissonné… je me suis dit Faouzi Bensaïdi
fait du Godard et voilà qu’une image vient comme une signature en faisant
référence à la célèbre rencontre de Godard et Fritz Lang autour du film Le
mépris…un régal pour les yeux, les oreilles. Pour l’intelligence. « Le
cinéma substitue à notre regard, un monde qui s’accorde à nos désirs »,
André Bazin revisité par Godard. Le regard de Bensaïdi dans le film qui se
suppose à l’objectif de la caméra face à un monde qui s’en va.
C’est du cinéma qui réhabilite
la télévision. Un point d’honneur à Tvm qui a fait preuve d’ouverture d’esprit
malgré une légère intervention de Big Brother qui a coupé une réplique de l’une
des intervenantes du film (censure sonore désormais à la mode depuis le cas
d’Exodus) ! Néanmoins, la télévision
soucieuse du nombre de plans par minute, le fameux NPPM, a permis une
démonstration de ce que la définition d’un documentaire, qui passe d’abord par
une autre logique temporelle : dans le film de Bensaïdi, le plan prend son
temps…on n’est pas dans un reportage allongé ; on n’est pas dans la
monstration, on est dans la démonstration. Celle-ci est avérée, entre autres,
dans le rapport au sujet ; le film sur les salles est un formidable
hommage aux femmes et aux hommes qui ont longtemps donné vie à ces salles.
Faouzi Bensaïdi n’a pas son pareil pour filmer les humbles, les sans voix…et
dans ce sens, les images du projectionniste
qui se livre à une démonstration sur le passage du chimique au
numérique, avec ses mots, ses silences, ses regard, est un moment de grande
émotion.
Le film est un document qui
mérite, outre sa (re)diffusion, une autre forme de distribution. Espérons que
Tvm édite cette série « tiarat » dans un coffret DVD pour permettre à
ces documentaires de durer…La télévision, ne l’oublions pas, « fabrique
de l’oubli », Godard encore. C’est lui qui dit aussi « la télévision
ce n’est pas des images justes, c’est juste des images ». Ce soir-là, ce
sont des images justes. Et indélébiles ;
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